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À mon avis

Prendre sa planification stratégique en main

Plutôt que de confier sa planification stratégique à des experts externes, la direction de l’Université de Sherbrooke a pris les rênes du processus et a engagé un dialogue avec les diverses parties prenantes.

par ANNE-MARIE CORRIVEAU ET AL | 17 JAN 19

Les universités, comme bien des entreprises de divers secteurs d’activité, sont soumises à une forte concurrence. Elles doivent aussi répondre de façon originale aux besoins de la population et des régions où elles sont déployées. Afin de faire face à ces réalités, elles doivent se distinguer, ce qui passe de plus en plus par une identité forte, représentative des valeurs et de la culture de l’établissement.

Le processus de planification stratégique est une belle occasion d’identifier ces valeurs distinctives, d’élaborer un nombre restreint d’orientations stratégiques structurantes et d’y faire adhérer un ensemble de parties prenantes liées de près à l’établissement. Malheureusement, les processus de planification stratégique traditionnels, généralement confiés à des experts externes, sont fréquemment menés de manière technique. Les dirigeants y jouent trop souvent un rôle passif, voire d’observateur, en attendant les recommandations des experts, ce qui ne permet pas de dégager le véritable ADN de l’établissement, encore moins de s’en imprégner.

Lors de sa dernière planification stratégique, l’Université de Sherbrooke, une université canadienne comptant plus de 31 000 étudiants répartis sur trois campus, a décidé de faire les choses autrement : le recteur et son équipe ont pris les rênes d’un processus original, simplifié et agile, propice à encourager un dialogue entre la direction et ses diverses parties prenantes. Sans faire appel à des consultants externes et sans créer de nouvelles instances de travail dédiées uniquement au processus, le conseil d’administration et le conseil universitaire ont été mobilisés afin de jouer un rôle clé dans toute la démarche. Ce processus de planification a ainsi duré moins d’un an et a permis aux représentants de plus de 70 parties prenantes internes et externes de s’exprimer sur l’avenir de l’institution.

Le processus

Plutôt que de réaliser un diagnostic détaillé de l’organisation et de son environnement, processus long et complexe pour une université, les priorités proposées par le recteur dans son dossier de candidature ont servi de point de départ. Ces priorités étaient le fruit d’une analyse des besoins menée en 2016 auprès de 2442 membres de la communauté universitaire. En utilisant ces données, on simplifiait significativement le processus et on en réduisait les coûts, tout en évitant de mettre l’accent sur le passé, ce que fait généralement l’étape du diagnostic conventionnel. Le processus de planification stratégique de l’université est alors présenté comme une occasion d’imaginer l’avenir, plutôt que de perpétuer le passé, tout en assurant la mise en œuvre de sa mission. Cette intention était d’ailleurs clairement exprimée par le recteur : « Ensemble, regardons à plus long terme ce qu’on veut faire, quelles orientations on veut prendre, comment on va mieux répondre aux besoins de la société ainsi qu’à ceux de nos étudiantes et étudiants. »

Concrètement, les priorités proposées par le recteur ont mené à la création de cinq chantiers thématiques de réflexion. Composé de 13 à 19 personnes (doyens, vice-doyens, étudiants, professionnels, enseignants, membres du conseil d’administration, partenaires internes et externes), chacun de ces chantiers avait le mandat de développer et de valider les orientations, les stratégies et les actions qui composeraient le futur plan stratégique. Pour ce faire, les chantiers devaient solliciter les parties prenantes appropriées, évaluer l’information recueillie, élaborer des propositions d’action, identifier des indicateurs de suivi et soumettre des recommandations au comité directeur de la planification stratégique.

Près de 80 personnes ont été membres de ces chantiers et se sont réunies une vingtaine de fois, pour une moyenne de dix heures de rencontre au total par chantier. Ce sont peu d’heures de réunion, considérant l’ampleur du mandat qui leur a été confié, ce qui témoigne du dynamisme et de l’efficacité de la démarche.

Outre les chantiers, 914 consultations ont été menées auprès des parties prenantes internes et externes : rencontres individuelles, ateliers de réflexion, sondages en ligne, lettres, appels téléphoniques. Une attention particulière a été portée aux étudiants qui ont pu véritablement influencer le plan stratégique. En plus de ces nombreuses consultations, une communication régulière était entretenue, notamment par des outils Web et la diffusion de vidéos du recteur.

Le rôle de l’équipe de direction

Un des éléments qui ont certainement contribué au dynamisme de la démarche est que son leadership ait été entièrement assumé par le recteur et son comité de direction. Loin de se contenter d’initier la démarche au plan administratif, le recteur et son équipe l’ont conceptualisée dans les moindres détails, de la planification à l’analyse de l’information, en passant par les activités de consultation. Considérée comme une « task force », l’équipe se réunissait toutes les deux semaines pour faire le point, sans compter tous les contacts informels qui leur ont permis de créer et d’adapter le processus à mesure qu’il se déployait.

Ce leadership s’est affirmé de manière non équivoque par une présence du recteur et de son équipe à tous les événements de consultation.  De plus, le recteur et les membres de son équipe ont assumé la responsabilité de tous les chantiers. L’engagement du comité de direction était tel que le recteur a réalisé lui-même une première synthèse des rapports de chantiers, auxquels les vice-recteurs et vice-rectrices ont ensuite participé.

Cette participation à toutes les étapes de la réflexion stratégique, sans l’intervention d’intermédiaire, a comporté de nombreux avantages puisqu’elle leur a permis de :

  • s’approprier le plan stratégique au fil de son élaboration;
  • avoir accès à de l’information de première main;
  • établir des contacts directs avec un ensemble de parties prenantes;
  • adapter la démarche en temps réel en fonction des enjeux soulevés;
  • être en mesure d’expliquer et de justifier leurs choix; et
  • accroître la légitimité du plan.

Des ponts entre le conseil d’administration et le conseil universitaire

Plutôt que de créer une nouvelle entité de pilotage de la planification stratégique, et toujours dans la perspective de mobiliser les instances en place, le conseil d’administration (CA) a été jumelé à un conseil universitaire (CU) élargi (auquel ont pris part des représentants du personnel de soutien, des cadres et un professeur). Cette instance, baptisée comité directeur de la planification stratégique (CDPS) pour la durée de la démarche, était présidée par le recteur.

Le rôle du CDPS était d’assurer la rigueur du processus, d’observer l’avancement des travaux et de veiller à la validité des documents produits. Au besoin, il pouvait trancher quant à l’orientation à prendre dans les moments décisifs. Finalement, il assurait la cohérence entre les divers chantiers en vue d’une planification stratégique intégrée.

Le CDPS s’est réuni lors de deux lac-à-l’épaule au cours de l’exercice, mobilisant au total 51 personnes, dont six étudiants. Il s’est particulièrement engagé au moment d’identifier les valeurs de l’Université et d’en énoncer la vision. La valeur de réunir le CA et le CU, une première pour l’Université de Sherbrooke, ne fait aucun doute et cette initiative sera répétée annuellement.

Une expérience qui bouscule certaines idées reçues

Au terme de cet exercice, l’équipe de direction est fière du résultat obtenu et surtout de la mobilisation de la communauté universitaire autour de ce nouveau plan stratégique dans lequel elle se reconnaît. Cette démarche était inusitée : elle s’est créée au fur et à mesure qu’elle se déployait et a nécessité audace, créativité et parfois humilité de la part des membres de la direction. Si c’était à refaire, ils répéteraient le même processus, mais cette fois, encore plus confiants de la valeur de leur approche. D’ailleurs, l’expérience leur a permis de tirer quelques leçons qui font tomber certaines idées reçues :

  1. Alors que l’embauche de consultants est souvent perçue comme un garde-fou visant à protéger la direction de critiques ou d’influences non désirées, les membres de la direction considèrent plutôt que leur engagement de premier plan dans le pilotage de la planification stratégique a accru leur appropriation rapide des besoins de la communauté universitaire.
  2. Alors que les relations avec les étudiants et leurs associations sont souvent basées sur une logique de revendication, qui pourrait inciter à limiter leur collaboration, leur participation active est clairement perçue comme un facteur de richesse et de pertinence des contenus, de mobilisation et d’appropriation. Ils deviennent alors des partenaires à part entière.
  3. Alors qu’on tient pour acquis qu’un tel processus de planification est nécessairement long pour une université, le fait de se donner un échéancier serré (environ sept mois) favorise la synthèse et impose un rythme qui soutient la mobilisation, autant des parties prenantes que des dirigeants. En résulte un produit fini concis (le plan stratégique tient en quatre pages) qui devient un véritable outil de gouvernance, une feuille de route facilement utilisable à tous les niveaux de l’établissement.

En somme, les dirigeants de l’Université de Sherbrooke ont réalisé un processus de planification stratégique agile sur une période de sept mois. Cette démarche a permis de faire ressortir les valeurs qui réunissent véritablement la communauté universitaire et d’engager avec elle un dialogue qui vise à développer une culture de réflexion, d’apprentissage et d’amélioration continue, contribuant ainsi à l’affirmation et au renforcement de son caractère distinctif.

Maintenant, la communauté universitaire et ses parties prenantes s’activent à mettre en œuvre le plan stratégique 2018-2022 de l’Université de Sherbrooke : Oser transformer.

Le texte ci-dessus a été coécrit par des administrateurs et des professeurs de l’Université de Sherbrooke, soit Anne-Marie Corriveau, professeure au Département de management et de gestion des ressources humaines, Pierre Cossette, recteur, Jocelyne Faucher, secrétaire générale et vice-rectrice à la vie étudiante, France Myette, vice-rectrice adjointe, et Annie Bernier, assistante administrative au Secrétariat général.

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