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L’Équipe en or de l’Université Laval

L'établissement a conçu un programme de football dynamique qui fait l’envie des équipes de sport interuniversitaire partout au Canada. Voici comment

par MARK CARDWELL | 09 NOV 09

Le football a toujours occupé une grande place dans la vie de Glen Constantin. Il y a joué pour la première fois sur les plaines d’Abraham, le domicile des Fighting Irish, l’équipe de l’école secondaire St. Patrick. Alors joueur de ligne défensive, il a la taille, le talent et les résultats scolaires qu’il faut pour aller plus loin, mais il n’y a aucun programme de football postsecondaire à Québec.

Il part donc jouer pour le Collège Champlain à Lennoxville, au Québec, puis pour les Gee-Gees de l’Université d’Ottawa.

C’est là qu’il fait deux prises de conscience importantes : enseigner l’éducation physique ne lui convient pas, et il ne parviendra pas à devenir joueur professionnel. Il tentera donc sa chance comme entraîneur.

En 1995, après quatre ans comme coordonnateur à la défensive de l’équipe de l’Université Bishop’s, M. Constantin obtient un poste d’entraîneur adjoint des Cougars de l’Université de Houston. Il rêve de devenir entraîneur pour la Ligue nationale de football, et le Texas est la voie royale vers cet objectif.

Il accepte tout de même l’invitation de Jacques Tanguay, un homme d’affaires influent de Québec et entrepreneur dans le domaine sportif, de rentrer à Québec un week-end pour discuter du poste d’entraîneur pour la nouvelle équipe de football interuniversitaire de l’Université Laval, le Rouge et Or.

« Nous nous tenions sur un coin de terrain, et Jacques a parlé du stade qui allait y être construit, avec gazon artificiel et tout le reste, se rappelle M. Constantin, qui avait alors 30 ans. Je me suis dit “jamais de la vie”. À l’époque, tous les établissements du Québec réduisaient leurs dépenses. Il n’y avait jamais d’argent pour quoi que ce soit. Mais j’étais tellement impressionné par les gens et par le programme que j’ai accepté le poste. Et puis ma mère et mon frère habitent ici. »

À la fin novembre, si, comme le prédisent certains, Laval remporte la coupe Vanier pour la deuxième année consécutive et la sixième fois de son histoire, c’est à domicile, sur son gazon artificiel tout neuf, qu’elle établira ce record. M Constantin ajouterait ainsi du lustre à une carrière d’entraîneur qu’il ne croyait pas possible. Depuis qu’il a obtenu le poste d’entraîneur en chef, à la fin de l’an 2000, un an après que l’équipe a remporté sa première coupe Vanier, M. Constantin a mené le Rouge et Or à 51 victoires en 64 matchs en saison régulière. L’équipe a aussi remporté six championnats provinciaux (sept si l’équipe réédite l’exploit en 2009) et s’est classée au premier rang à l’échelle canadienne pendant cinq années consécutives. L’équipe a aussi remporté 20 victoires contre six défaites lors des séries éliminatoires de 2003, 2004, 2006 et 2008, année où le Rouge et Or a connu une saison parfaite (12 victoires, aucune défaite), un exploit qu’une seule équipe avait réalisé auparavant.

« Le Rouge et Or, c’est le football universitaire canadien à son meilleur », affirme Sonny Wolfe, entraîneur en chef des Redmen de l’Université McGill. L’équipe n’a jamais si souvent perdu que contre le Rouge et Or (cinq victoires,  17 défaites), qui n’a pas courbé l’échine devant McGill depuis 2001 et enregistre un score cumulatif de 22 à 227 pour les quatre derniers matchs disputés depuis 2006.

Soutenu par un budget de deux millions de dollars et géré par une société à actif nominal, le Rouge et Or a connu une montée fulgurante vers les hautes sphères du football canadien, ce qui n’a pas manqué d’électriser ses partisans locaux. Depuis des années, chaque match disputé à domicile attire une foule de 12 000 personnes, dont 8 000 détenteurs de billet d’abonnement. Même lors des rencontres d’avant-saison, les matchs sont diffusés en direct à Radio-Canada et à RDS, la chaîne con-sacrée au sport. Les médias locaux réservent aussi à l’équipe une couverture digne des ligues majeures, et les fêtes d’avant-match dans les stationnements du campus sont extrêmement populaires.

« Les gens sont fous de football, ici, soutient Gilles Lépine, directeur du programme d’excellence sportive du Rouge et Or et coprésident des éditions 2009 et 2010 de la coupe Vanier, qui
sera disputée à Québec pour la toute pre-mière fois cette année. Notre programme est une grande réussite. C’est formidable pour l’établissement, les joueurs et la ville. »

Selon M. Lépine, le plus grand bienfait de cette réussite est le ren-forcement de la réputation de l’Université Laval au Canada et à l’étranger. « Le football est devenu une carte de visite extrêmement importante pour nous, tout comme pour l’Université Notre-Dame ou l’Université d’État du Michigan, toutes proportions gardées », explique-t-il. Il ajoute que, comme dans les grands établissements américains, le programme de football de l’Université Laval reçoit environ la moitié des 4,3 millions de dollars que l’établisse-ment consacre chaque année au sport interuniversitaire, qui touche quelque 350 athlètes (dont les 85 hommes de M. Constantin) et plus d’une vingtaine d’équipes, dont plusieurs sont championnes provinciales ou nationales.

M. Lépine précise que des équipes de football de partout en Amérique du Nord, professionnelles comme amateurs, suivent de près les résultats du Rouge et Or. Une bonne vingtaine de joueurs de l’Université Laval ont donc été repêchés par des équipes de la Ligue canadienne de football depuis quelques années; c’est donc la principale source de talents locaux de la ligue. Le recrutement de nouveaux joueurs au sein du programme s’en trouve également facilité.

« Les meilleurs athlètes veulent jouer pour les meilleures équipes, rappelle M. Lépine, c’est bien connu dans le milieu tissé serré du sport d’élite amateur et universitaire du Canada. Le succès engendre le succès. »

Si une personne mérite des éloges pour les prouesses de l’Université Laval, c’est bien Mike Labadie, professeur d’éducation physique et entraîneur de hockey et de football au Collège St. Lawrence, près de l’Université. C’est lui qui a proposé, au début des années 1990, de créer un programme de football dans une université francophone québécoise.

« Le besoin était urgent », affirme M. Labadie. C’est l’intérêt soudain des jeunes du secondaire et du cégep de la région qui lui a inspiré cette idée. L’obstacle linguistique empêchait de bons athlètes francophones d’intégrer ou de tenter d’intégrer l’un des trois prestigieux programmes de football universitaire de la province, tous anglophones.

« Beaucoup de jeunes talents se perdaient. À mes yeux, c’était évident : si nous pouvions réunir les meilleurs joueurs francophones à la fin du cégep, l’équipe serait non seulement concurrentielle, mais elle gagnerait le championnat canadien en trois ou quatre ans. »

M. Labadie s’est alors tourné vers l’Université Laval. Seule université d’une ville de 700 000 habitants, l’éta-blissement enregistrait depuis long-temps des résultats impressionnants dans plusieurs disciplines sportives, et plus de la moitié de ses 241 000 anciens étudiants habitait la région.

À l’époque, le secteur sportif de l’établissement émergeait d’une pénible période d’épuration de 10 ans au cours de laquelle le programme du Rouge et Or avait été restructuré pour réduire les coûts et atteindre l’excellence et la performance sportive. Les disciplines coûteuses comme le hockey ou celles qui, comme le patinage de vitesse, étaient peu populaires et mettaient peu en valeur l’établissement ont été abandonnées. Les disciplines qui ont conservé leur place, comme le basketball masculin et le soccer féminin, ont été restructurées et sont maintenant cogérées par des organisations à but non lucratif dirigées par un conseil d’administration constitué de membres de la collectivité, de dirigeants universitaires et d’athlètes étudiants; des organisations dotées de pouvoirs leur permettant de lever des fonds, de surveiller les dépenses et d’embaucher ou de congédier des employés des équipes.

« Nous accordons une plus grande impor-tance à la gestion, soutient M. Lépine, directeur du programme du Rouge et Or. Nous voulions ouvrir nos portes à la collectivité afin de profiter de tout le soutien financier et de toute l’expertise disponibles. Évidemment, c’est l’Université qui a toujours le dernier mot. »

Malgré ces changements, l’établisse-ment rejette à deux reprises la propo-sition de M. Labadie de créer un nouveau programme de football. « On craignait que nos commanditaires nous laissent tomber après quelques saisons de défaites et que l’Université soit réduite à gérer un gâchis », se rappelle M. Labadie.

Il a ensuite l’occasion de discuter de son projet avec Maurice Filion, l’ancien directeur général et entraîneur des Nordiques, l’équipe de la Ligue nationale de hockey de Québec. Cette équipe était alors sur le point d’être vendue et déménagée au Colorado, ce qui allait créer un besoin et ouvrir des possibilités dans ce marché friand de sport.

Amateur de football dont les fils jouaient dans des équipes locales, M. Filion rallie à l’idée son ami Jacques Tanguay, homme d’affaires bien connu, diplômé de l’Université Laval et copropriétaire de plusieurs équipes des ligues mineures, dont les Remparts de Québec, de la Ligue de hockey junior majeur du Québec. M. Tanguay obtient très rapidement l’engagement à long terme de plusieurs commanditaires, fournissant sans préavis à son ancienne université un financement auquel elle ne pouvait résister.

« Dès que Jacques est entré en scène, tout a changé, se souvient M. Labadie. Il a amené les fonds et l’expérience en marketing qui ont rendu le projet possible. » Il fallait d’abord créer une organisation à but non lucratif et un conseil d’administration, présidé depuis par M. Tanguay, afin d’élaborer et de gérer le nouveau programme. L’Université a ensuite obtenu l’admission de l’équipe à la Conférence de football interuniversitaire Ontario-Québec, qui comptait six équipes, dont celles de l’Université McGill, de l’Université Bishop’s et de l’Université Concordia. L’établissement a aussi obtenu des fonds du gouvernement provincial, puis du gouvernement fédéral, pour la construction d’une infrastructure de qualité et des installations d’entraî-nement nécessaires pour attirer les meilleurs athlètes et constituer une équipe gagnante.

L’« or » du Rouge et Or vient de M. Tanguay, mais c’est M. Labadie qui est à l’origine de la passion qui a enflammé le terrain. Dès qu’il a eu le feu vert, ce premier entraîneur de l’équipe a réussi à recruter, comme il l’avait prévu, des dizaines de jeunes québécois issus des cégeps francophones. Il n’avait pas de personnel d’entraînement, de salle de musculation ni de stade à faire miroiter, mais il a misé sur la fierté de ces Qué-bécois francophones appelés à livrer concurrence aux équipes anglophones qui dominaient ce sport anglo-saxon. « Toute organisation a besoin d’une mission, affirme M. Labadie. L’aspect linguistique et culturel nous a donné la motivation et la raison d’être qu’il nous fallait au début. »

En 1995, après une première saison de matchs hors-concours, la victoire à domicile contre l’équipe de l’Université McGill devant 7 000 partisans assis dans des gradins de fortune fut un moment fort. M. Labadie, secondé par M. Constantin à titre d’entraîneur à la défensive, a mené le Rouge et Or à un record gagnant en 1996. C’était le début d’une série de saisons où les victoires seraient plus nombreuses que les défaites.

« Tout prenait forme », observe M. Labadie. Retournant enseigner, il a été remplacé par Jacques Chapdelaine, qui a donné à l’équipe sa première coupe Vanier en 1999 avant de poursuivre sa carrière dans la Ligue canadienne de football et de passer les rênes à M. Constantin. « Nous avions établi les fondations de la dynastie actuelle. »

De l’avis de Mathieu Bertrand, quart-arrière du Rouge et Or au moment où l’équipe a remporté ses deux premières coupes Vanier, la constance et le dévouement des entraîneurs sont les plus grandes forces du programme. « Je me suis beaucoup renforcé physiquement et je suis devenu un meilleur athlète à l’Université Laval, affirme celui qui est devenu joueur défenseur latéral pour les Eskimos d’Edmonton, une équipe de la Ligue canadienne de football. Et puis, le personnel d’entraînement est tellement passionné. Lors des fêtes d’après-victoire, Glen réfléchissait déjà au match suivant. Nous étions toujours prêts, et ça se voyait sur le terrain. »

La suprématie du Rouge et Or suscite toutefois le mécontentement des dirigeants de certains programmes rivaux, qui jugent la situation injuste. Ils se plaignent principalement du fait que l’Université Laval gère l’équipe comme s’il s’agissait d’une entreprise avec un financement digne des ligues majeures. Elle bénéficie ainsi de cinq entraîneurs à temps plein, de camps d’entraînement d’été en Floride et de nombreux avantages offerts aux joueurs.

« Les équipes de football universitaire au Canada comptent en moyenne deux ou trois entraîneurs et ont un budget d’environ 400 000 dollars, explique Darwin Semotiuk, ancien président du programme de sports intercollégiaux à l’Université Western Ontario, qui a remporté la coupe Vanier à quatre reprises lorsqu’il était entraîneur des Mustangs. Impossible d’être de taille devant une équipe dont le budget est quatre ou cinq fois plus important que le sien. »

D’autres saluent toutefois la réussite de l’équipe de l’Université Laval et y voient une source d’inspiration. « C’est incroyable de voir tout le chemin que cette équipe a parcouru en si peu de temps », s’étonne Marg McGregor, présidente-directrice générale de Sport interuniversitaire canadien, l’organisme qui gère le sport universitaire. Elle fait observer que, en plus d’exceller sur le terrain, l’Université Laval astreint ses joueurs de football à des périodes d’étude rigoureuses et leur fournit un tuteur pour les aider à obtenir des résultats scolaires satisfaisants. Grâce à cette innovation, que M. Constantin a ramenée du Texas, l’équipe détient les notes parmi les plus fortes au Canada.

« Ce n’est pas un programme de vauriens prêts à tout pour gagner, affirme Mme McGregor. Les créateurs de ce programme ont mis sur pied une équipe de premier ordre axée sur l’éducation. Ils ont rehaussé les normes pour tous les programmes sportifs au Canada. »

C’est pourquoi Jennifer Brenning s’est rendue à Québec plus tôt cette année. L’Université Carleton, où elle occupe le poste de directrice des programmes sportifs, prévoit ressusciter son équipe de football, les Ravens. Mme Brenning est donc venue observer en personne le programme de l’Université Laval et en discuter. « Nous voulions nous inspirer des meilleurs, admet Mme Brenning, qui compte parmi les nombreux responsables de programmes sportifs d’universités canadiennes à avoir rendu visite ou téléphoné à M. Lépine et à M. Constantin au cours des derniers mois.

« Gilles et Glen se sont montrés coopératifs et disposés à partager leurs méthodes de marketing et leur modèle corporatif, soutient-elle. Je verrais très bien tout cela être mis en œuvre à l’Université Carleton. »

À l’Université Laval, M. Constantin tient ses joueurs en haleine grâce à une politique stricte : lors des matchs, seuls les 45 joueurs s’étant le plus démarqués en entraînement pendant la semaine revêtent leur équipement. « C’est en entraînement que l’essentiel se joue, dit-il. Ça maintient l’esprit compétitif des gars. »

À l’heure actuelle, son plus grand défi consiste à recruter les meilleurs joueurs, tâche moins facile maintenant que l’Université de Montréal et l’Université de Sherbrooke courtisent aussi les cégépiens talentueux. Inspirés par l’expérience de l’Université Laval, ces deux établissements ont fondé leur équipe de football en 2002 et en 2003, respectivement. Au début d’octobre, les Carabins de l’Université de Montréal ont pris le Rouge et Or par surprise en remportant la victoire 28 à 7, mettant ainsi fin à une période de deux ans de victoires consécutives pour l’équipe de l’Université Laval.

« J’imagine qu’on est victime de notre propre succès, confie M. Constantin, qui se rend à son bureau tôt le matin pour parcourir des sites Web consacrés au football et repérer des joueurs. Mais c’est formidable car plus les équipes comme la nôtre seront nombreuses, mieux ce sera pour tous. »

Rédigé par
Mark Cardwell
Journaliste chevronné et auteur, Mark Cardwell est établi dans la région de Québec.
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