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Traditions universitaires

C’est vrai, les universités sont imprégnées de traditions. Si certaines ont subsisté, d’autres n’ont pas résisté à la mutation des universités au fil du temps.

par DANIEL DROLET | 12 JAN 11

Des cérémonies de remise de diplômes très solennelles, qui remontent au Moyen-Âge, à certains rituels étudiants tout aussi idiots que persistants, la vie universitaire regorge de traditions. Certaines ont disparu, d’autres se sont métamorphosées, d’autres enfin perdurent bien qu’elles fassent débat, mais une chose est certaine : les traditions restent indissociables de la vie sur les campus. Elles persistent parce que, en plus de constituer d’importants rites de passage, elles renforcent l’attachement des étudiants à leur établissement à une époque où le financement des universités dépend de plus en plus de leurs diplômés.

Les meilleures traditions, celles qui perdurent, visent à susciter un sentiment d’appartenance car elles créent un lien durable entre l’étudiant et son établissement. Elles peuvent être festives, comme la fameuse bataille à coup d’aliments qui oppose chaque année les étudiants de première et de deuxième année du Trinity College de l’Université de Toronto, ou solennelles, comme les cérémonies de remise des diplômes en grandes tenues colorées, ponctuées de phrases en latin.

Ce qui compte, selon Derek Drummond, professeur émérite d’architecture à l’Université McGill, c’est le lien durable que créent les traditions avec l’établissement. Les anciens chérissent les traditions qui résistent à l’épreuve du temps.

Les étudiants aussi. À l’Université du Manitoba, l’hymne officiel de l’association étudiante, qui remonte à 1940, est encore entonné aujourd’hui. Intitulé The Brown and The Gold, il chante la réussite, la sagesse et la félicité.

Certaines traditions constituent d’importants rites de passage. Tel est le cas de l’anneau marqué d’un X remis aux diplômés de l’Université St. Francis Xavier à l’occasion d’une cérémonie officielle qui se tient annuellement le 3 décembre, jour de la fête du saint patron de l’Université. Cet anneau est sans doute le symbole d’appartenance par excellence à une université canadienne. Comme le souligne la page d’accueil du site Web de l’établissement à l’intention des futurs étudiants, les diplômés « Xavieriens » sont facilement identifiables partout dans le monde grâce à leur anneau marqué d’un X, qui constitue entre eux un lien à vie.

« À l’approche de la cérémonie de remise de l’anneau, le campus est en ébullition, raconte Sam Mason, président de l’association étudiante. Les étudiants sont surexcités, attendent cette cérémonie avec encore plus d’impatience que celle de la remise des diplômes. »

Julia Mikuska, directrice du Bureau des anciens à l’Université du Manitoba, souligne que, jusqu’à tout récemment, bon nombre d’universités ne se souciaient guère de susciter l’attachement des étudiants à leur établissement. Aujourd’hui, elles voient dans les traditions un moyen de se démarquer.

Ryan Rodrigues, directeur adjoint des relations avec les anciens de l’Université de Western Ontario, surenchérit : « Les universités se livrent une vive concurrence pour attirer les meilleurs étudiants et les professeurs les plus compétents, mais surtout pour s’attacher des bailleurs de fonds. Le financement provenant des anciens est vital pour elles », précise-t-il. Les traditions porteuses de sens peuvent d’après lui conférer un cachet unique à une université : « Certaines peuvent même pousser un étudiant à choisir un établissement plutôt qu’un autre.»

Selon Mark Hazlett, directeur adjoint du Conseil canadien pour l’avancement de l’éducation, les traditions contribuent à créer des liens avec les étudiants dès leur arrivée sur le campus : « Il s’agit de créer des affinités, de tisser dès le départ avec les étudiants des liens qui persisteront après l’obtention de leur diplôme. »

Certaines traditions tissent indubitablement de tels liens avec l’établissement. D’autres visent plutôt à permettre aux nouveaux étudiants de s’identifier à leur profession, souligne Alexandre Chabot, secrétaire général de l’Université de Montréal. Par exemple, il n’est pas rare pour les étudiants en administration des affaires de venir en classe en veston-cravate, l’uniforme de leurs futurs pairs. Les universités encouragent cette attitude par des gestes symboliques comme la remise officielle de stéthoscopes aux nouveaux étudiants en médecine, de sarraus aux étudiants en pharmacie, ou encore d’anneaux de fer aux diplômés des écoles d’ingénieurs canadiennes.

La plupart des traditions ne sont toutefois plus ce qu’elles étaient. Les universités non plus. Les traditions qui ont perduré, comme la semaine d’initiation, les retrouvailles ou la collation des grades, tendent à prendre en compte la diversité étudiante des universités actuelles. Il est révolu le temps où la plupart des étudiants étaient blancs et de sexe mâle, issus de la classe moyenne aisée et essentiellement d’une seule religion.

Un grand nombre des traditions ont disparu parce que jugées sexistes, réservées à une élite ou vulgaires, comme les vols de petites culottes, les défilés « Lady Godiva » des étudiantes en génie ou les bizutages excessifs au sein des équipes sportives. D’autres, comme les déjeuners copieusement arrosés au Cercle des professeurs, se sont tout simplement révélées incompatibles avec l’emploi du temps de plus en plus chargé des professeurs.

La collation des grades est sans doute la plus solide et la plus intemporelle des traditions universitaires. À l’Université du Nouveau-Brunswick, plus ancienne université anglophone du Canada, les cérémonies de remise des diplômes sont toujours ponctuées de latin. À l’Université de Western Ontario, la collation des grades n’a plus rien d’un rituel intime. Elle comporte 10 cérémonies printanières et trois automnales, qui honorent plus de 7 000 diplômés. Un étudiant d’il y a 50 ans y reconnaîtrait encore sans peine le cérémonial, avec toges, chapeaux et tout le décorum. Comme le souligne M. Chabot de l’Université de Montréal, les références sont celles des années 1950. La teneur des discours a changé, mais pas le protocole. La collation des grades demeure selon lui un moment de communion pour les étudiants.

Quelles que soient leurs origines culturelles ou leurs différences, les diplômés se voient alors conférer un grade qui témoigne de leur réussite universitaire. « C’est un événement déterminant auquel tiennent beaucoup les étudiants », ajoute M. Chabot.

Dans les années 1980, « le fait d’assister à la collation des grades a semblé perdre de son importance », raconte M. Drummond, de l’Université McGill. Aujourd’hui, par contre, les étudiants et leur famille s’y pressent en masse ».

S’il est une génération qui a mis à mal bien des traditions, c’est incontestablement celle du baby boom, qui a déferlé par vagues sur les campus canadiens dans les années 1960 et 1970. L’arrivée massive de femmes et d’étudiants issus de la classe moyenne et de nouveaux groupes ethniques a sonné le glas du « club pour Messieurs ».

L’afflux des enfants du baby boom a coïncidé avec les changements sociétaux que l’on sait, engendrés par le féminisme, la contraception et les mouvements pacifistes. L’énorme augmentation des effectifs étudiants dans les universités a fragilisé la cohésion qui soutenait les traditions. « Il est indéniable que les années 1960 ont marqué la fin d’un certain type d’universités », affirme Bryan Palmer, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études canadiennes à l’Université Trent, et auteur de l’ouvrage Canada’s 1960s (University of Toronto Press, 2009).

C’en fut fini de la hiérarchie et des traditions qui cédèrent la place aux résidences mixtes et aux revendications étudiantes. Même assister à la collation des grades était considéré comme facultatif par les étudiants de l’époque, avant que la tendance ne s’inverse.

De nombreuses traditions se sont par contre éteintes dans l’indifférence. En 1969, M. Palmer était étudiant de première année au Huron College de l’Université de Western Ontario. Les étudiants étaient alors tenus de porter la toge en classe. Un jour, avec un collègue aussi rebelle que lui, il s’est présenté en classe sans toge. Il n’a pas été sanctionné. Cinq ans plus tard, selon ses dires, plus personne ne portait la toge.

Bien que le radicalisme de cette époque ait en grande partie disparu des campus actuels, les traditions incompatibles avec la diversité sont remises en cause. Cette année, par exemple, les étudiants de l’Université St. Francis Xavier se sont officiellement opposés à la nomination systématique de l’évêque local au poste de chancelier. Selon le président de l’association étudiante, Sam Mason, c’est une question d’égalité des chances : l’évêque possède sans doute les compétences requises pour occuper le poste, mais sa nomination écarterait d’emblée pour les femmes, les homosexuels et les hommes mariés la possibilité d’accéder à ce poste. Le dossier n’est pas clos. Cindy McInnes, directrice des communications à St. Francis Xavier, assure que le conseil d’administration prend les préoccupations des étudiants très au sérieux et a « convenu d’établir un processus visant à étudier tous les aspects de la situation ».

Le bizutage fait partie des traditions « officiellement » bannies. Laura Robinson, ancienne athlète professionnelle devenue auteure, fait campagne contre cette pratique. Selon elle, le bizutage, ou du moins la crainte d’en être victime, est toujours présent sur les campus. Ce n’est pas une partie de plaisir. « Si le bizutage se bornait à un dîner en ville, personne ne l’appréhenderait », dit-elle.

Souvent, les traditions qui ont subsisté se sont totalement métamorphosées pour se plier aux normes sociales actuelles. Ainsi, le 6 décembre, de nombreuses universités soulignent par un service commémoratif sur leur campus l’anniversaire de la tuerie de l’École polytechnique à Montréal, en 1989, qui avait coûté la vie à 14 étudiantes en génie.

Même les traditions les plus ancrées évoluent. Il y eut un temps où les étudiants du Trinity College devaient porter la toge non seulement sur le campus, mais aussi pour circuler en ville, raconte Sylvia Lassam, archiviste Rolph-Bell au collège fédéré de l’Université de Toronto, sinon ils étaient passibles d’une amende de 25 cents. Le port de la toge est toujours de rigueur au Trinity College, mais uniquement pour le dîner du mercredi, à 18 h 30. Ce dîner de prestige attire chaque semaine une cinquantaine de personnes, et comporte une table d’honneur réservée aux dirigeants du collège. Il est également de tradition de porter la toge à la chapelle.

La semaine d’« initiation » s’est pour sa part transformée en semaine d’accueil dans la plupart des établissements. Les activités d’initiation des nouveaux ont cédé leur place à des activités de financement au profit de la collectivité, comme l’opération Shinerama, dans le cadre de laquelle les étudiants de 60 universités et collèges du Canada récoltent des fonds pour la Fondation canadienne de la fibrose kystique.

La semaine d’accueil comporte souvent un volet « retrouvailles » destiné à resserrer les liens entre les anciens et l’université. Cette année, souligne Mme Howland, l’Université du Nouveau-Brunswick a d’ailleurs réinstauré l’appellation de « retrouvailles » et déplacé l’exercice à l’automne afin de créer un sentiment de communauté entre anciens et étudiants.

Bref, les traditions qui survivent le mieux sont celles qui sont significatives et ouvertes à tous, ou celles que tout le monde apprécie. Le jour de l’halloween, les étudiants de l’Université du Nouveau-Brunswick balancent des citrouilles du toit de la Harrison House, une des résidences de l’établissement. Avec le temps, cette coutume qui date de 1973, a fini par donner naissance à des festivités qui durent toute une semaine. Les étudiants, apparemment, ne s’en passeraient pour rien au monde.

L’« E plant », Université de la Saskatchewan

Aujourd’hui disparue, la tradition dite de l’« E plant », visait à exprimer la rivalité entre les étudiants en génie et les étudiants en agriculture de l’Université de la Saskatchewan. Les étudiants en génie kidnappaient un étudiant en agriculture et, avec du ruban adhésif, l’attachaient à un énorme E (comme dans « Engineering »), qui était ensuite « planté » dans un endroit public sur le campus. Les étudiants en agriculture tentaient de libérer leur confrère et le camp adverse, de les en empêcher. Il en résultait une mêlée générale, certes soumise à des règles, mais qui n’empêchait pas les étudiants en génie de s’enduire de vaseline afin d’être quasi insaisissables.
Source : Melana Soroka, Université de la Saskatchewan.

Cérémonie catholique, Université de Montréal

En 1953, les étudiants à l’Université de Montréal suivent un rite d’initiation qui souligne l’emprise de la religion catholique. L’initiation débute avec la messe du Saint-Esprit à l’église Saint-Germain d’Outremont. Ensuite, les étudiants sont convoqués au restaurant Chez Valère, où les repas, préparés par les étudiantes en diététique, sont servis dans des petites boîtes scellées qu’on ira ouvrir sur la montagne. Suivent une projection et un discours du recteur, Mgr Olivier Maurault. Après avoir été invités à baiser la bague du chancelier de l’Université, le cardinal Paul-Émile Léger, on demande aux nouveaux venus de signer le livre d’or. Le Chant des Escholiers et le Ô Canada sont chantés à plusieurs reprises. Le tout se termine par la bénédiction paternelle du cardinal.
Source : Forum (Université de Montréal), 5 septembre 2000.

Rédigé par
Daniel Drolet
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