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Zoom sur la recherche

Les concours de photos gagnent en popularité et sont perçus comme un puissant outil pour faire connaître la recherche.

par NATALIE SAMSON | 28 JUIN 23

Chaque été pendant cinq ans, Kayla Buhler a parcouru les terres entre Saskatoon et le Nunavut pour observer des hardes de renards arctiques dans le cadre de son doctorat en microbiologie vétérinaire. Consciente qu’il s’agissait d’une expérience hors du commun – bien peu de ses collègues de l’Université de la Saskatchewan avaient eu la chance de côtoyer la faune du Grand Nord et, assurément, peu de ses proches saisissaient la nature de son travail de doctorante – elle a commencé à apporter son appareil photo. Ses photos offraient à ses proches une fenêtre sur son quotidien nordique.

Lors d’une de ces expéditions sur le terrain l’été dernier, elle a réussi à photographier un renardeau arctique de près. « J’étais devenue fascinée par les cris du renard arctique et j’avais appris à en imiter certains », explique-t-elle. Près d’une de leurs tanières, elle a tenté d’en faire un. Quel ne fut pas son ravissement d’apercevoir alors un renardeau sortir, intrigué par le petit jappement! Non seulement la photo qu’elle a prise à ce moment-là est l’une de ses préférées, mais elle lui a aussi valu une récompense : ce printemps, Mme Buhler était la finaliste du concours Images of Research de l’Université de la Saskatchewan, dans la catégorie recherche en action.

Lancé en 2015, le concours cherche à changer la perception publique du milieu universitaire. En effet, Daniel Hallen, qui coordonne l’initiative depuis le bureau du vice-recteur à la recherche de l’Université de la Saskatchewan, estime que pour beaucoup, la quête de connaissances peut sembler inaccessible, difficile ou carrément mystique, et ce, même pour les universitaires.

« Le concours met en valeur non seulement l’étendue et la profondeur de travaux de recherche révolutionnaires, mais aussi la beauté qui en émane », souligne-t-il.

Le personnel enseignant et non enseignant, la population étudiante et les diplômé.e.s peuvent soumettre des images illustrant leurs activités de recherche pour l’établissement, accompagnées d’un titre accrocheur et d’une description de 120 mots.

En plus d’être finaliste de la catégorie recherche en action, Mme Buhler a remporté la première place dans deux autres catégories avec ses photos qui représentaient l’oeil d’un renard en gros plan (recherche et société) et une vue à vol d’oiseau (par drone) de son équipe de recherche traversant les lacs gelés en motoneige au début du dégel printanier (grand prix). L’argent est un bon facteur de motivation, dit-elleu : ses récompenses lui ont permis de payer une partie de ses frais de déménagement vers l’Université des sciences appliquées de la Norvège, où elle est maintenant postdoctorante. Cependant, c’est la visibilité auprès du public qui lui est vraiment bénéfique à long terme.

Et l’Université en profite aussi. Maintenant, l’établissement utilise plusieurs des images gagnantes et leur histoire lors de campagnes de communication de tout acabit, des bannières sur le campus aux arrière-plans utilisés sur le site Web, en passant par des documents imprimés ou encore des campagnes numériques de financement.


Un tableau inquiétant, Haolun Tian (Université Queen’s) Lauréat, Prix du jury Science Exposed 2022
Prise par un drone, cette photo montre une équipe en train de prélever des échantillons d’eau au milieu d’une prolifération d’algues au lac Dog, en Ontario. « Ces magnifiques torsades qui rappellent des coups de pinceau cachent une réalité inquiétante : une "soupe aux pois" nauséabonde et nocive qui finira par asphyxier les poissons et les autres organismes aquatiques lorsqu’elle se décomposera en automne », explique le doctorant dans sa proposition. L’équipe combine la surveillance par drones et l’analyse de l’ADN environnemental pour rapidement évaluer l’évolution des proliférations d’algues causées par l’activité humaine.

What does the fox say?, Kayla Buhler (Université de la Saskatchewan) Finaliste, catégorie Recherche en action USask Images of Research 2023
Après avoir écouté les sons particuliers produits par des renards arctiques et leurs renardeaux, Mme Buhler a réussi à attirer un renardeau hors de sa tanière en les imitant.

Treading on Thin Ice, Kayla Buhler (Université de la Saskatchewan) Grand prix USask Images of Research 2023
Cette photo prise à l’aide d’un drone montre les membres d’une équipe de recherche sur les maladies de la faune traversant en motoneige les glaces de la toundra arctique qui fondent rapidement.

Rosette d’Arabette, Denise Chabot (Agriculture et Agroalimentaire Canada) Lauréate, Prix du jury La preuve par l’image 2022
Ce montage végétal microscopique met en vedette l’Arabette des dames, qui pousse naturellement sous cette forme de rosette. L’Arabidopsis Thaliana est une candidate idéale pour la biologie végétale, car son cycle de vie est très rapide, soit six semaines. « Chacune des feuilles est issue d’une recherche particulière s’intéressant entre autres à sa physiologie, sa génétique, sa résistance aux maladies et aux intempéries, sa reproduction ou sa production de semences », écrit la chercheuse du gouvernement fédéral dans sa proposition.

Research in action, Aleksandra Dolezal (Université de Guelph) Lauréate, Meilleure photo U of G Through the Lens 2022
Étudiante aux cycles supérieurs, Lorraine Vandermyden est devant un champ de maïs et tient un filet fauchoir, un instrument utilisé pour prélever des insectes.

So you say you want to be a vet?, Ruth MacLean (Université de la Saskatchewan) Lauréate, catégorie Meilleure description USask Images of Research 2023
Exaspérée par le froid de la fin de l’hiver alors qu’elle s’occupait d’une jument au pelage gelé dans un enclos des Prairies, l’étudiante-vétérinaire et photographe a résumé la situation ainsi :
« Devant moi se tenait un animal magnifique dont la température corporelle avait littéralement transformé le froid mordant ambiant en glace. Il n’en fallait pas plus pour que je tombe une fois de plus en amour! »

Et la lumière fut pour l’escargot, Rebecca Osborne (Université de Guelph) Lauréate, Prix du jury et Prix du public Science Exposed 2022
Une image photomacrographique prise en accéléré d’embryons d’escargots d’eau douce âgés de trois jours. Les petits points noirs sont les pédoncules oculaires avec lesquels les escargots perçoivent la lumière, la pression et les signaux chimiques.

George Konana Collecting Ice, Saskia de Wildt (Université Queen’s) Lauréate, catégorie Communautés créatives et durables Queen’s Art of Research 2022
Pendant une excursion sur le terrain à Gjoa Haven, au Nunavut, la doctorante Saskia de Wildt a pris cette photo de George Konana, un habitant de la région, qui casse un morceau de glace d’un lac gelé pour faire son thé. La chercheuse se trouvait au Nunavut dans le cadre du programme BearWatch, qui fait appel à la participation des communautés inuites pour suivre les ours polaires.

In her reflection, Kayla Buhler (Université de la Saskatchewan) Lauréate, catégorie Recherche et société USask Images of Research 2023
L’équipe de recherche a prélevé du sang et d’autres échantillons provenant de ce renard sous sédatif au Nunavut. Les échantillons recueillis permettent d’évaluer les risques de transmission de maladie aux chiens et aux gens de la communauté. « Son état de santé est le reflet de notre état de santé », a écrit Mme Buhler lorsqu’elle a soumis la photo au concours.

Mars tire son chapeau à l’Arctique, Éloïse Brassard (Université de Sherbrooke) Lauréate, Prix du jury et Prix du public La preuve par l’image 2022
Dans cette photographie de glaciers entourés de formations rocheuses prise sur l’île Axel Heiberg au Nunavut, les zones jaunes-orangées représentent des « chapeaux de fer », soit des dépôts de surface, riches en fer oxydé, témoignant d’un milieu acide, propice à l’établissement de certaines formes de vie. On y voit aussi un minéral dont la structure cristalline peut conserver des traces de vie : la jarosite, un biomarqueur retrouvé sur la planète Mars!

Un vitrail de gouttelettes multicolores, Zhao Pan (Université de Waterloo) et Floriane Weyner (Université libre de Bruxelles) Lauréat.e.s, Prix du jury, Science Exposed 2022
Inspirée par l’observation de grosses gouttelettes retenues aux extrémités fourchues des feuilles de cyprès, l’équipe de recherche a constaté que deux fibres croisées pouvaient retenir beaucoup plus d’eau à leur point d’intersection qu’une simple fibre placée à l’horizontale. À mesure que l’angle entre les fibres qui se croisent diminue, le volume des gouttelettes qui s’y forment augmente.

Hunger Games: May the Neurons be Ever in Your “Flavour”, Narsimha Pujari (Université de la Saskatchewan) Lauréat, catégorie Univers caché USask Images of Research 2023
Captée à partir d’un microscope confocal, cette image du cerveau d’une mouche à fruits montre six neurones (en vert), dont les axones s’étirent comme une longue queue. Le doctorant en sciences biomédicales a expliqué que les neurones des mouches à fruits se comportent comme l’hypothalamus et l’hypophyse du cerveau humain qui gèrent une large gamme de fonctions corporelles, telles que manger et dormir. Cette similitude est d’ailleurs ce qui pousse le chercheur à espérer que les mouches à fruits puissent contribuer à décrypter les mystères du cerveau humain.

Versant vert dans les tourbières, Charles Picard-Krashevski (Université de Montréal) Lauréat, prix Humains-Nature, La preuve par l’image 2022
Dans une tourbière nichée dans le parc national du Mont-Tremblant, des botanistes identifient toutes les espèces végétales d’une parcelle de 400 m2 afin d’évaluer les impacts des changements climatiques. Ce qui est généralement une tâche fastidieuse nécessitant environ trois heures de travail pourrait un jour ne demander qu’une vingtaine de minutes en partant d’images captées par un drone qui seraient ensuite analysées par l’intelligence artificielle.

Liquid gold, Amanda Liczner (Université de Guelph) Lauréate, catégorie Corps professoral et personnel et choix de la communauté U of G Through the Lens 2022
Cette reine bourdon est dotée d’un radio-identifiant. Ses mouvements sont donc suivis dans le cadre d’une étude sur les pesticides et leurs effets sur les capacités de vol des bourdons qui sont d’importants pollinisateurs actuellement menacés. Dans cette image, la reine butine du nectar, considéré comme de l’or liquide, dans un champ de pissenlits.

Tiny Crystals, Maryanne Stones (Université de Guelph) Finaliste, catégorie Corps professoral et personnel U of G Through the Lens 2022
Dans sa description, Mme Stones, postdoctorante au sein du Tremaine Research Group, explique que cette image de microscopie électronique à balayage, permet de voir un nouveau sulfate de nickel formé à température élevée en milieu aqueux. Ce cristal conçu en laboratoire a servi dans un projet portant sur la chimie de la corrosion dans les réacteurs nucléaires.


Il y a longtemps que la photographie est une alliée précieuse du monde du savoir, que ce soit pour transmettre des connaissances ou faciliter la communication scientifique. Ce qui profite aux concours d’images scientifiques comme celui de l’Université de la Saskatchewan, toutefois, c’est l’omniprésence des téléphones intelligents et des applications de retouche photo, ainsi que l’essor des plateformes de médias sociaux comme Instagram, qui ont stimulé l’intérêt du public pour l’image et les interactions avec ce médium.

En 2010, l’Acfas, un organisme qui promeut la recherche et la culture scientifique dans l’espace francophone, a lancé un concours intitulé La preuve par l’image, en écho à la place croissante de l’image en sciences et dans les subventions publiques, explique la responsable du concours de l’organisme, Johanne Lebel. Elle ajoute que l’Acfas a choisi ce médium pour accrocher le grand public, à cause de sa capacité à susciter l’émotion, la surprise ou la réflexion.

La preuve par l’image est maintenant le concours d’images issues de recherches scientifiques le plus connu et le plus vieux au pays. L’organisme s’est associé en 2011 à la populaire émission scientifique Découverte diffusée sur les ondes de Radio-Canada pour faire connaître la catégorie du choix du public. En 2015, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) a approché l’Acfas pour s’associer au concours par, entre autres, l’ajout d’un volet anglophone, sous le nom Science Exposed.

Les deux volets acceptent les candidatures de toute personne qui réalise des travaux de recherche dans un centre de recherche ou un établissement postsecondaire privé ou public au Canada. Tous les types d’images (photographies en tout genre, images produites par instrument optique ou électronique, images de synthèse, images issues de la modélisation, dessins, schémas, etc.) sont acceptés, tant que l’image est en lien direct avec les travaux de recherche et qu’elle est accompagnée d’un titre et d’une description vulgarisée. Le jury choisit 20 images pour chacun des volets, selon leur qualité visuelle et leur capacité à illustrer la recherche.

Le concours offre aussi les récompenses les plus élevées parmi les initiatives du genre au pays : le volet francophone décerne cinq prix de 2 000 dollars chacun, financés par le CRSNG, Radio-Canada et Espace pour la vie, une organisation qui chapeaute des musées de sciences naturelles montréalais. Le volet anglophone, financé par le CRSNG, décerne quatre prix de 2 000 dollars.

Les images gagnantes ont été exposées lors d’activités et dans des musées, des établissements postsecondaires, des bibliothèques et des galeries de partout au pays. Elles ont été imprimées sur des cartes à collectionner, utilisées comme fonds d’écrans de téléphone ou encore converties en cartes du temps des Fêtes pour le bureau de la conseillère scientifique en chef du Canada. En 2021, certaines des images ont été exposées en plein air au pont Plaza, au centre-ville d’Ottawa. Ce printemps, pour le centenaire de l’Acfas, on a projeté chaque soir pendant un mois des images de toutes les éditions de La preuve par l’image sur le bâtiment principal de l’Université du Québec à Montréal.

De l’air intrigué d’un renardeau aux motifs délicats d’un embryon de gastropode d’eau douce, les images scientifiques permettent d’illustrer concrètement des problèmes complexes comme les zoonoses et les changements climatiques auprès du grand public. De plus en plus d’universités, d’associations savantes et d’organismes de financement de la recherche au Canada mettent sur pied des concours d’images issues de la recherche. On en retrouve maintenant à l’Université de Calgary, à l’Université Queen’s, à l’Université du Nouveau-Brunswick et à l’Université de Guelph. Les facultés et les départements s’y mettent aussi : la Faculté des arts et des sciences de l’Université Concordia et l’École de génie Lassonde de l’Université York, par exemple, ont lancé leurs propres concours.

Avec 143 images reçues et plus de 2 250 votes dans la catégorie du choix du public, le concours de l’Université de la Saskatchewan en est à son édition la plus courue jusqu’à maintenant. Il s’agit d’une hausse de 50 % par rapport aux premières années du concours et du double des chiffres de 2021. La participation devrait continuer d’augmenter, au fur et à mesure que les chercheurs et chercheuses saisiront la valeur de ces initiatives, avance M. Hallen. Une participation accrue qu’il appuiera avec grande joie, pour faire connaître les histoires de recherche au grand public. « C’est un privilège de contribuer à offrir cette fenêtre sur la recherche au monde entier. »

Rédigé par
Natalie Samson
Natalie Samson est la rédactrice en chef adjointe pour Affaires Universitaires.
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