Chaque été pendant cinq ans, Kayla Buhler a parcouru les terres entre Saskatoon et le Nunavut pour observer des hardes de renards arctiques dans le cadre de son doctorat en microbiologie vétérinaire. Consciente qu’il s’agissait d’une expérience hors du commun – bien peu de ses collègues de l’Université de la Saskatchewan avaient eu la chance de côtoyer la faune du Grand Nord et, assurément, peu de ses proches saisissaient la nature de son travail de doctorante – elle a commencé à apporter son appareil photo. Ses photos offraient à ses proches une fenêtre sur son quotidien nordique.
Lors d’une de ces expéditions sur le terrain l’été dernier, elle a réussi à photographier un renardeau arctique de près. « J’étais devenue fascinée par les cris du renard arctique et j’avais appris à en imiter certains », explique-t-elle. Près d’une de leurs tanières, elle a tenté d’en faire un. Quel ne fut pas son ravissement d’apercevoir alors un renardeau sortir, intrigué par le petit jappement! Non seulement la photo qu’elle a prise à ce moment-là est l’une de ses préférées, mais elle lui a aussi valu une récompense : ce printemps, Mme Buhler était la finaliste du concours Images of Research de l’Université de la Saskatchewan, dans la catégorie recherche en action.
Lancé en 2015, le concours cherche à changer la perception publique du milieu universitaire. En effet, Daniel Hallen, qui coordonne l’initiative depuis le bureau du vice-recteur à la recherche de l’Université de la Saskatchewan, estime que pour beaucoup, la quête de connaissances peut sembler inaccessible, difficile ou carrément mystique, et ce, même pour les universitaires.
« Le concours met en valeur non seulement l’étendue et la profondeur de travaux de recherche révolutionnaires, mais aussi la beauté qui en émane », souligne-t-il.
Le personnel enseignant et non enseignant, la population étudiante et les diplômé.e.s peuvent soumettre des images illustrant leurs activités de recherche pour l’établissement, accompagnées d’un titre accrocheur et d’une description de 120 mots.
En plus d’être finaliste de la catégorie recherche en action, Mme Buhler a remporté la première place dans deux autres catégories avec ses photos qui représentaient l’oeil d’un renard en gros plan (recherche et société) et une vue à vol d’oiseau (par drone) de son équipe de recherche traversant les lacs gelés en motoneige au début du dégel printanier (grand prix). L’argent est un bon facteur de motivation, dit-elleu : ses récompenses lui ont permis de payer une partie de ses frais de déménagement vers l’Université des sciences appliquées de la Norvège, où elle est maintenant postdoctorante. Cependant, c’est la visibilité auprès du public qui lui est vraiment bénéfique à long terme.
Et l’Université en profite aussi. Maintenant, l’établissement utilise plusieurs des images gagnantes et leur histoire lors de campagnes de communication de tout acabit, des bannières sur le campus aux arrière-plans utilisés sur le site Web, en passant par des documents imprimés ou encore des campagnes numériques de financement.
Il y a longtemps que la photographie est une alliée précieuse du monde du savoir, que ce soit pour transmettre des connaissances ou faciliter la communication scientifique. Ce qui profite aux concours d’images scientifiques comme celui de l’Université de la Saskatchewan, toutefois, c’est l’omniprésence des téléphones intelligents et des applications de retouche photo, ainsi que l’essor des plateformes de médias sociaux comme Instagram, qui ont stimulé l’intérêt du public pour l’image et les interactions avec ce médium.
En 2010, l’Acfas, un organisme qui promeut la recherche et la culture scientifique dans l’espace francophone, a lancé un concours intitulé La preuve par l’image, en écho à la place croissante de l’image en sciences et dans les subventions publiques, explique la responsable du concours de l’organisme, Johanne Lebel. Elle ajoute que l’Acfas a choisi ce médium pour accrocher le grand public, à cause de sa capacité à susciter l’émotion, la surprise ou la réflexion.
La preuve par l’image est maintenant le concours d’images issues de recherches scientifiques le plus connu et le plus vieux au pays. L’organisme s’est associé en 2011 à la populaire émission scientifique Découverte diffusée sur les ondes de Radio-Canada pour faire connaître la catégorie du choix du public. En 2015, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) a approché l’Acfas pour s’associer au concours par, entre autres, l’ajout d’un volet anglophone, sous le nom Science Exposed.
Les deux volets acceptent les candidatures de toute personne qui réalise des travaux de recherche dans un centre de recherche ou un établissement postsecondaire privé ou public au Canada. Tous les types d’images (photographies en tout genre, images produites par instrument optique ou électronique, images de synthèse, images issues de la modélisation, dessins, schémas, etc.) sont acceptés, tant que l’image est en lien direct avec les travaux de recherche et qu’elle est accompagnée d’un titre et d’une description vulgarisée. Le jury choisit 20 images pour chacun des volets, selon leur qualité visuelle et leur capacité à illustrer la recherche.
Le concours offre aussi les récompenses les plus élevées parmi les initiatives du genre au pays : le volet francophone décerne cinq prix de 2 000 dollars chacun, financés par le CRSNG, Radio-Canada et Espace pour la vie, une organisation qui chapeaute des musées de sciences naturelles montréalais. Le volet anglophone, financé par le CRSNG, décerne quatre prix de 2 000 dollars.
Les images gagnantes ont été exposées lors d’activités et dans des musées, des établissements postsecondaires, des bibliothèques et des galeries de partout au pays. Elles ont été imprimées sur des cartes à collectionner, utilisées comme fonds d’écrans de téléphone ou encore converties en cartes du temps des Fêtes pour le bureau de la conseillère scientifique en chef du Canada. En 2021, certaines des images ont été exposées en plein air au pont Plaza, au centre-ville d’Ottawa. Ce printemps, pour le centenaire de l’Acfas, on a projeté chaque soir pendant un mois des images de toutes les éditions de La preuve par l’image sur le bâtiment principal de l’Université du Québec à Montréal.
De l’air intrigué d’un renardeau aux motifs délicats d’un embryon de gastropode d’eau douce, les images scientifiques permettent d’illustrer concrètement des problèmes complexes comme les zoonoses et les changements climatiques auprès du grand public. De plus en plus d’universités, d’associations savantes et d’organismes de financement de la recherche au Canada mettent sur pied des concours d’images issues de la recherche. On en retrouve maintenant à l’Université de Calgary, à l’Université Queen’s, à l’Université du Nouveau-Brunswick et à l’Université de Guelph. Les facultés et les départements s’y mettent aussi : la Faculté des arts et des sciences de l’Université Concordia et l’École de génie Lassonde de l’Université York, par exemple, ont lancé leurs propres concours.
Avec 143 images reçues et plus de 2 250 votes dans la catégorie du choix du public, le concours de l’Université de la Saskatchewan en est à son édition la plus courue jusqu’à maintenant. Il s’agit d’une hausse de 50 % par rapport aux premières années du concours et du double des chiffres de 2021. La participation devrait continuer d’augmenter, au fur et à mesure que les chercheurs et chercheuses saisiront la valeur de ces initiatives, avance M. Hallen. Une participation accrue qu’il appuiera avec grande joie, pour faire connaître les histoires de recherche au grand public. « C’est un privilège de contribuer à offrir cette fenêtre sur la recherche au monde entier. »