« J’étais déjà éco-anxieux il y a 50 ans! », raconte le biologiste Claude Villeneuve, qui aurait pu devenir, jeune adulte, militant environnementaliste mais a préféré la voie de la recherche, plus efficace, assure-t-il. Sa philosophie? « Mieux vaut être assis à côté du conducteur du bulldozer plutôt que de taper avec une pancarte sur l’engin. »
Grâce à son engagement et à ses travaux, l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) a lancé en 2003 la toute première Chaire en éco-conseil qui forme des conseillers et conseillères en environnement aptes à accompagner les entreprises, individus et gouvernements dans l’intégration du développement durable à leurs pratiques.
Rio Tinto Alcan, le groupe Boisaco, ou encore les villes de Québec et de Montréal ont un point commun : tous ont utilisé la grille d’analyse de développement durable (GADD) développée par la Chaire en éco-conseil de l’UQAC.
« On ne peut pas changer ce qu’on ne peut pas mesurer », fait valoir M.Villeneuve en évoquant fièrement le document d’analyse systémique de durabilité dont il a été l’instigateur. Gratuit et accessible à tous, l’outil d’analyse continue de faire le tour du monde, se réjouit-il.
Il a même été reconnu par les Nations Unies en 2017 pour aider les pays à mettre en œuvre le Programme de développement durable à l’horizon 2030.
Avec le recul, M. Villeneuve constate que « les gens sont prêts à faire aujourd’hui ce qu’on recommandait il y a 30 ans ».
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Essor de la conscience environnementale
Visionnaire, ce biologiste établi au Lac-Saint-Jean s’est emparé avant l’heure de nombreux enjeux liés à l’environnement et à la biodiversité qui se sont avérés incontournables quand la prise de conscience sociétale s’est étendue.
En 1983, il publie son premier livre, Des animaux malades de l’homme? sur les méfaits de la surexploitation animale au Québec. Séduite par son discours scientifique, la direction de la formation continue du ministère de l’Éducation le sollicite alors pour concevoir le tout premier cours par correspondance en environnement. « Un franc succès avec plus de 1 000 inscrit.e.s », se souvient-il, en rappelant que dans les années 1980, la question climatique était bien prégnante.
M. Villeneuve cite en exemple le rapport Brundtland sur les générations futures, publié en 1987. Officiellement intitulé Notre avenir à tous (Our Common Future), ce texte utilise pour la première fois la notion d’un développement soutenable, ou durable. Un an plus tard, la communauté scientifique se structure autour du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) à la demande du G7. La longue marche contre la crise climatique est lancée. M. Villeneuve œuvrera à ce que le Québec la rejoigne par le truchement de l’enseignement supérieur.
« On s’est dit à ce moment-là qu’il fallait enseigner l’idée du développement durable », se souvient-il. Pas question, toutefois, « de jeter le bébé avec l’eau du bain » en dénigrant en bloc les progrès techniques, économiques et sociaux, autrement dit « l’amélioration de la santé globale, l’augmentation de l’espérance de vie, la diminution de la grande pauvreté », cite-t-il.
De l’expérimentation à la chaire de recherche
En 1988, le biologiste se charge de l’expérimentation d’un nouveau cours offert par l’Université du Québec à Chicoutimi intitulé Biosphère, ressources et sociétés où une trentaine d’étudiant.e.s « assez réveillé.e.s » planchent sur une approche multidisciplinaire de l’environnement. Naît, par leur curiosité, l’idée d’une région-laboratoire en développement durable au Lac-Saint-Jean, poursuit le professeur également doué pour insuffler un rayonnement international à son travail.
Il a dirigé l’Institut européen pour le Conseil en environnement de Strasbourg en 1993-1994, mais a aussi été consultant accrédité auprès de l’UNESCO et du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Dans les années 1990, il a participé à la création de l’Université d’été internationale sur l’environnement et le développement durable, une autre étape déterminante vers la fondation future de la Chaire de recherche en éco-conseil. Mais il faudra attendre 2001 pour que celle-ci voie le jour grâce à un financement du Fonds d’action québécois pour le développement durable.
«De 10 étudiant.e.s à la première cohorte, nous sommes passés au double l’année suivante, relate M. Villeneuve. Au vu du succès, l’UQAC a très vite décidé d’en faire un programme permanent. Et depuis 2008, nous offrons des programmes courts à distance. »
Un prix à point nommé
En tant que vulgarisateur, le professeur a publié 13 livres et de nombreux articles scientifiques. Si son travail lui a valu diverses récompenses – dont celle de « scientifique de l’année 2001 » – il reconnaît que le prix Acfas Pierre-Dansereau pour l’engagement social lui tient particulièrement à cœur…une question d’amitié et d’affinités intellectuelles. Cette récompense, qui souligne l’excellence et le rayonnement des travaux d’un chercheur ou d’une chercheuse ayant contribué à améliorer la qualité de la vie en société, a été créée en 2012 en l’honneur de Pierre Dansereau, pionnier…de l’écologie!
« J’ai beaucoup d’admiration pour Pierre Dansereau; nous nous sommes côtoyés pendant une vingtaine d’années, il est venu enseigner à mes étudiant.e.s en 2002 et nous nous sommes dédicacés mutuellement des livres. Ce prix s’inscrit dans une lignée logique », glisse M. Villeneuve, qui fut également membre du conseil d’administration de l’Acfas dans les années 2000.
Le prix lui est décerné à point nommé cette année, poursuit-il : « Il y a 50 ans précisément, j’entrais à l’Université [du Québec à] Chicoutimi (en baccalauréat de biologie) et c’est grâce à l’Acfas que j’ai donné ma première communication universitaire. »
En lui remettant le prix lors du Gala de l’Acfas le 24 novembre dernier, l’organisation a souligné « un legs plutôt rare » avec la création du nouveau métier d’éco-conseiller. « Voilà un scientifique d’emblée convaincu que l’éducation est bien la seule manière pacifique et constructive d’amener les humains à exprimer le meilleur de leur Nature », a salué le jury.
Énième preuve que Claude Villeneuve sait mettre en pratique ses convictions environnementales, il promet de verser les 5 000 de dollars offerts en bourse à Carbone boréal, une infrastructure de recherche de l’UQAC dont il est directeur et qui permet aux organisations, comme aux individus, de compenser leurs émissions de gaz à effet de serre en plantant des arbres.