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Faire résonner la science dans un contexte pour le moins compliqué

Lyne Sauvageau, experte en santé publique, expose les défis rencontrés par l’IRSST pour conseiller les instances publiques en termes de santé et sécurité dans le milieu du travail.

par SAMUEL SAUVAGEAU-AUDET | 23 NOV 22

« Développer des connaissances scientifiques et les rendre disponibles pour les milieux de travail au Québec » est au cœur du mandat de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et sécurité du travail (IRSST), explique l’actuelle présidente-directrice générale, Lyne Sauvageau. La scientifique s’est entretenue avec Affaires universitaires pour apporter un nouvel éclairage au rôle spécifique de l’IRSST en matière de recommandation publique, notamment pendant la pandémie.

L’Institut qu’elle préside dote les milieux de travail québécois de nouvelles connaissances sur les risques que peuvent rencontrer les travailleuses et travailleurs, et ce, dans l’ensemble des secteurs. L’IRSST a donc une « mission particulière », qui prend racine dans la recherche appliquée, explique Mme Sauvageau.

Elle a pris les rênes de l’IRSST à l’automne 2019, soit quelques mois à peine avant l’éclosion de la COVID-19 au pays. Au même moment, la chercheuse œuvrait également au sein de l’Acfas en tant présidente, une fonction qu’elle a occupée de 2018 à 2021. Au cours de cette période, Mme Sauvageau a directement été témoin des conséquences causées par la crise sanitaire. En effet, à l’Acfas comme à l’IRSST, elle a assisté à l’évolution rapide de la COVID, qui a enclenché, voire même forcé, une réorganisation sur plusieurs niveaux dans un but d’adaptation.

Recommander en temps de pandémie

Pendant cette période, la majorité des chercheurs et chercheuses de l’Institut ont dû cesser de faire de la recherche. À l’IRSST, « tout était fermé », précise l’ancienne présidente de l’Acfas. Les laboratoires de recherche permettant d’effectuer des analyses étaient pour la plupart devenus inaccessibles. « Cela nous a obligé.e.s à travailler autrement », ajoute Mme Sauvageau.

Malgré certaines restrictions empêchant le retour au travail de bon nombre d’employé.e.s, l’IRSST a tout de même été reconnu par le gouvernement comme étant un service essentiel. La raison : l’expertise des chercheurs et chercheuses était nécessaire pour tester l’afflux de masques étrangers au Québec. « Pendant la COVID-19, nous avons testé tous les masques qui sont arrivés au Québec pour le gouvernement. On parle ici notamment d’expertise en ventilation et en filtration, ce que nous avons à l’IRSST », explique-t-elle en qualifiant cette situation de « fait cocasse ».

« Pendant la COVID-19, nous avons testé tous les masques qui sont arrivés au Québec pour le gouvernement. On parle ici notamment d’expertise en ventilation, en filtration, ce que nous avons à l’IRSST »

« Ce genre d’organisation est assez rare au Canada ou en Amérique du Nord. Ce que nous avons fait montre le genre de contribution que l’IRSST peut apporter […] Du jour au lendemain, nous nous sommes organisé.e.s afin de pouvoir faire cette recommandation et nous avons fait preuve de proactivité et de réactivité en ce qui concerne le volet des conseils sanitaires en lien avec le milieu de travail », ajoute la scientifique.

D’après elle, malgré le retard dans l’achat et la réception des masques, ceux qui ont été distribués dans les milieux de travail québécois et dans le milieu de la santé étaient des masques de « qualité », qui avait été préalablement approuvé par l’Institut, et ce, de façon rigoureuse.

Une zone d’incertitude

Contrairement à ses habitudes, ces circonstances exceptionnelles ont poussé la communauté de la recherche à émettre des avis, même lorsqu’il était impossible d’enrayer tous les facteurs méconnus. « En effet, les chercheurs et chercheuses sont habitué.e.s à faire des recommandations après avoir eu la certitude que tout est sûr et connu », fait valoir la présidente-directrice générale. Dans des situations comme la pandémie, la société se retrouve devant un risque dont les « paramètres de protection » et le risque lui-même restent inconnus.

« Du jour au lendemain, nous nous sommes organisé.e.s afin de pouvoir faire cette recommandation et nous avons fait preuve de proactivité et de réactivité. »

Cette nouvelle réalité contribuerait d’ailleurs à l’un des grands défis de l’IRSST en ce qui concerne la « façon » de jouer un « rôle » d’expert auprès des pouvoirs publics. « Faire des recommandations avec de grosses zones d’incertitude quant aux niveaux de connaissances n’était pas un positionnement habituel. Les chercheurs et chercheuses ne sont habituellement pas vraiment à l’aise pour faire ça », ajoute-t ‐elle.

Malgré tout, Mme Sauvageau estime que les chercheurs et chercheuses ainsi que les professionnel.le.s scientifiques demeurent les « mieux placé.e.s » pour émettre des recommandations, et ce, en connaissant « clairement » la zone d’incertitude.

Au-delà des recommandations en lien avec la crise sanitaire, l’IRSST œuvre dans plusieurs autres domaines liés au travail. Une équipe se concentre notamment sur les sciences sociales et humaines. Celle-ci tente d’évaluer les « vulnérabilités » et les « risques psychosociaux » associés à un retour au travail « durable » et « réussi », explique Mme Sauvageau.

Ne se limitant pas au contexte pandémique, l’IRSST est entre autres connu pour établir les différentes étapes rendant sécuritaire le retour au travail des travailleurs et travailleuses à la suite d’un accident ou d’une lésion.

Un futur difficile à prévoir

Mme Sauvageau conclut en évoquant le caractère imprévisible de situations telles que la crise sanitaire. « Je dis souvent que l’on n’est pas si bon.ne que ça dans la futurologie de ce qui sera important. Qui aurait pu prédire que le coronavirus, il y a seulement trois ans, allait être quelque chose d’aussi intense? »

« Si l’on commence à choisir un aspect plutôt qu’un autre, on risque de se retrouver à long terme avec des déficits de connaissances dans certains secteurs. »

C’est d’ailleurs pourquoi à son avis le milieu de la recherche est comme un « portefeuille d’investissement », il faut que les financements soient « équilibrés ». « Si l’on commence à choisir un aspect plutôt qu’un autre, on risque de se retrouver à long terme avec des déficits de connaissances dans certains secteurs », estime Mme Sauvageau.

Même si la chercheuse en santé publique trouve qu’il est important de « combler » les besoins avec des investissements « ciblés » il faut tout de même, selon elle, conserver une capacité à « développer assez largement ».

D’après Mme Sauvageau, chaque médaille à son revers. Sachant qu’il est impossible pour la communauté scientifique de prédire ce qui sera nécessaire dans le futur, investir dans un large spectre resterait le « gage d’assurance » d’un avenir rempli de surprises.

Rédigé par
Samuel Sauvageau-Audet
Samuel Sauvageau-Audet est journaliste pigiste francophone pour Affaires universitaires.
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