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Les maux de la thérapie génique

Jadis saluée comme la plus grande découverte depuis les antibiotiques, la thérapie génique s’est rapidement heurtée à des obstacles techniques et éthiques. Cependant, les leçons tirées contribuent à orienter les travaux de la prochaine génération de chercheurs

par DIANA SWIFT | 06 AVRIL 09

Le principe est d’une extrême simplicité : si un gène défec-tueux ou absent cause une maladie, il suffit de le remplacer par une copie en bon état. Ce n’est qu’au début des années 1990 que la thérapie génique élaborée dans les années 1960 suscite de l’espoir pour traiter de nombreuses maladies, de l’arythmie cardiaque au cancer, en passant par la fibrose kystique, la dystrophie musculaire et l’immunodéficience.

Il s’agit de repérer le gène en cause, de concevoir son clone fonctionnel grâce à la technologie de recombinaison de l’ADN et de l’introduire dans l’organisme du patient grâce à des tissus modifiés en laboratoire ou à un virus neutralisé contenant le nouveau gène, qui « infectera » les cellules pour les corriger. Toutefois, des problèmes techniques et éthiques surgis-sent rapidement, et ce prodige biotechno-logique semble momentanément disparaître du monde thérapeutique.

« Comme souvent en sciences, la thérapie génique s’est révélée beaucoup plus ardue qu’on croyait premier abord », se rappelle Jacques Tremblay, chercheur en génétique et professeur spécialisé en dystrophie musculaire à l’Université Laval. Nul doute : il faudra beaucoup de travail minutieux en laboratoire et sur des animaux pour inverser le cours des maladies chez l’humain par un traitement génique.

Tout n’est pourtant pas perdu; la thérapie génique revient dans un nouveau rôle. « On assiste à la fusion du transfert génique et de la régénération au moyen de cellules souches, explique Jonathan Kimmelman, ancien généticien moléculaire et professeur à l’Unité d’éthi-que biomédicale de la Faculté de médecine de l’Université McGill. De nombreuses études sur l’utilisation de la génétique chez l’humain, dont certaines très prometteuses, sont en cours. »

Alors, qu’est-ce qui a étouffé l’espoir, l’enthousiasme et le battage médiatique du début? « L’intégration aléatoire constitue l’un des principaux problèmes », explique M. Tremblay, c’est-à-dire que les gènes ne s’insèrent pas forcément dans le bon segment de l’ADN. Kathleen Hodgkinson, généticienne spécialisée en arythmie cardiaque héréditaire à l’Université Memorial, ajoute : « Même quand un gène s’insère au bon endroit, on ne sait pas quels seront les effets sur les gènes environnants ».

Le transfert génique effectué à Paris en 1999 en est un bon exemple. Onze gar-çons atteints du « syndrome de l’enfant bulle », immunodéficience héréditaire grave, sont traités. L’ADN correctif leur est administré au moyen d’un vecteur rétroviral capable de transcrire du maté-riel génétique dans le noyau d’une cellule. En 2002, neuf des garçons sont guéris, mais deux sont devenus leucémiques.

« Le vecteur s’est inséré près d’un gène associé à la leucémie et en a provoqué l’expression », explique M. Tremblay. En d’autres mots, le traitement a par erreur stimulé un déclencheur du cancer.

Les virus porteurs peuvent égale-ment entraîner de graves réactions immunitaires. En 1999, à la suite du décès de Jesse Gelsinger, un adolescent américain atteint d’un déficit enzymatique causant le cancer du foie, la thérapie génique connaît un véritable recul. Le traitement administré au moyen d’un vecteur adénoviral (virus du rhume) a entraîné une réaction immunitaire foudroyante, et le jeune homme est décédé quatre jours plus tard d’une défaillance de plusieurs organes.

Cet épisode brise les espoirs des patients et des chercheurs trop enthousiastes. Les attentes par rapport au potentiel de cette technologie et à la vitesse d’obtention des résultats sont revues à la baisse.

« Depuis le début, beaucoup de scientifiques sérieux étaient sceptiques et reconnaissaient qu’il faudrait de nombreuses années pour appliquer cette technologie à des interventions médicales efficaces, explique M. Kimmelman, qui rédige actuelle-ment un ouvrage sur le sujet, prévu pour cet automne. Certains restent toutefois déçus que les retombées de cette technologie prometteuse se fassent encore attendre dans le milieu clinique. »

Comme pour toute nouvelle biotech-nologie, les problèmes abondent. Outre l’insertion inexacte des gènes et le risque de réaction immunitaire, de cancer et de toxicité, le traitement peut tout simple-ment échouer à intégrer les gènes théra-peutiques dans la constitution génétique du patient. Il arrive qu’on doive adminis-trer de multiples traitements, augmentant le risque de réaction immunitaire forte en raison d’expositions répétées à des vecteurs étrangers.

De plus, certains enjeux éthiques appellent à la vigilance. D’une part, le traitement peut modifier irrévocablement les cellules du receveur. « Dans le cas de la radiothérapie ou des médicaments, si le patient réagit mal, on peut interrompre le traitement. Après un transfert génique, il est difficile, voire impossible, de retirer le gène, et le patient court le risque de subir des effets négatifs à long terme », explique M. Kimmelman.

Par ailleurs, le transfert génique s’applique difficilement à des maladies mettant en cause plusieurs gènes, comme la maladie d’Alzheimer, l’arthrite, le diabète et l’hypertension artérielle, qui touchent des millions de personnes. Ce traitement est particulièrement adapté aux affections causées par la mutation d’un seul gène, comme la dystrophie musculaire ou un type d’arythmie cardiaque appelé syndrome du QT long, beaucoup plus rares.

En plus des obstacles techniques, on a assisté à la création précipitée d’entreprises dans ce domaine. « L’exploi-tation commerciale a été globalement trop rapide, explique le cardiologue Evangelos Michelakis, directeur de l’unité d’hypertension pulmonaire de l’Université de l’Alberta. Très peu de données probantes ont suscité beaucoup d’enthousiasme. »

Le moindre signe de progrès déclenchait une course à la création d’entreprises et à l’annonce d’essais cliniques visant à attirer des fonds colossaux. « Les protagonistes du monde des affaires et de l’industrie exigeaient l’accélération du processus sans réellement savoir de quoi il s’agissait », se rappelle le Dr Michelakis.

Ce dernier affirme aussi que la recherche était souvent menée de façon simpliste, isolée et non intégrée. Il n’y avait ni continuité ni orientation stratégique globale. « Chaque équipe n’avait en tête qu’une seule et unique voie », précise-t-il.

Où en sommes-nous maintenant? « L’avenir est dans le transfert de cellules souches génétiquement modifiées en laboratoire », entrevoit M. Tremblay. Il prend à témoin la décision de l’American Society of Gene Therapy qui change de nom et s’appellera désormais l’American Society of Gene and Cell Therapy.

Les cellules souches sont des cellules maîtresses qui peuvent se transformer en cellules de tout type pour construire ou reconstituer des tissus comme ceux du cœur, du cerveau et du sang. Il existe deux grands types de cellules souches : les cellules souches embryonnaires, qui font l’objet d’un intense débat éthique puisqu’elles proviennent de tissus fœtaux, et les cellules souches somatiques, tirées de tissus adultes.

Dans ses travaux sur la dystrophie musculaire de Duchenne, causée par l’absence du gène nécessaire à la produc-tion de la dystrophine, une protéine musculaire cruciale, M. Tremblay utilise des cellules souches somatiques appelées cellules satellites. Ces dernières, modifiées pour contenir les instructions génétiques permettant de produire de la dystrophine, sont cultivées en laboratoire, puis implan-tées dans les cellules musculaires du patient. En 2006, l’équipe de M. Tremblay affirme que, après une transplantation, 34 pour cent des cellules musculaires présentent le gène nécessaire à la production de dystrophine, soit le meilleur résultat obtenu jusqu’à maintenant dans le traitement de cette maladie, toutes méthodes confondues.

Toutefois, à la lumière des revers cliniques essuyés par le passé, Santé Canada et le comité d’éthique de l’Université imposent de nouvelles restrictions qui éliminent pratiquement toute possibilité pour l’équipe de M. Tremblay de recruter des patients en vue d’un deuxième essai nécessaire pour confirmer la réussite. En 2008, l’International Society for Stem Cell Research publie également de nouvelles lignes directrices rigides qui insistent sur la validité des données précliniques, l’évaluation par un expert, la supervision par un tiers indépendant, le consentement éclairé s’appuyant sur une information exhaustive et la transparence dans la déclaration des résultats des essais.

Malgré ces obstacles, il y a de l’espoir. « De nombreuses études prometteuses et captivantes sont en cours, et des produits de transfert génique devraient être homo-logués par des organismes de réglemen-tation des médicaments avant longtemps », prévoit M. Kimmelman. La Gendicine, un produit homologué pour traiter les cellules squameuses cancéreuses de la tête et du cou, est déjà disponible en Chine, et plusieurs entreprises occiden-tales ont soumis des données pour obtenir une licence.

L’espoir des cellules souches

Les recherches prennent également d’autres tournures. M. Tremblay nourrit beaucoup d’espoir à l’endroit des cellules souches pluripotentes induites (des cellules souches somatiques modifiées génétiquement pour ressembler à des cellules souches embryonnaires), qui permettraient d’éviter la controverse éthique entourant l’utilisation de cellules fœtales à des fins thérapeutiques.

Début mars, des scientifiques de l’Institut de recherche Samuel-Lunenfeld de l’hôpital Mount Sinaï ont affirmé avoir réussi cette prouesse. L’équipe dirigée par Andras Nagy, professeur de génétique moléculaire à l’Université de Toronto, a reprogrammé des cellules cutanées somatiques pour qu’elles se comportent comme des cellules souches embryonnaires sans utiliser un virus porteur, susceptible de causer le cancer.

Le champ d’études s’élargit égale-ment pour inclure le domaine très pro-metteur de la thérapie génomique, qui consiste à utiliser des médicaments ou d’autres technologies nouvelles pour rétablir les gènes défectueux.

Mais l’orgueil des premiers temps a-t-il fait place à l’humilité dans le milieu de la recherche? « Je l’espère », répond M. Kimmelman. Il signale qu’on com-prend mieux aujourd’hui la nécessité de recueillir de solides données préclini-ques, d’obtenir du patient un consente-ment pleinement éclairé et de prendre en main les conflits d’intérêts de nature financière. Par ailleurs, les attentes par rapport au temps requis pour transformer des concepts scientifiques en applications médicales efficaces sont véritablement plus réalistes qu’avant.

« Il faut plus de trois à cinq ans pour y arriver, explique-t-il. On n’a qu’à songer aux greffes d’organes. Il a fallu des décen-nies de travail pour mettre au point les médicaments immunodépresseurs nécessaires aux transplantations. »

Sans vouloir susciter de faux espoirs, certains chercheurs prévoient un brillant avenir au trio constitué par les thérapies génique, cellulaire et génomique. Les leçons du passé et des lignes directrices strictes fourniront certainement des balises claires.

dna strand

Les moments marquants de la thérapie génique

Années 1960

L’évolution du marquage génétique des lignées cellulaires donne naissance au concept de transfert génique.

Années 1970

Des scientifiques proposent de procéder à des « chirurgies » génétiques afin de remplacer des gènes défectueux par des copies fonctionnelles. La technologie de recombinaison de l’ADN permet de produire des gènes clonés en laboratoire et de prouver la possibilité de corriger l’ADN de cellules de mammifères grâce à des gènes étrangers.

1980

Martin Cline, de l’Université de la Californie, mène les premiers travaux de recherche sur le transfert génique sur deux patients atteints de thalassémie, une maladie du sang.

1983

Des chercheurs du Collège de médecine Baylor injectent dans des cellules un gène lié à la production d’enzymes et émet-tent l’hypothèse qu’un transfert génique pourrait traiter la maladie de Lesch-Nyhan, un syndrome caractérisé par la goutte, un faible contrôle musculaire et un retard dans le développement.

1989

Aux États-Unis, on administre des glo-bules blancs marqués génétiquement à cinq patients atteints du cancer en phase terminale avec mélanomes.

1990

Une enfant de qua-tre ans subit une thérapie génique visant à traiter un trouble du système immunitaire causé par une carence en adénosine désaminase, une enzyme essentielle.

1995

Plus de cent essais cliniques relatifs à la thérapie génique font l’objet d’une appro-bation aux États-Unis. Wall Street prévoit qu’un « produit » de thérapie génique paraîtra sur le marché au cours de l’année suivante (cette prévision ne se réalise pas).

1997

Un Torontois de 66 ans atteint du cancer du cerveau en phase terminale décède à l’étape de l’administration d’un médicament antiviral lors d’un essai de transfert génique avec vecteur viral.

1999

La thérapie génique essuie un autre revers : le décès d’un Philadelphien de 18 ans traité pour un déficit enzyma-tique. La mort est provoquée par une réaction immunitaire aiguë.

2002

Des chercheurs pari-siens annoncent que deux des 11 garçons ayant subi un trans-fert génique avec vecteur rétroviral pour traiter une immuno-déficience grave ont développé une leucémie.

2003

La Food and Drug Administration des États-Unis décrète un moratoire sur les études génétiques chez l’humain au moyen de vecteurs rétroviraux.

2005

Des scientifiques de l’Université du Michigan rendent l’ouïe à des cochons d’Inde sourds grâce à un adénovirus modifié génétiquement.

2006

Des scientifiques du National Cancer Institute des États-Unis modifient des globules blancs pour qu’ils s’attaquent à un mélanome métas-tatique à un stade avancé; un pre-mier pas dans le traitement génétique du cancer chez l’humain.

2008

Des chercheurs du Royaume-Uni annon-cent une amélioration de la vue chez des patients atteints d’une maladie des yeux héréditaire rare, la maladie de Leber, qui ont suivi une thérapie génique.

2009

Près de 1 500 essais de thérapie génique sont en cours. Le Canada se classe au quatrième rang en recherche sur le transfert génique. Aucun produit de transfert génique n’est encore sur le marché en Occident.

Rédigé par
Diana Swift
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