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L’homme aux pavots

par ANDREW NIKIFORUK | 06 OCT 08

Il y a 16 ans, Peter Facchini est tombé sous le charme du pavot somnifère, la « plante de la joie » des Sumériens, et en a fait depuis son objet d’étude. Ce biochimiste de 45 ans, titulaire d’une chaire de recherche en biotechnologie des processus métaboliques des plantes à l’Université de Calgary, dirige un des rares laboratoires consacrés à en percer les secrets génétiques et biochimiques.

Parmi les 270 000 différentes plantes à fleurs de la planète, seul le pavot produit de la morphine, s’enthousiasme M. Facchini. « On pense aux problèmes causés par l’opium et la corruption engendrée par son trafic, mais on oublie que les humains utilisent cette plante comme analgésique depuis 8 000 ans. » Selon lui, cette plante emblématique mériterait plus de respect; les gens « devraient connaître l’importance qu’elle revêt dans leur vie ».

Le chercheur a d’ailleurs consacré la plus grande part de sa carrière à l’identification des cellules et des enzymes qui, chez le pavot somnifère, permettent la production de morphine, de codéine et de divers autres alcaloïdes importants d’un point de vue pharmaceutique.

En s’efforçant de dresser la carte génétique de la plante, le scientifique a acquis une réputation telle que services de police, organismes gouvernementaux et compagnies pharmaceutiques font régulièrement appel à son expertise. « Mon travail n’est surtout pas ennuyant », affirme-t-il.

Un permis spécial de Santé Canada

Classées dans la catégorie des substances contrôlées, ses plantes poussent dans une pièce ayant coûté 30 000 $, sans fenêtre et dotée d’une alarme pour porte et d’un détecteur de mouvement. Le chercheur exerce ses activités grâce à un permis spécial de Santé Canada, qui l’autorise à cultiver seulement 100 plantes à la fois.

Cette plante tristement célèbre compte de nombreux usages. Elle demeure l’unique source de morphine ayant une valeur commerciale et règne en maître sur le trafic illégal de l’opium. Les graines et l’huile de pavot, qui ne possèdent aucun effet narcotique, entrent dans la fabrication de divers produits, des bagels à la peinture. Enfin, les jardiniers amateurs apprécient les couleurs vives du pavot ornemental.

Seuls sept pays sont autorisés par les Nations Unies à cultiver cette plante que les Anciens appelaient « lait du paradis » et « guérisseur de chagrin ». L’Australie, le Royaume-Uni et la France sont les plus importants producteurs légaux de ces analgésiques, alors que la Turquie, l’Inde, l’Espagne, la Hongrie et la Slovaquie contribuent au reste de la production.

L’ensemble de ce marché légal de médicaments analgésiques génère annuellement plus de 6,5 milliards de dollars. Cette somme est toutefois dérisoire comparativement à la production de l’Afghanistan, qui représente de cinq à six fois le volume de la production légale. Malgré une campagne d’éradication réalisée au coût de 600 millions de dollars, la culture de l’opium a connu dans ce pays une croissance de 17 pour cent en 2007.

C’est par un heureux hasard que M. Facchini est devenu un passionné du pavot. Alors qu’il était titulaire d’une bourse postdoctorale, il a demandé à son professeur de l’Université de Montréal si toute plante pouvait être utilisée pour isoler un gène spécifique.

Sur la réponse affirmative du professeur, M. Facchini a mentionné qu’il serait intéressant d’étudier un gène du pavot somnifère qui joue un rôle dans la production de morphine. Une fois passée sa stupéfaction initiale, le professeur lui a remis un pot de semences. C’est ainsi que M. Facchini, auteur de plus de 50 articles sur le pavot, est devenu un précurseur dans la recherche sur cette plante.

Les travaux du chercheur sont financés par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie ainsi que par des contrats privés. Il collabore également avec des cher-cheurs du Conseil national de recherches dans le cadre d’un projet ayant fait l’objet d’une subvention fédérale de 650 000 $, qui vise à développer de nouvelles variétés de pavot et de cannabis qui pourront servir à des fins médicales ou industrielles.

Jusqu’à présent, les travaux de M. Facchini ont reçu un accueil favorable du public et du milieu scientifique. « J’ai été traité de taliban canadien une seule fois », affirme-t-il. Il ajoute que la plupart des gens se rendent aujourd’hui compte que cette plante est méconnue et sous-évaluée. « Nous disposons à Calgary de la meilleure expertise qui soit en biochimie de l’opium. C’est important, compte tenu du rôle qu’occupe cette plante dans l’échiquier politique international. »

Rédigé par
Andrew Nikiforuk
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