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Maud Cohen : se réaliser à travers un parcours atypique

Au moment où Polytechnique Montréal célèbre son 150e anniversaire, jetons un coup d’œil à la trajectoire qui a mené l’ingénieure à devenir la première femme à diriger l’établissement.
par MAUD CUCCHI
29 NOV 23

Maud Cohen : se réaliser à travers un parcours atypique

Au moment où Polytechnique Montréal célèbre son 150e anniversaire, jetons un coup d’œil à la trajectoire qui a mené l’ingénieure à devenir la première femme à diriger l’établissement.

par MAUD CUCCHI | 29 NOV 23

Comme personnalité dirigeante de Polytechnique Montréal, Maud Cohen fait figure d’exception pour au moins deux raisons. En 2022, elle est devenue la toute première femme nommée directrice générale de cette institution fondée il y a 150 ans. Et contrairement à ses prédécesseurs, elle n’était ni professeure, ni titulaire d’un doctorat. Portrait d’une première de classe qui a su s’imposer dans les hautes sphères de la gouvernance institutionnelle au Québec par la force de ses ambitions et d’un travail acharné.

Un CV cinq étoiles d’ingénieure industrielle accompagne un MBA à HEC Montréal, autour d’une trajectoire internationale entre l’Europe et l’Amérique du Nord et des missions dans plusieurs conseils d’administration. Avant d’être nommée directrice générale de Polytechnique, Mme Cohen dirigeait la Fondation CHU Sainte-Justine depuis 2014. À l’entendre résumer son parcours, il semblerait que chaque nouveau défi ait ajouté une petite pierre à l’ensemble d’une riche carrière dont les fondations ont toujours reposé…sur une motivation en béton.

« J’étais fille unique, j’avais beaucoup de pression de ma mère qui n’avait pas terminé son diplôme de secondaire et qui, comme beaucoup de femmes des années 1970-1980, était féministe à travers sa fille », partage Mme Cohen. La bonne élève qu’elle était se destine d’abord à des études de médecine, sans grande conviction. Comment s’atteler à la dissection d’un cadavre quand on ne supporte même pas celle d’un rat? À cette période de choix d’orientation, au cégep, la tuerie de l’École polytechnique en 1989 agit comme un révélateur. « J’ai réalisé que des femmes étudiaient en ingénierie, domaine peu connu. » Forte en maths et en physique, elle s’inscrit à « Poly » en génie électrique avant d’opter pour une autre filière.

Elle prendra bien une année de plus pour finir son diplôme mais bingo! Le domaine du génie industriel, qui combine les aspects scientifiques, techniques et logistiques, lui plaît bien davantage dans son approche macroscopique. Cette expérience d’essai-erreur comme étudiante influencera, 26 ans plus tard, sa vision de l’université qu’elle dirige : « Polytechnique doit offrir un environnement propice à l’épanouissement de jeunes adultes, mais aussi être capable de leur octroyer une deuxième chance. Pour moi, ça a joué un rôle majeur. »

En 1996, l’ingénieure devient gestionnaire de projets pendant huit ans et se voit confier des dossiers de plus en plus importants au sein de différentes structures. Jusqu’au point de plafonnement professionnel : « Il n’y avait plus de possibilité d’évoluer, j’ai entamé un processus de réflexion et j’ai décidé de m’inscrire à un MBA, vers un rôle de gestion. »

Leadership

Précieux sésame du réseautage, son MBA à HEC Montréal lui ouvre les portes des conseils d’administration (Loto-Québec, Gestion FÉRIQUE et Aéroports de Montréal), mais aussi celui de l’Ordre des ingénieurs du Québec (2013-2014) où elle s’implique d’abord au comité des finances, avant de prendre la vice-présidence deux ans après son arrivée seulement, puis la présidence. Là, se confirment ses aptitudes de porte-parole. « Je me réalise bien dans une organisation dotée d’un rôle sociétal, qui allie l’esprit scientifique et technologique avec la portion gestion », résume-t-elle rétrospectivement.

« Polytechnique, je ne pensais jamais que ce serait possible. »

Un autre défi l’appelle ensuite, et la cause lui tenant à cœur, Maud Cohen accepte la direction générale de la Fondation CHU Sainte-Justine. En sept ans et demi, elle y favorise le financement de la recherche. Sous sa direction, cet organisme a augmenté ses revenus de dons de plus de 30 % en cinq ans. Puis la pandémie s’abat avec son lot de crises à gérer, Mme Cohen reste à la barre de la Fondation, avant de décider de voguer vers de nouveaux horizons quand le calme revient.

« Polytechnique, je ne pensais jamais que ce serait possible », avoue-t-elle humblement. La vénérable institution, pépinière des ingénieurs de demain, veut alors donner un nouvel élan à son leadership et recherche une direction générale dotée d’une vision panoramique, rassembleuse et assez frondeuse pour défendre ses intérêts auprès des partenaires publics et privés. Les défis à relever sont de taille, littéralement. Depuis 2005-2006, la population étudiante a doublé. Il manque 25 000 m2 d’espace à l’université.

Responsabilité sociale

« J’étais attirée par la mission de Polytechnique, le rôle sociétal que cette université se doit de jouer, fait valoir Mme Cohen. À mes yeux, il y avait un virage majeur à opérer pour réfléchir le monde. » Cette vision, elle l’a récemment défendue avec conviction lors d’une conférence avec la Chambre de commerce du Montréal métropolitain en promouvant des valeurs qui lui sont chères – la responsabilité sociale et l’inclusivité. Avec un aplomb et une fierté affirmée, la directrice générale a rappelé au parterre de décisionnaires politiques et d’intervenant.e.s économiques que Polytechnique, c’était « 10 432 étudiant.e.s venu.e.s du monde entier, 128 nationalités représentées dans 12 domaines différents du génie. » Son discours galvanisant tenait autant de la présentation organisationnelle que d’un appel à collaborer autour d’un « engagement de progrès » responsable et équitable en pleine transition énergétique.

L’ingénieur.e de demain, selon elle? Il ou elle devra maîtriser la compréhension des enjeux de développement durable tout en étant capable d’adopter une approche éthique, sociologique et un esprit critique sur son travail. Quelques mois seulement après son entrée en fonction, Mme Cohen a organisé un grand forum avec l’objectif de repenser le futur du génie et de faire évoluer la formation universitaire. Étudiant.e.s, professeur.e.s, mais aussi membres du personnel et partenaires industriels ont été interrogé.e.s sur leur conception du métier. « C’est avec une meilleure conscience sociale et de la responsabilité des ingénieur.e.s qu’on pourra y arriver », ont conclu les participant.e.s.

Une rassembleuse

« Maud Cohen sait valoriser ce que chacun peut apporter, elle nous fait sentir que chaque personne est importante dans l’organisation », décrit à son tour Laura Ahunon, étudiante qui a fait partie du comité consultatif de sélection de Mme Cohen et dirigeait aussi l’Association des étudiant.e.s des cycles supérieurs de Polytechnique. Elle cite une nouvelle initiative éloquente : l’ouverture des assemblées départementales aux employé.e.s de l’ombre : « La technicienne de mon laboratoire, là depuis 20 ans, dit elle-même que Maud a changé sa vie. On sent un nouveau souffle. »

« L’une des choses les plus difficiles pour notre organisation, c’est d’attirer la diversité au sein des équipes de gestion. »

Les louanges se déclinent au plus haut de l’échelle hiérarchique. François Bertrand, directeur de la recherche et de l’innovation, salue une « énergie positive, contagieuse » qu’il attribue à son leadership. « Je me sens léger professionnellement, soutenu aussi, elle n’hésite pas à exprimer sa reconnaissance, il y a peu de dirigeant.e.s qui font cet effet », partage-t-il.

Dans ses allocutions, la patronne de « Poly » insiste inlassablement sur l’importance de l’intégrité en ingénierie, « qui doit conduire à être transparent.e.s », et sur celle de l’inclusivité, chapitre sur lequel elle ne mâche pas ses mots. « L’une des choses les plus difficiles pour notre organisation, c’est d’attirer la diversité au sein des équipes de gestion », reconnaît-elle sans ambages.

Quant à l’égalité hommes-femmes dans un milieu dominé par la gent masculine, elle semble encore loin d’être atteinte. Le ratio s’élevait à 20 % d’étudiantes quand Mme Cohen poursuivait son baccalauréat, il est passé à 30 % de diplomation féminine en deux décennies. Devant l’assemblée de la Chambre de commerce de Montréal, cette amélioration a suscité un tonnerre d’applaudissements, que la patronne de Poly a d’emblée recadré : « C’est une grande fierté, mais je suis convaincue qu’on peut faire mieux. »


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Les efforts de parité impliquent « certaines réflexions difficiles à mener », concède-t-elle. « Comme on a voulu accélérer le parcours des femmes en génie, il va falloir accélérer celui des femmes professeures », soutient Mme Cohen en rappelant que seules 17 % de femmes composent le corps professoral. Pour les embaucher, l’université doit donc être plus ouverte à des parcours non traditionnels, par exemple, moins soucieuse du nombre de publications diffusées – les congés maternité affectant la donne. « Il faudrait aussi considérer les personnes ayant fondé des entreprises », propose-t-elle.

Bien que première femme dirigeante de Polytechnique, Maud Cohen juge que certaines mesures paritaires restent difficilement applicables, comme la politique de parité des chaires de recherche du Canada. « Avec 17 % de professeures, la prochaine femme embauchée se verra automatiquement attribuer une Chaire et des confrères excellents n’y auront pas droit? Dans notre milieu, la discrimination positive serait démesurée, car pas réaliste », nuance-t-elle. Cette franchise bien assumée, son entourage professionnel l’a joliment décrite en ces termes : « Maud est authentique, très fidèle à elle-même, elle fait ce qu’elle dit. »

Rédigé par
Maud Cucchi
Maud Cucchi a été journaliste culturelle pendant une décennie au quotidien Le Droit et reporter pour Radio-Canada en Ontario, en Alberta, en Colombie-Britannique et à Montréal. Sa curiosité la conduit aussi bien à publier des critiques en arts et spectacles qu'à contribuer à la réalisation d'une émission radiophonique matinale à Montréal (Radio-Canada).
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