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Positionner les universités canadiennes pour l’avenir

Deep Saini, nouveau président du conseil d'administration d'Universités Canada, aborde la nécessité de rétablir la confiance et les autres défis auxquels est confronté le secteur de l'enseignement postsecondaire.
par DANIEL HALTON
06 DÉC 23

Positionner les universités canadiennes pour l’avenir

Deep Saini, nouveau président du conseil d'administration d'Universités Canada, aborde la nécessité de rétablir la confiance et les autres défis auxquels est confronté le secteur de l'enseignement postsecondaire.

par DANIEL HALTON | 06 DÉC 23

Principal et vice-chancelier de l’Université McGill, Deep Saini a commencé en octobre dernier son mandat à titre de président du conseil d’administration d’Universités Canada (éditrice d’Affaires universitaires). Celui qui est un chercheur accompli en biologie végétale a précédemment été recteur de l’Université Dalhousie ainsi que recteur et vice-chancelier de l’Université de Canberra, en Australie. Originaire de l’Inde, il est titulaire d’un doctorat en philosophie (physiologie végétale) de l’Université d’Adélaïde, en Australie. M. Saini a accepté de répondre à quelques questions concernant ses aspirations, ses objectifs et ses réflexions sur les défis actuels auxquels est confronté l’enseignement supérieur canadien.

Affaires universitaires :  Que souhaitez-vous réaliser en tant que président du Conseil d’administration d’Universités Canada?

M. Saini : Notre époque nous impose d’avoir une approche très proactive quant à la sensibilisation de la population canadienne à propos de l’apport des universités. Selon moi, le progrès social du pays n’a jamais autant reposé sur les épaules du milieu universitaire. L’économie locale s’appuie sur les fondations économiques et sociales des universités, mais ce n’est toutefois pas toujours bien compris. À l’échelle nationale, c’est dans les universités que l’on débat des grands enjeux, que l’on trouve des solutions et que l’on forme les professionnel.le.s qui propulsent le pays. Les universités jouent aussi un rôle de représentation du Canada à l’échelle internationale, par la diplomatie issue des échanges éducatifs. Elles sont parmi les vecteurs les plus importants des liens entre les nations. Elles servent de place publique et portent les grands débats sociaux, en particulier ceux où elles peuvent agir à titre d’intermédiaires impartiales. Toutefois, les universités n’endossent pas toujours tous ces rôles de façon égale. Voilà quelques grands chantiers dans lesquels j’aimerais voir les universités canadiennes progresser.

AU : Le rôle de place publique des universités semble être de plus en plus menacé; on voit des conférences être annulées et des professeur.e.s se faire censurer ou punir pour des motifs politiques. Comment l’université peut-elle se protéger comme lieu de débat civilisé et libre, où l’on peut remettre en question des opinions dans le respect?

M. Saini : Voilà une question bien à propos en ce moment. D’abord, on doit éduquer les gens. C’est dans le noir que l’ignorance peut fleurir. Mais l’éducation peut être un phare dans la nuit, pour ouvrir des horizons et sensibiliser les gens de manière à prévenir la désinformation et à empêcher que la mésinformation se répande. Deuxièmement, il n’est jamais facile d’aborder des sujets épineux et il y a toujours eu des gens pour chercher à restreindre la liberté universitaire et la liberté d’expression. Nous qui donnons l’exemple dans le milieu universitaire, nous avons l’obligation morale de nous porter à la défense de la liberté de débattre des sujets ardus. Évidemment, si un débat dégénère et se transforme en incitation à la violence, à la haine ou au non-respect de la loi, nous nous devons d’intervenir là aussi. Mais il faut avoir un motif très solide pour intervenir de la sorte et les critères pour le faire doivent être assez exigeants. Le fait de ressentir un malaise par rapport à un enjeu ou de percevoir une remarque comme une insulte, par exemple, ne devrait pas mettre fin à des échanges. Comme société, nous devons accepter que les inconforts font partie de la vie et qu’ils sont un ingrédient assez inévitable de tout débat de qualité. C’est souvent lorsque nos a priori sont remis en question lors d’échanges sains que nous pouvons trouver la bonne solution. Il est donc important de protéger ce contexte précieux.

AU : Partout au pays, des universités sont également aux prises avec des menaces à leur autonomie institutionnelle, qu’il s’agisse d’exigences de financement en lien avec les besoins du marché du travail, de la représentation de l’État dans les conseils d’administration ou bien récemment, au Québec, de la hausse des droits de scolarité pour les étudiant.e.s de l’étranger ou hors province. Comment les universités peuvent-elles se défendre contre cette ingérence et protéger leur autonomie institutionnelle?

M. Saini : Ces ingérences ont toutes un point en commun : elles prennent généralement racine dans un manque de connaissances et, très souvent, les entités qui s’ingèrent n’ont pas un portrait exact des faits. Elles découlent aussi d’une position de pouvoir, d’une façon ou d’une autre. C’est par les preuves et la transmission de connaissances qu’on contre l’ignorance. Nous n’avons pas toujours brillé lorsque venait le temps de bien vulgariser les faits. Nous devons nous améliorer de ce côté et présenter les connaissances de façon plus accessible. Souvent, cela implique de non seulement corriger la mésinformation et ce qui vient de l’ignorance, mais aussi de s’opposer à une désinformation volontaire. Et c’est là que la question est délicate, parce que les directions des universités doivent conserver le mince équilibre entre dénonciation et protection des intérêts de leurs établissements. Ces enjeux ont des incidences sociales et humaines qui ne cessent de croître, donc si nous avons les moyens d’influencer le cours des choses en sensibilisant les gens aux faits, nous devons trouver le bon mélange de courage et de tact pour intervenir.

AU : Il est rare qu’un.e dirigeant.e universitaire ait travaillé comme vous à l’administration de six universités canadiennes, en plus d’avoir de l’expérience ailleurs dans le monde comme en Australie ou en Inde, votre pays d’origine. Comment l’étendue et la portée de vos expériences jouent-elles sur votre style de leadership?

M. Saini : Je vous dirais qu’il y a trois facettes de mon parcours qui sont particulièrement importantes de ce côté. Il y a 41 ans que je suis arrivé au Canada et j’ai été plongé de façon très immersive dans plusieurs régions du pays, presque d’un océan à l’autre. J’ai une idée précise de comment on se sent dans une université albertaine par rapport à une université québécoise ou dans une université ontarienne par rapport à une université néo-écossaise, et je sais exactement quels sont les enjeux et les avantages propres à chaque milieu. C’est selon moi un de mes atouts, qui peut être rassembleur.

L’autre facette que je veux mentionner est mon expérience à l’étranger. J’ai vécu en Australie comme étudiant aux cycles supérieurs, puis j’y ai été recteur. J’ai vécu en Inde comme étudiant au premier cycle et à la maîtrise et, récemment, étant donné la montée du pays sur la scène internationale, je travaille souvent à tisser des liens entre lui et le reste du monde. Grâce à ma perspective très globale qui s’étend de l’Orient à l’Occident, je suis à même de percevoir comment le centre névralgique planétaire se déplace vers l’est, et comment nous pouvons, en Occident, bien nous positionner pour profiter des occasions concomitantes qui se présenteront.

Finalement, notre époque en est une où règne l’impératif de considérer l’inclusion, l’accessibilité et la diversification du personnel pour réussir. Pour moi, la diversité n’est pas qu’une bonne action; c’est un besoin opérationnel et un avantage face à la concurrence. Je prêche l’excellence, mais je crois aussi fermement que personne ne devrait être privé.e de sa chance de se dépasser à cause de ses origines ou de sa situation. La diversité fait partie du Canada et nous devons la mettre à profit pour le bien du pays. Je pense que, grâce à mon parcours, je peux autant contribuer aux débats sur la question qu’à l’implantation des mesures nécessaires pour atteindre nos objectifs.

AU : Beaucoup d’étudiant.e.s de l’étranger disent se sentir mis.e.s de côté en raison des droits de scolarité élevés qu’on leur demande de payer dans l’espoir d’avoir ensuite un emploi dans leur domaine au Canada, et ce, sans garantie. À quel point êtes-vous préoccupé de voir le Canada et ses établissements universitaires échouer à honorer leurs promesses aux étudiant.e.s de l’étranger?

M. Saini : Je ne suis que partiellement d’accord. Bien sûr, dans un monde idéal, j’aimerais que tout le monde puisse accéder aux études gratuitement et le fait que les droits de scolarité soient si élevés établit un contexte d’études à l’international très différent de celui que j’ai vécu plus jeune. Cela dit, l’éducation a un coût et ses frais doivent être payés par quelqu’un. Si les études des étudiant.e.s du pays sont financées conjointement par les droits de scolarité, des subventions gouvernementales et l’infrastructure fiscale, celles des étudiant.e.s de l’étranger, elles, ne sont payées que par leurs droits de scolarité. La différence est là. Il y a aussi la question de la valeur de l’investissement. Selon moi, les étudiant.e.s qui font leurs études dans nos établissements reçoivent l’une des meilleures formations au monde, tout en ne payant qu’une fraction de ce qu’il faudrait débourser chez nos voisins du sud, par exemple. Les problèmes que vous évoquez sont créés par la quantité d’intervenant.e.s mal intentionné.e.s qui tentent d’investir le milieu. Comme pays, nous devons nous pencher sur ce phénomène et ne pas simplement mettre son sort entre les mains de la libre entreprise. Il déforme le système de façon malsaine pour le pays.

AU : À quoi avez-vous le plus hâte dans le cadre de vos fonctions de président du conseil d’administration d’Universités Canada?

M. Saini : Les universités canadiennes sont sous juridiction provinciale, alors nous collaborons nécessairement beaucoup avec les provinces. Universités Canada est la seule association à offrir un forum transversal à l’échelle nationale. Les établissements universitaires peuvent être très différents les uns des autres et opérer dans des contextes qui varient – que ce soit sur le plan géographique, économique, politique, etc. Mais ils partagent tous le fait d’être, ensemble, l’un des plus grands atouts du pays. Ce à quoi j’ai le plus hâte, c’est d’avoir l’occasion de travailler à cette échelle, de collaborer avec les directions des établissements partout au pays et d’aider à démontrer la valeur de cet incroyable atout national.

AU : Quels sont les problèmes auxquels les universités devraient s’attaquer en priorité au cours de la prochaine décennie?

M. Saini : Nous en avons déjà abordé quelques-uns, auxquels je pourrais ajouter une difficulté qui revient souvent dans les discussions, soit celle du financement. Mais je vais plutôt mentionner deux autres enjeux.

D’abord, la brèche de confiance entraînée par les véhicules de mésinformation et de désinformation de notre ère. L’université représentait autrefois un bastion de connaissances fiables, mais cette confiance fondamentale s’effrite dans la société, en partie à cause d’interventions malicieuses et en partie à cause des médias sociaux nés des technologies que notre ingéniosité a créées – la malice profitant souvent aussi des possibilités offertes par les médias sociaux. Les médias sociaux sont d’une puissance redoutable. Ils sont comme une allumette – on peut aussi bien s’en servir pour illuminer le monde, et on l’a fait, que pour le faire flamber et je crains que ce soit ce qui finisse par arriver. Il nous faut reprendre les rênes de ces sources incroyablement puissantes de mésinformation et de désinformation.

Deuxièmement, j’entends constamment les étudiant.e.s exprimer leurs inquiétudes quant à l’avenir et leur envie d’intervenir. Je suis inquiet devant toute cette anxiété, mais j’y vois aussi une occasion de canaliser l’incroyable énergie de nos jeunes pour s’attaquer aux problèmes majeurs qui foncent droit sur nous, comme les changements climatiques et ce que je décrirais comme un désordre global toujours plus grand. Comme nous représentons les établissements où ces jeunes gens vivent, étudient et grandissent, il est de notre responsabilité de nous impliquer et de guider leurs intérêts, leurs passions et leur énergie pour ramener la planète dans le droit chemin.

Cet entretien a été revu et condensé pour plus de clarté.

Rédigé par
Daniel Halton
Daniel Halton est le rédacteur en chef d’Affaires universitaires.
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