L’astronaute canadien Jeremy Hansen s’envoleral’an proch ain pour une mission de 10 jours en orbite autour de la Lune, le point culminant d’un ambitieux projet international pour le retour de l’humain sur la surface lunaire après une absence de plus de 50 ans.
Lorsqu’on a annoncé, en avril, que le colonel Hansen faisait partie des quatre personnes choisies pour mettre à l’épreuve un nouveau système de fusée et de vaisseau spatial dans le cadre de la mission Artemis II de la NASA, ç’a fait les manchettes dans le monde entier. Mais ce n’est que la pointe de l’iceberg de l’implication du Canada à l’heure d’un intérêt renouvelé pour l’exploration et la recherche spatiales.
« Le Canada veut jouer un rôle important dans les prochaines missions sur la Lune », affirme Edward Cloutis, directeur du Centre d’exploration terrestre et spatiale de l’Université de Winnipeg. « On veut participer à la ruée vers la Lune, appelons ça comme ça. »
Le Canada a prévu dépenser des milliards de dollars sur plusieurs années en recherche et en exploration lunaires. Une partie de cette somme sera investie dans des projets de recherche fondamentale qui visent à expliquer les origines de la Lune, à brosser un portrait de ses ressources et à déterminer les facteurs nécessaires pour y assurer la vie humaine.
Les missions Artemis de la NASA témoignent de l’importance qu’accorde actuellement l’agence à l’exploration planétaire humaine. Par l’entremise de missions lunaires avec équipage, elle mettra au point des technologies qui permettront d’envoyer un jour des êtres humains sur Mars, un défi complexe étant donné la distance qui sépare cette planète de la Terre. Lors des prochaines missions, les astronautes, qui orbiteront autour de la Lune, construiront une station spatiale appelée Gateway. Le groupe se posera aussi sur la Lune et y construira éventuellement une base habitée.
La participation au projet est une façon pour le Canada de faire croître son propre programme d’exploration de l’espace. L’Agence spatiale canadienne (ASC) s’est engagée à contribuer aux missions dans un document stratégique de 2019, expliquant qu’elles renforceront l’excellence scientifique du pays et lui assureront le maintien de son rôle sur la scène spatiale internationale. Le Canada est déjà l’un des six partenaires de la Station spatiale internationale, projet dans lequel il investira 1,1 milliard de dollars au cours des 14 prochaines années pour le demeurer.
En plus de servir de tremplin pour les missions sur Mars, la Lune elle-même présente un intérêt pour les scientifiques, indique Gordon Osinski, professeur des sciences de la Terre à l’Université Western. Comme la surface de la Lune est relativement stable, elle porte encore les traces des premiers jours du système solaire – traces qui ont maintenant disparu de la surface terrestre qui est quant à elle beaucoup plus active.
« C’est une archive des quatre premiers milliards et demi d’années de vie du système solaire. Elle nous permettra de mieux évaluer la date de l’apparition de la vie sur Terre. Il y a donc une panoplie de nouveaux travaux de recherche intéressants à entreprendre », explique le chercheur.
Du financement pour Artemis et plus encore
À titre de partenaire du programme Artemis, le Canada investira 1,9 milliard de dollars sur 20 ans pour construire le bras robotisé intelligent Canadarm3 dont sera équipée la station spatiale Gateway. En raison de cet engagement, le pays se verra accorder une place à bord de deux missions avec équipage.
Dans le budget de 2023 publié en mars dernier, le gouvernement fédéral promet également d’investir 1,2 milliard de dollars pour mettre au point un véhicule utilitaire robotisé qui sera utilisé lors des prochaines missions sur la Lune; 76,5 millions de dollars pour des expériences scientifiques à la station spatiale Gateway; et 150 millions de dollars sur cinq ans pour effectuer de la recherche et concevoir de nouvelles technologies canadiennes dans le cadre du Programme d’accélération de l’exploration lunaire (PAEL).
Par le biais du PAEL, le pays finance aussi des travaux de recherche sur la Lune qui ne sont pas directement liés aux missions Artemis, notamment son projet le plus ambitieux à ce jour : un rover canadien d’une valeur de 43 millions de dollars, construit par la Canadensys Aerospace Corporation (à ne pas confondre avec le véhicule lunaire fait par l’ASC), qui pourrait être lancé dès 2026.
« C’est la première fois que le Canada mènera une mission d’exploration planétaire », précise M. Osinski, qui est le chercheur principal du projet.
Le véhicule se détachera d’un vaisseau spatial de la NASA pour atterrir près du pôle Sud de la Lune, où il amassera des données géologiques dans l’objectif de détecter de la glace. Pour habiter sur une base lunaire, l’être humain a besoin d’eau pour sa consommation, pouru l’agriculture et pour fabriquer de l’oxygène et du carburant.
Le rover, qui fait environ la taille d’une machine à laver et pèse 30 kg, sera muni de six instruments scientifiques, dont cinq conçus et manipulé à distance par des chercheuses et chercheurs d’universités canadiennes, y compris de l’Université Simon Fraser, l’Université de l’Alberta, l’Université de Sherbrooke, l’Université de Winnipeg et l’Université Western.
Des recherches spatiales accélérées
Behraad Bahreyni, professeur en système d’ingénierie mécatronique à l’Université Simon Fraser, a reçu une subvention du PAEL pour explorer la création d’un minuscule gravimètre très sensible qui pourrait être mis à bord d’un rover pour détecter ce qui se cache sous la surface de la Lune.
« On en sait beaucoup sur la surface, mais on ne connaît pas très bien ce qu’il y a en dessous », indique M. Bahreyni.
Le gravimètre est un outil fréquemment utilisé pour détecter des ressources et permet de mesurer les variations subtiles de gravité entraînées par les différentes densités sous la surface. Pour être utile sur la Lune, l’instrument devra résister aux forces du lancement pour quitter la Terre, être de petite taille, utiliser très peu d’électricité et rester opérationnel entre des températures de -200 et 100 °C.
« C’est énorme pour une si petite pièce », souligne M. Bahreyni. Il croit toutefois qu’il est possible d’y parvenir avec une équipe qui compte des chercheuses et chercheurs de l’Université du Manitoba, de l’Université McGill et de Polytechnique Montréal, et il présentera bientôt une nouvelle demande de financement pour la fabrication de l’instrument.
Le PAEL finance aussi le développement possible d’un spectroscope Raman qui pourrait être installé sur un rover. La spectroscopie Raman permet d’analyser la composition d’un échantillon à l’aide d’un laser. À l’Université de Winnipeg, M. Cloutis explique que son équipe (qui comprend aussi des collègues de l’Université York) a constaté la faisabilité de la fabrication et de l’utilisation de l’instrument, malgré toute la complexité des extrêmes lunaires.
« Depuis toujours, notre défi est d’arriver à concevoir un instrument qui résiste à ces extrêmes de température. Et c’est sans compter le vide spatial dans lequel il doit être opéré », affirme M. Cloutis.
Seule une fraction des milliards de dollars investis par l’ASC va directement aux chercheurs et chercheuses universitaires. Les déplacements dans l’espace coûtent cher, ainsi la majorité du financement est accordée à des partenaires qui conçoivent et fabriquent le matériel nécessaire pour se rendre dans l’espace et réaliser les opérations voulues, explique Martin Bergeron, directeur du développement de l’exploration spatiale à l’ASC. Mais même si le secteur s’occupe du produit final, le tout est généralement fait en partenariatu avec des universitaires du pays.
« Il faut une quantité phénoménale de recherches scientifiques pour arriver à ces prouesses d’ingénierie », affirme M. Bergeron.
Cependant, l’ASC finance aussi directement les travaux de recherche fondamentale, insiste M. Bergeron avant de citer à titre d’exemples le rover de la mission lunaire, le nouveau concours visant la conception d’instruments scientifiques lunaires lancé en mai ou encore les millions de dollars réservés à la recherche canadienne à bord de la station spatiale Gateway.
Selon M. Cloutis, on retrouve une expertise en recherche spatiale et planétaire dans les universités de partout au Canada, qui reçoivent cependant généralement moins de financement que les universités américaines.
« Si vous demandez à une chercheuse ou un chercheur universitaire si les fonds sont suffisants, la réponse sera assurément non, confie-t-il. Mais on sait maximiser l’argent dont on dispose, et je crois qu’on se débrouille sacrément bien avec les ressources qu’on a. »