Les articles du style « The End of the English Major » ou « The Death of the English Major » peuvent donner l’impression que les études anglaises sont en crise. Respectivement signés par Nathan Heller, du New Yorker, et Jillian Berman, de Marketwatch, ils indiquent à juste titre qu’en Amérique du Nord, les universités et collèges affichent un déclin des inscriptions aux majeures en sciences humaines classiques, et en particulier en littérature anglaise. Ils soulignent de plus que les philanthropes sont désormais moins enclins à financer des chaires axées sur l’étude de la littérature classique.
Les articles précités dressent toutefois un portait incomplet de la situation. Ils ne précisent pas qu’enseigner la littérature anglaise, c’est avant tout forger une relation personnelle avec les étudiant.e.s. C’est les aider à perfectionner leurs compétences en lecture et en écriture. C’est leur consacrer du temps et de l’attention, leur fournir des commentaires honnêtes quant à leurs aptitudes rédactionnelles et les aiguiller quant au type d’auteurs et d’autrices et de communicateurs et communicatrices qu’ils ou elles peuvent devenir.
Quand j’ai entrepris mes études universitaires à la fin des années 1990, je venais d’un milieu à faible revenu et j’étais le premier membre de ma famille à entreprendre de telles études. Je n’avais aucune idée de ce qu’était une majeure en littérature anglaise. Je pensais que les majeures en sciences humaines étaient réservées aux jeunes personnes blanches aisées provenant des banlieues cossues, à l’abri des difficultés financières et en mesure de consacrer du temps et de l’énergie à l’étude de la littérature avec un grand « L ». Personnellement, je tenais à être certain de mon coup, et à ce que le temps et l’argent investis dans mes études soient rentables.
Si j’ai pu poursuivre mon parcours en littérature anglaise, c’est grâce aux professeur.e.s brillant.e.s et stimulant.e.s qui m’ont appris à me prendre au sérieux et qui m’ont fait prendre conscience que j’avais quelque chose à dire et que ma voix comptait. Je leur ai fait confiance en leur soumettant mes écrits, qui se sont vite améliorés. Ces professeur.e.s ont tissé des liens avec moi, pris le temps de me connaître, de m’évaluer et de m’offrir du mentorat.
Les enseignant.e.s de littérature anglaise, ces tremplins et pairs bienveillant.e.s
Dans son excellent ouvrage intitulé Why Indigenous Literatures Matter, le chercheur cherokee Daniel Heath Justice soutient que les récits peuvent être de bons remèdes qui nous rappellent « qui nous sommes et où nous allons, par nous-mêmes et aux côtés des personnes avec qui nous partageons ce monde. Ils nous rappellent l’importance des relations qui permettent de vivre une vie agréable ». L’étude et l’enseignement de la littérature anglaise m’apprennent à entretenir de saines relations avec moi-même, mes étudiant.e.s et l’ensemble du domaine de la communication. Étudier la littérature anglaise permet de développer une bonne attitude envers soi-même en tant qu’auteur et autrice ainsi qu’en tant que lecteur et lectrice, ainsi qu’envers tout le milieu universitaire. C’est un réel processus, sans raccourci possible. Chacun.e doit le mener à bien par soi-même. On peut effectuer sur Google des tas de recherches sur la littérature, mais l’établissement de saines relations avec son milieu, les œuvres littéraires et soi-même demande du temps.
Pour que le nombre d’étudiant.e.s poursuivant des majeures en littérature anglaise augmente, nous devons leur proposer un enseignement honnête et bienveillant tout en les amenant à croire en leur potentiel. En tant qu’enseignant, mon rôle consiste à les aider à s’élever, et non à faire office de cerbère, à décréter qu’une personne n’est pas digne d’exprimer sa voix, à critiquer les récits d’autrui.
La littérature et les histoires ne se cantonnent pas aux départements de littérature anglaise
Pour demeurer d’actualité, les départements de littérature anglaise doivent continuer à prendre en compte les idées des étudiant.e.s. Ils doivent s’appuyer sur un corps enseignant prêt à les mentorer pour en faire les meilleur.e.s auteurs et autrices qui soit. Quand on discute avec des étudiant.e.s titulaires de majeures en littérature anglaise, la plupart disent pratiquement toujours avoir eu la chance de croiser des professeur.e.s qui leur ont appris à lire avec plus d’attention ou à s’exprimer plus efficacement. L’écriture repose sur des relations positives et l’affirmation de soi. Les étudiant.e.s ont des idées à communiquer, des histoires à raconter, des relations à forger. Notre travail est de les aider à y parvenir. S’il est possible de le faire au sein d’un département de littérature anglaise, c’est bien. Sinon, il faut le faire ailleurs.
L’établissement de telles relations exige du temps de même qu’une sécurité et une stabilité d’emploi, sans quoi le tout devient pratiquement impossible. La survie des majeures en littérature anglaise passera par l’embauche d’un nombre d’accru de professeur.e.s à temps plein ayant le temps de mentorer leurs étudiant.e.s. Les relations fructueuses se bâtissent avec le temps, dans des espaces assumés, où chaque personne est traitée avec dignité et respect.
Jamie Paris est enseignant de littérature anglaise à l’Université du Manitoba.