Une semaine après l’écrasement du vol 752 de la Ukraine International Airlines, abattu près de Téhéran, plusieurs universités canadiennes ont pris un temps d’arrêt. Le 15 janvier à 13 h (HE), elles ont observé un moment de silence en mémoire des victimes de la tragédie, qui a fait plus de morts au sein du milieu universitaire canadien que tout autre drame à ce jour, hormis la guerre.
Des 176 passagers du vol 752, 138 se dirigeaient vers le Canada; de ceux-là, au moins 61 entretenaient des liens directs avec les universités canadiennes. Selon les chiffres obtenus par Universités Canada, 41 étudiants et sept professeurs de 19 universités canadiennes, ainsi que des anciens d’au moins trois autres, sont morts dans l’écrasement. Plus d’une dizaine de passagers étaient des proches de membres du milieu universitaire canadien — enfants, conjoints ou parents d’universitaires, ou futurs étudiants en route vers le Canada.
« C’est une perte pour les universités, les familles et les amis des victimes. C’est une perte pour le milieu universitaire. C’est une perte pour le pays », s’attriste Robert Summerby-Murray, recteur de l’Université Saint Mary’s de Halifax. Deux étudiants aux cycles supérieurs de son établissement ont perdu la vie dans cette tragédie.
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En tout et pour tout, le Centre sur les politiques scientifiques canadiennes estime que 85 des passagers entretenaient des liens avec le milieu scientifique canadien — une perte « in-croyable et atroce », dit le président-directeur général de l’organisme, Mehrdad Hariri, Iranien arrivé au Canada en 1996.
La plupart des passagers du vol de Téhéran qui étaient en route vers Toronto le matin du 8 janvier s’y trouvaient par un triste hasard. Bon nombre étaient iraniens ou irano-canadiens, travaillaient ou étudiaient dans des universités canadiennes et revenaient au pays après les Fêtes. Voler vers Toronto en passant par Kiev faisait partie des options les plus abordables et les plus pratiques pour eux.
Le 7 janvier, alors qu’il faisait toujours nuit au Canada, des Canadiens ont appris qu’un avion venait de s’écraser tout juste après son décollage en Iran, une région sous tension. Au petit matin on apprenait, sur la côte est du pays, que de nombreux citoyens ou universitaires canadiens se trouvaient à bord.
Trois jours plus tard, l’armée iranienne déclarait que le tir iranien responsable de l’écrasement était dû à une « erreur humaine ».
Dans les universités, le choc s’est fait sentir avant même la diffusion officielle de la liste des passagers. Les noms des victimes avaient commencé à défiler sur Facebook et Twitter.
Tôt le matin, David Turpin, recteur de l’Université de l’Alberta, a reçu de la part d’un membre du personnel un texto indiquant que plusieurs étudiants se trouvaient à bord de l’avion abattu. « Très vite, nous avons rassemblé l’équipe d’intervention en cas de crise. C’est elle qui a pris les rênes », explique-t-il.
À la fin de la journée, nous savions que 10 étudiants et professeurs de l’Université de l’Alberta, de même que trois proches, étaient morts dans l’écrasement. Parmi les passagers se trouvait le couple de professeurs de génie Pedram Mousavi et Mojgan Daneshmand, qui supervisaient les laboratoires de recherche de plus de 50 étudiants. Ils s’étaient rencontrés et mariés en Iran, puis étaient déménagés au Canada, où ils avaient étudié à l’Université du Manitoba et à l’Université de Waterloo. Mme Daneshmand s’était par la suite vu offrir une chaire de recherche du Canada à l’Université de l’Alberta.
« Ils étaient super brillants, extrêmement innovateurs et travaillaient très, très fort », déclare leur ami et collègue de longue date Safieddin Safavi-Naeini, professeur de génie et titulaire principal de la chaire de recherche industrielle CRSNG/C-COM à l’Université de Waterloo. Il explique que le couple se fixait des objectifs de recherche élevés — dans l’espoir de résoudre des problèmes concrets au moyen d’une science complexe et novatrice. Ils encourageaient leurs étudiants, dont plusieurs entretenaient également des liens avec l’Iran, à faire de même, dit-il.
M. Mousavi et Mme Daneshmand ouvraient également les portes de leur maison à leurs étudiants et se rendaient disponibles à toute heure du jour pour leurs mentorés. Leurs protégés étaient nombreux à les appeler « maman et papa ». Tous deux connaissaient les difficultés que pouvaient éprouver les nouveaux arrivants pour les avoir eux-mêmes connues à leur arrivée au Canada, relate M. Safavi-Naeini. « Par-dessus
tout, c’étaient des gens charmants. »
Leurs étudiants, collègues du milieu professoral et familles demeurent accablés par le chagrin. Au moins une université a embauché des traducteurs persans pour aider les familles, et tous les établissements touchés ont mis en place des services de consultation psychologique et des équipes d’intervention en cas de crise.
Les universités doivent aussi régler les problèmes logistiques liés aux disparitions subites : décider quoi faire avec les chambres de résidence des étudiants qui ne reviendront pas, trouver des professeurs pour aider les étudiants qui se retrouvent sans supervision, soutenir les familles dans le processus d’identification et de rapatriement du corps des victimes, qui s’avère difficile, et organiser des événements commémoratifs privés et publics en l’honneur des victimes.
« Il reste naturellement beaucoup de choses à régler. Il faudra du temps. Le deuil durera des mois, voire des années », dit M. Turpin.
Le gouvernement fédéral collabore avec les universités depuis l’écrasement de l’avion. La vice-première ministre Chrystia Freeland est arrivée à l’Université de l’Alberta le 9 janvier pour rencontrer les étudiants, professeurs et membres du personnel, et le premier ministre Justin Trudeau a prononcé une allocution à Edmonton dans le cadre d’une veillée mortuaire diffusée à la télévision nationale. « Ils ont visité les campus avec leurs équipes d’intervention. Ils collaborent avec nous pour répondre aux besoins des étudiants et des familles », précise M. Turpin.
Des bourses d’études commémoratives
Des bourses d’études commémoratives sont créées dans des universités de partout au pays, y compris à l’Université de l’Alberta, qui veut offrir deux de ces bourses à ses étudiants aux cycles supérieurs. Le gouvernement ontarien a lui aussi annoncé qu’il créerait des bourses d’études, chacune d’une valeur de 10 000 dollars, en mémoire des 57 victimes canadiennes de la tragédie. Pour sa part, le gouvernement fédéral s’est engagé à égaler les dons versés à Canada Strong jusqu’à un maximum de 1,5 million de dollars. L’organisme caritatif recueille des fonds pour aider les familles qui ont perdu un proche dans l’écrasement.
« Notre initiative est née d’une peine et d’une désillusion terribles, ainsi que du sentiment d’avoir perdu un potentiel immense. Elle nous redonne espoir », explique Rahim Rezaie, qui a contribué à mettre sur pied le fonds pour les bourses d’études en mémoire des étudiants iraniens à l’Université de Toronto. L’établissement a perdu huit membres, dont six étudiants.
M. Rezaie, un diplômé de l’Université de Toronto qui y travaille comme directeur adjoint du projet Virtual Engineering Student Teams (InVEST), espère que ces bourses ouvriront les portes des universités canadiennes aux étu-diants qui, comme bon nombre des victimes, ont
surmonté plusieurs épreuves pour venir étudier au Canada.
Le Bureau canadien de l’éducation internationale estime que les Iraniens représentent environ deux pour cent des étudiants étrangers au Canada — soit quelque 11 000 personnes en 2018. Ce nombre croît, car il est de plus en plus difficile pour eux d’obtenir un visa pour les États-Unis. En 2017-2018, les Iraniens constituaient le deuxième groupe d’étudiants étrangers en croissance au Canada.
Or, ces chiffres ne disent rien des difficultés immenses qu’éprouvent les étudiants iraniens au Canada. Leur pays vit une crise économique. La devise iranienne s’affaiblit, en raison d’un ralentissement de l’économie. L’inflation frôle les 40 pour cent. Les pressions financières accentuent les besoins quotidiens des étudiants, explique M. Rezaie. « Il ne fait aucun doute que beaucoup d’étudiants pourraient profiter de ce soutien (les bourses d’études commémoratives) pour venir étudier au Canada et contribuer à changer les choses », affirme-t-il.
Gina Parvaneh Cody, ingénieure d’origine iranienne et diplômée de l’Université Concordia, qui a d’ailleurs donné son nom à l’école de génie et d’informatique de l’établissement, est la principale bailleuse de fonds des bourses d’études créées en mémoire des étudiants iraniens par son alma mater. Cette tragédie nous rappelle
« l’importance des étudiants étrangers et des immigrants pour nos universités, et la grande diversité du secteur de l’enseignement supé-
rieur », précise-t-elle.
Mme Cody croit que cette tragédie peut rassembler les gens de divers horizons qui s’opposent à la division croissante du monde. Voir les visages des victimes et entendre leurs histoires « nous montre que nous ne sommes pas si différents les uns des autres », explique-t-elle.
Plusieurs étudiants et membres du personnel des universités canadiennes ont parlé avec fierté de la réaction nationale à l’écrasement — qui a été traité comme une tragédie nationale plutôt que comme une conséquence malheureuse des liens que les passagers entretenaient avec l’Iran. « La peine rapproche les gens. Elle nous rend plus doux et attentionnés les uns envers les autres », explique Sadra Kord-Jamshidi, présidente de l’association des étudiants iraniens de l’Université Dalhousie.
Comme d’autres personnes interviewées pour cet article, M. Rezaie, de l’Université de Toronto, raconte avoir reçu presque chaque jour des messages de gens de partout dans le monde, attristés par ces pertes, mais reconnaissants de la façon dont le Canada accueille les universitaires canado-iraniens. « Merci de faire en sorte que les étudiants iraniens se sentent chez eux, même loin de leur pays », a écrit un étudiant dans une lettre que M. Turpin a lue à Affaires universitaires.
Les universités canadiennes pleureront longtemps les victimes, avoue M. Summerby-Murray de l’Université Saint Mary’s. Dans une allocution prononcée deux semaines après l’écrasement, il a parlé du long deuil que traverseraient les membres de son établissement. Les étudiants et les professeurs passagers du vol 752 laisseront en héritage les réalisations des étudiants et des professeurs qu’ils auront inspirés, dit-il. « En tant que survivants, nous devons faire de notre mieux pour porter les rêves et les espoirs que nos deux étudiants et tous les autres ne pourront concrétiser. »
Rêves anéantis : se remémorer les victimes du vol 752*
Université Carleton
- Fareed Arasteh, doctorant en biologie
- Mansour Pourjam, titulaire d’un baccalauréat en biologie
Université Concordia
- Siavash Ghafouri-Azar, titulaire d’une maîtrise en génie aéronautique
- Sara Mamani, titulaire d’une maîtrise en génie aéronautique
Université Dalhousie
- Sharieh Faghihi, chargée de cours à la Faculté de médecine dentaire
- Masoumeh Ghavi, étudiante en génie
- Mandieh Ghavi, future étudiante (automne 2020)
École de technologie supérieure
- Aida Farzaneh, doctorante et chargée de cours au Département de génie de la construction
- Arvin Morattab, ancien doctorant en génie
Université McGill
- Negar Borghei, étudiante à la maîtrise en nutrition humaine
- Faraz Falsafi, ancien, informatique
Université McMaster
- Iman Aghabali, doctorant en génie
- Mehdi Eshaghian, doctorant en génie
- Siavash Maghsoudlou, titulaire d’un doctorat en sciences de la santé et chercheur postdoctoral
Université Ontario Tech
- Razgar Rahimi, titulaire d’un doctorat et chargé de cours à la Faculté de génie et des sciences appliquées
Université Queen’s
- Amir Moradi, étudiant en sciences
Université Ryerson
- Mahsa Amirliravi, titulaire d’une maîtrise en génie
- Mohsen Salahi, titulaire d’une maîtrise en génie
Université Saint Mary’s
- Fatemeh Mahmoodi, étudiante à la maîtrise en finance
- Maryam Malek, étudiante à la maîtrise en finance
University of Alberta
- Mojgan Daneshmand, professeure agrégée à la Faculté de génie et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en microsystèmes de radiofréquence pour la communication et la détection
- Mohammad Mahdi Elyasi, titulaire d’une maîtrise en génie mécanique
- Pouneh Gorji, étudiante à la maîtrise en informatique
- Pedram Mousavi, professeur à la Faculté de génie et titulaire d’une chaire de recherche industrielle du CRSNG sur les antennes et les capteurs intelligents intégrés
- Elnaz Nabiyi, doctorante au Département de comptabilité, des opérations et des systèmes d’information
- Arash Pourzarabi, étudiant à la maîtrise en informatique
- Nasim Rahmanifar, étudiante à la maîtrise en génie mécanique
- Saba Saadat, étudiante au baccalauréat en sciences biologiques
- Sara Saadat, titulaire d’un baccalauréat en psychologie
- Amir Saeedinia, doctorant en génie mécanique
Université de la Colombie-Britannique
- Mehran Abtahi, chercheur postdoctoral en génie civil
- Niloofar Razzaghi, titulaire d’un baccalauréat en éducation
Université de Calgary
- Shadi Jamshidi, titulaire d’une maîtrise en génie
- Ghanimat Azhdari, doctorante en conservation bioculturelle
- Milad Ghasemi Ariani, doctorant en marketing et en études de consommation
Université du Manitoba
- Amirhossein Ghorbani Bahabadi, étudiant au baccalauréat en sciences
- Amirhossein Ghassemi, étudiant à la maîtrise en génie biomédical
- Forough Khadem, titulaire d’un doctorat en immunologie
Université d’Ottawa
- Mehraban Badiei Ardestani, étudiante en sciences de la santé
- Saeed Kadkhodazadeh Kashani, doctorant en chimie et en science biomoléculaire
- Alma Oladi, doctorante en mathématiques et statistique
Université de Toronto
- Mojtaba Abbasnezhad, doctorant et assistant à l’enseignement en génie électrique
- Mohammad Amin Beiruti, doctorant en informatique
- Mohammad Amin Jebelli, étudiant à la maîtrise en médecine translationnelle
- Mohammad Hossein Asadi Lari, étudiant du programme M.D/Ph.D. de la Faculté de médecine
- Zeynab Asadi Lari, étudiante au baccalauréat en sciences
- Mohammad Salehe, doctorant en informatique
Université de Victoria
- Roja Omidbakhsh, étudiante en affaires
Université de Waterloo
- Mojgan Mansour Esnaashary Esfahani, doctorant en génie civil
- Marzieh (Mary) Foroutan, doctorante en géographie
Université de Windsor
- Samira Bashiri, adjointe de recherche à la Faculté des sciences
- Pedram Jadidi, doctorant en génie civil
- Hamidreza Setarah Kokab, doctorant en génie mécanique
- Zahra Naghibi, doctorante en génie civil
Université Western
- Hadis Hayatdavoudi, doctorante en chimie
- Milad Nahavandi, doctorant en génie chimique et biochimique
- Ghazal Nourian, doctorante en génie mécanique et des matériaux
- Sajedeh Saraeian, étudiante à la maîtrise en génie chimique et biochimique
Université York
- Sadaf Hajiaghavand, étudiante en gestion des ressources humaines
- Pegah Safar Poor Koloor, étudiante au baccalauréat en biologie
- Masoud Shaterpour Khiaban, futur étudiant aux études supérieures en administration des affaires
* Liste des passagers qui avaient des liens avec le milieu universitaire canadien.