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À mon avis

Qu’entend-on par autochtonisation?

Cette approche représente une voie importante à emprunter afin d’opérer de véritables changements et honorer l’autodétermination des peuples autochtones.

par SAVANNAH SLOAT | 18 AVRIL 24

Alors que presque 10 ans se sont écoulés depuis la publication du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) et de ses 94 appels à l’action, les établissements doivent se pencher sur les progrès réalisés et le travail qu’il reste à accomplir. Au cœur de cette quête pour l’éducation postsecondaire se trouve le concept de l’autochtonisation, une approche essentielle non seulement pour reconnaître les injustices historiques, mais aussi pour revoir bel et bien nos établissements et nos systèmes afin de donner plus de pouvoir aux communautés autochtones.

L’autochtonisation est plus qu’un simple mot à la mode : il s’agit d’un virage fondamental dans notre façon d’aborder nos structures institutionnelles. Elle vise à mettre de l’avant les perspectives, les connaissances et les valeurs autochtones au sein des établissements qui ont historiquement porté préjudice aux personnes autochtones. Les établissements postsecondaires répondent aux appels à l’action de diverses manières; beaucoup se fixent des objectifs généraux à long terme d’autochtonisation et de décolonisation, tout en cherchant à accueillir davantage d’étudiant.e.s, d’enseignant.e.s et de membres du personnel autochtones.

Ce n’est pas une mince affaire et les défis sont grands, comme en témoigne la lenteur des avancées à l’égard des 94 appels à l’action de la CVR. Selon le dossier Beyond 94 de CBC News (en anglais seulement), qui suit ces avancées, seulement 13 appels à l’action ont été menés à bien depuis 2015. Sur les 81 restants, 32 ont des projets en cours, 31 font l’objet de propositions de projets et 18 n’ont pas encore été traités.

En tant que membre de la nation Tuscarora de la bande Six Nations de Grand River, je fais partie de la communauté mentionnée dans la reconnaissance territoriale de l’Université de Waterloo. L’Université est située sur les terres de Haldimand promises aux Six Nations, à une heure de route de ma réserve. Mes responsabilités territoriales sont profondément liées à mon travail. Je dois concilier, parfois difficilement, la responsabilité que j’ai d’abord envers ma communauté, avec celle que j’ai envers l’établissement.

De nombreux établissements sont ancrés dans des modes de pensée et de fonctionnement coloniaux, ce qui rend difficile la mise en œuvre de réformes dignes de ce nom. Par exemple, j’entends souvent le mot « intégrer ». Ce terme évoque l’assimilation : les modes de vie, les connaissances et les pratiques culturelles autochtones sont bien accueillis tant qu’ils s’intègrent aux structures existantes. Pourtant, la véritable inclusion consiste à faire de la place et à ouvrir le cercle, alors que l’intégration suggère que nous trouvions des craques par où nous glisser.

Les allochtones ne comprennent pas suffisamment l’importance de l’autochtonisation, ce qui suscite l’apathie, voire l’opposition aux initiatives visant à faire valoir les savoirs autochtones. Trop souvent, les efforts bien intentionnés d’autochtoniser les établissements peuvent tomber dans le piège du symbolisme ou de l’appropriation culturelle. L’un des pièges, c’est de croire que les peuples autochtones forment un groupe monolithique. Je passe beaucoup trop de temps à expliquer la différence entre les peuples Anishinaabe et Haudenosaunee, en particulier en ce qui concerne nos pratiques et protocoles culturels. L’aspect parfois performatif de ce travail éclipse des projets à grande incidence. Après tout, la révision des politiques financières et de ressources humaines pour comprendre les impôts des Premières nations ou les protocoles d’embauche basés sur les réalités culturelles ne sont pas choses très attrayantes. Les gens sont à la recherche de « gains rapides », qui se résument souvent à accrocher des œuvres d’art au mur. Une autochtonisation authentique exige un partenariat et une collaboration véritables. Elle implique de reconnaître que les peuples autochtones sont les experts de leurs propres expériences et de travailler activement à détruire les déséquilibres de pouvoir qui perpétuent les dynamiques coloniales.

Malgré tous ces défis, le processus d’autochtonisation renferme également de belles possibilités. Les établissements ont tout à gagner à enrichir et à diversifier leur compréhension du monde en mettant de l’avant les perspectives et les savoirs autochtones. Mon travail s’effectue au sein de la Faculté des sciences, ce qui n’est typiquement pas un endroit qu’on associe à l’autochtonisation. Depuis mon arrivée, il y a 18 mois, nous avons créé un contenu de premier plan sur les systèmes de connaissances scientifiques autochtones qui fait maintenant partie d’un cours crédité de communication scientifique qui est obligatoire en première année. Un nouveau cours sur le terrain traitant de médecine autochtone, enseigné par des aîné.e.s et coordonné par du personnel autochtone, sera ajouté au programme l’année prochaine. Un cours de biologie coenseigné utilisant le territoire de Grand River comme cadre d’enseignement débutera cet automne. Un espace scientifique autochtone verra le jour cette année dans le complexe d’enseignement des sciences, un lieu qui est considéré comme un « bien immobilier exceptionnel » sur le campus.

J’ai appris à apprécier la curiosité sincère et sensible des scientifiques. Mes plus grandes alliées ont été les personnes qui souhaitaient simplement apprendre. S’intéresser aux systèmes de connaissances autochtones exige de l’humilité et la volonté d’écouter. Le but est d’établir des relations solides et réciproques. Les gens comprennent que le travail demande de l’engagement et du temps, et qu’il ne relève pas que de moi.

Dans le cadre du processus d’autochtonisation, il est essentiel de donner la priorité aux paroles et aux expériences des personnes autochtones. Cela signifie devoir rechercher activement leurs points de vue, entamer des discussions constructives et intégrer les savoirs autochtones dans la prise de décisions et la gouvernance. Les établissements doivent être prêts à regarder en face leur propre histoire coloniale et à remédier concrètement aux injustices du passé ainsi qu’à impliquer les peuples qui ont des liens profonds avec les territoires qu’ils occupent. L’autochtonisation peut favoriser un sentiment d’appartenance et de communauté, et ainsi mener à de meilleurs résultats scolaires et à un plus grand bien-être général. Des initiatives comme l’intégration d’un contenu culturellement significatif dans les programmes d’études, le soutien à la recherche menée par les Autochtones et le développement de liens entre les établissements et les nations territoriales sont autant de moyens concrets de satisfaire ces engagements.

En mettant les perspectives, le savoir et la voix des personnes autochtones au cœur de nos actions, nous pouvons commencer à démonter l’héritage du colonialisme et à construire des systèmes et des pratiques d’enseignement plus inclusifs. À l’approche du 10e anniversaire du rapport final de la CVR, réaffirmons notre engagement en faveur de l’autochtonisation. Reconnaissons que le chemin à parcourir exigera du dévouement, de l’humilité et, surtout, un profond respect des droits et de la souveraineté des peuples autochtones.

Savannah Sloat est responsable des initiatives autochtones à la faculté des sciences de l’Université de Waterloo.

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