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L'aventure universitaire

Combattre l’optimisme toxique grâce à l’espoir critique

Ensemble, nous pouvons changer pour le mieux en faisant preuve de détermination et d’empathie – et en cessant de dire que tout va bien alors que ce n’est pas le cas.

par JESSICA RIDDELL | 19 JUIN 20

Notre façon de raconter ce que nous vivons est importante. Depuis le début de la pandémie mondiale, j’écoute les dirigeants, et particulièrement ceux du secteur de l’enseignement supérieur, parler de la crise actuelle. Je remarque deux discours, qui dépeignent chacun une version très différente de l’avenir et révèlent du même coup les structures de pouvoir invisibles : 1) l’optimisme toxique et 2) l’espoir critique.

L’optimisme toxique, c’est la promesse que tout ira bien. On nous assure que la vie reprendra bientôt son cours normal. Que nos établissements peuvent facilement se réorienter vers la formation en ligne sans diluer l’expérience étudiante. Nous devons simplement nous serrer les coudes et chercher les bons côtés de la situation. On nous encourage à rester chez nous pour que, bientôt, nous puissions reprendre nos activités normales et repenser avec nostalgie à la pandémie, avec ses journées en pyjama et ses chiots.

L’espoir critique reconnaît que le monde tel qu’on le connaît change rapidement et qu’il faudra se demander comment le remodeler après la pandémie de COVID-19 pour le rendre plus juste, équitable et inclusif. Il reconnaît que nos établissements ne peuvent pas se « réorienter » facilement, puisque le passage au monde virtuel change notre relation avec les étudiants et menace notre capacité à établir des liens significatifs avec eux. Nous misons donc sur la collaboration et l’esprit de communauté, car les populations les plus vulnérables et marginalisées n’ont pas toujours le luxe de pouvoir voir les bons côtés de la crise. Nous sommes prêts à élargir nos horizons pour imaginer un nouveau modèle éducatif qui mènera à un avenir meilleur que le présent et plus bienveillant que le passé.

L’optimisme toxique rejette le conflit et ne permet aucun désaccord ou mécontentement. Il nie la profonde transformation que nous vivons et prêche plutôt pour un retour à la normale. L’espoir critique comprend la nature complexe et inconfortable d’un processus de transformation essentiel, et considère les échanges francs et difficiles comme la voie à suivre. Il reconnaît que la « normalité » était fondée sur des inégalités et des injustices qui ne bénéficiaient qu’à quelques privilégiés.

Le premier discours qui nie notre transformation risque de nous diviser. L’autre nous donne la possibilité de nous ouvrir, de nous mettre en position d’apprentissage, de faire preuve d’empathie et de renoncer à l’autorité en faveur de la collaboration, et ce, avec nos étudiants, nos collègues et nos collectivités.

Mon analyse des théories liées aux deux discours n’avait rien d’un simple exercice pédagogique ou professionnel. Cette semaine, mon conjoint est hospitalisé, car il a subi une chirurgie invasive visant à retirer une tumeur. La démarche diagnostique s’est amorcée le jour où les écoles ont fermé au Québec et où nous avons dû tourner la page sur le monde que nous connaissions. Pour ma famille, le cancer et la COVID-19 sont étroitement liés. Au cours des douze dernières semaines, nous avons dû alterner entre l’optimisme toxique et l’espoir critique pour expliquer la situation et ses répercussions à nos jeunes enfants. Nous avons été honnêtes et n’avons pas cherché à leur cacher que nous n’avions pas toutes les réponses. Peut-être parce qu’ils sont en constante transformation, nos enfants ont réagi avec calme et curiosité à nos explications déconcertantes et confuses. Et ils nous ont fait assez confiance pour comprendre que nous traverserions cette crise ensemble.

Mes travaux de recherche disciplinaires et mon activité savante publique des dernières années portent sur l’espoir décisif et la résilience. La simultanéité de ces dérangements personnels et mondiaux a mis mes convictions théoriques à l’épreuve. Mais cette expérience renforce ma conviction qu’ensemble, nous pouvons changer pour le mieux en faisant preuve de détermination et d’empathie – et en cessant de dire que tout va bien alors que ce n’est pas le cas.

Selon Parker Palmer, l’un de mes philosophes préférés, « l’authenticité n’est pas synonyme de perfection. Elle consiste à accepter que les blessures fassent partie de la vie. Ainsi, devant un malheur, certaines personnes ouvrent leur cœur au lieu de se laisser abattre. » [traduction libre] La situation actuelle est l’occasion de nous ouvrir les yeux et de trouver un sens à l’incertitude pour créer un monde nouveau. Lors d’un récent webinaire, David Sylvester, recteur de l’Université du Collège St. Michael’s de l’Université de Toronto, a qualifié les universités de « sources d’espoir » pour nos collectivités. Notre monde a désespérément besoin de dirigeants et d’apprenants qui choisissent de faire preuve d’espoir critique tout en ayant le courage d’ouvrir leur cœur au changement.

À PROPOS JESSICA RIDDELL
Jessica Riddell
Jessica Riddell est professeure au département d’anglais de l’Université Bishop’s, ainsi que titulaire de la chaire Stephen A. Jarislowsky pour l’excellence en enseignement au baccalauréat et récipiendaire du Prix national 3M d’excellence en enseignement. Elle est également directrice générale de la Maple League of Universities.
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