Par Michel Héroux
Publié en décembre 1991
C’est étonnant. Au Québec, moins d’une semaine après la sortie du magazine Maclean’s présentant son « palmarès » des universités canadiennes, l’excitation était déjà retombée. Déjà, les médias, éternels papillons, étaient passés à autre chose. Dans le monde universitaire cependant, l’aventure Maclean’s continuera d’alimenter les conversations pour un bon moment encore.
Pour décrire très sommairement la réaction des universités québécoises, un mot vient à l’esprit : outrage.
Maclean’s avait prévenu les universités invitées à répondre à son questionnaire et le résultat paraîtrait dans son édition du 21 octobre 1991. Cette édition est apparue dans les kiosques de Toronto le 15 octobre et elle a été précédée d’un communiqué aux médias et aux universités la veille, le 14 octobre 1991. Ce communiqué de Maclean’s invitait ses destinataires à obtenir la méthodologie de l’enquête le lundi 14 octobre en après-midi.
Même si le lundi 14 octobre était la fête de l’Action de Grâce et congé partout au pays, le palmarès s’est glissé dans les nouvelles.
C’est mardi, le 15 octobre, qu’a commencé à circuler l’information voulant que l’Université McGill soit la première université du palmarès, l’Université de Montréal la 11e, Bishop la 17e, Laval la 18e, Sherbrooke la 30e, Concordia 31e (ex aequo avec Winnipeg), et l’Université du Québec à Montréal la 45e, avant-dernière d’une liste de 46 institutions canadiennes retenues par le magazine. Quelques journalistes commencèrent à appeler, il était toujours impossible de rejoindre Maclean’s pour obtenir la méthodologie et le magazine demeurait introuvable au Québec, même à Montréal.
Mercredi, le 16 octobre, les demandes de réaction des médias se sont mises à pleuvoir. Le magazine demeurait toujours introuvable, et la méthodologie de l’enquête aussi. Les journalistes s’étant mis au travail le 16, c’est jeudi le 17 octobre que les réactions des universités furent vraiment connues.
Pour l’Université Laval, l’enquête fut « pourrie » et n’a servi personne, ni l’enseignement supérieur, ni le public, puisqu’« elle ne visait que moins du tiers des effectifs étudiants de Laval, Maclean’s s’étant volontairement limité aux étudiants de premier cycle en arts et sciences seulement, catégories qui ne veulent rien dire sur un campus moderne. » L’Université Laval révélait aussi qu’au moment de la cueillette des données, Maclean’s avait nié avoir l’intention de publier un palmarès des universités canadiennes.
De son côté, l’Université de Sherbrooke a qualifié l’enquête de Maclean’s d’« exercice intéressant, mais qui devrait davantage tenir compte de la réalité universitaire francophone ». Mais à une collation de grade deux jours plus tard, le recteur de l’Université, M. Aldée Cabana, fustigeait l’enquête du magazine Maclean’s « basée sur des dollars et non en fonction des succès de nos diplomés ».
Pour sa part, l’Université du Québec révélait le 18 octobre, « avoir refusé de participer à l’exercice de Maclean’s », puisque de l’avis de l’UQ, cette enquête ne « convenait pas à l’organisation en réseau typique de ses 11 constituantes ». Il faut d’ailleurs noter ce fait incroyable que le magazine Maclean’s a confondu l’Université du Québec à Montréal avec le réseau de l’Université du Québec, erreur factuelle très grave pour quiconque prétend juger les universités québécoises.
Le recteur de l’UQAM, M. Claude Corbo, a rejeté les résultats de l’enquête effectuée à partir d’une méthodologie que son collègue de l’Université Concordia, M. Patrick Kenniff, a qualifiée « d’impressionniste ». Pour M. Corbo de l’UQAM, « Maclean’s se fait une image bien traditionnelle et bien canadienne de l’institution universitaire : il s’agit d’un campus victorien, bénéficiant de grands espaces verts, accueillant des étudiants fraîchement émoulus de l’école secondaire auxquels on propose une vie presque collégiale. Or, la réalité des universités en milieu urbain est tout autre », de dire le recteur montréalais.
À l’Université de Montréal, le vice-recteur à l’enseignement et à la recherche, M. André Simard, a affirmé que Maclean’s « induit carrément les gens en erreur et que cela fausse l’image réelle de notre université ». Enfin, même M. David Johnston, principal de la première université canadienne selon Maclean’s a convenu que l’exercice avait certaines faiblesses et que les 12 catégories retenues par Maclean’s n’étaient pas toutes pertinentes.
En résumé donc, toutes les universités, ou presque, se sont dites outrées de ce palmarès, surtout en raison de la méthodologie retenue.
En conclusion, il aura fallu Le Devoir, sous la plume de sa directrice Mme Lise Bissonnette, pour écrire brutalement, à propos de l’enquête Maclean’s que « quant à ce qui se passe au Québec, il y a là de l’ignorance crasse », de la « bouillie pour les chats » qui a « surtout le défaut de poser à l’envers la question brûlante de la qualité des études universitaires » (Le Devoir 18 octobre 1991). Ce faisant, Mme Bissonnette résumait admirablement le sentiment général qui a prévalu chez les universités québécoises à l’égard de cette enquête ratée.
Il n’est sûrement pas trop tôt pour se demander si Maclean’s obtiendra en 1992 autant de collaboration de la part des universités québécoises qu’en 1991.
M. Michel Héroux est directeur du service des relations publiques de l’Université Laval. Ancien joumaliste, il a déjà été président directeur général du réseau de télévision TVA Inc.