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Au Chili, l’éducation et le marché libre font mauvais ménage, selon des manifestants

Au Chili, les étudiants ont d’abord demandé la gratuité scolaire, mais souhaitent aujourd’hui obtenir une nouvelle constitution.

par OLIVIER ROBICHAUD | 11 JUILLET 12

Santiago de Chile – Le Québec n’est pas le seul endroit où un conflit entre des associations étudiantes et le gouvernement a donné lieu à des manifestations immenses. Les universités publiques chiliennes ont également été paralysées l’an dernier par une grève qui a duré sept mois et forcé les administrations à annuler l’année scolaire. La raison derrière tout cela : mettre fin aux écoles à profit.

L’élément déclencheur fut la constatation que les familles chiliennes dépensent plus en éducation que presque partout ailleurs, malgré des revenus moyens de seulement 16 000 $ par année. Selon l’OCDE, les Chiliens fournissent 75 pour cent du coût total de l’éducation postsecondaire, alors que le gouvernement n’en fournit que 15 pour cent; en comparaison, l’OCDE indique que 40 pour cent du financement est public aux États-Unis, et ce chiffre monte à plus de 80 pour cent dans la plupart des autres pays et régions, y compris le Québec.

Au Chili, les étudiants dépensent jusqu’à 10 000 dollars par année pour les seuls droits de scolarité, en fonction du programme. Par conséquent, environ 40 pour cent d’entre eux accumulent une dette si importante que les paiements annulent toute augmentation salariale obtenue grâce à leur diplôme universitaire, constatent les experts. Alors ils ont commencé à réclamer la gratuité scolaire.

Ce n’était que le début. La grève est terminée, mais les manifestations continuent. À trois reprises depuis le mois de mars, elles ont mobilisé environ 100 000 personnes dans la capitale, Santiago, y compris le 28 juin dernier. Les syndicats ont rejoint cette dernière manifestation, tout comme au Québec. Par contre, il y a eu des affrontements entre manifestants et policiers, ce qui n’a pas été le cas lors des plus grandes manifestations à Montréal. De plus, différents sondages indiquent que l’éducation est devenue la priorité des électeurs chiliens et l’appui populaire aux étudiants demeure élevé – jusqu’à 80 pour cent, selon certains sondages.

Maintenant, les étudiants font de nouvelles demandes pour s’attaquer aux problèmes plus profonds. « Il était temps de s’arrêter et de penser au projet global », dit Luís Jaqui, un vétéran du mouvement étudiant, pour expliquer la fin de la grève. « Il fallait qu’on mette de l’ordre dans nos demandes. »

Myriam Ramón en convient, et ajoute qu’une réforme de l’éducation est nécessaire à tous les niveaux au Chili. Elle travaille pour Educación 2020, une ONG qui milite pour un contrôle accru de l’État en éducation. « L’État ne vérifie pas le contenu des programmes, indique-t-elle. Le contrôle se limite aux examens standardisés à la fin du secondaire. » Le résultat, ajoute Mme Ramón, est que 40 pour cent des adolescents qui obtiennent leur diplôme d’études secondaires peuvent à peine le lire.La plupart de ces demandes concernent un problème central : le système d’éducation actuel, fondé sur le modèle du marché libre et du contrôle minimal de l’État, ne fonctionne pas pour les familles chiliennes. « Les écoles publiques sont mauvaises. Les écoles subventionnées sont mauvaises. Les écoles privées aussi sont mauvaises », déplore M. Jaqui.

Mme Ramón et Educación 2020 croient que l’État devrait mieux encadrer les programmes d’études et que les enseignants devraient être mieux formés et mieux payés. Actuellement, près de 70 pour cent des enseignants du primaire n’ont pas les compétences nécessaires pour enseigner, selon un récent rapport du ministère de l’Éducation.

Le problème : la Constitution

Le président Sebastian Piñera et le ministre de l’Éducation, Harald Beyer, hésitent à changer les politiques de marché libre qui gouvernent le système d’éducation actuel. « Le Chili avait une politique de gratuité scolaire auparavant, mais l’évaluation était assez négative », affirmait M. Beyer au mois de mai. En avril, le gouvernement a offert une augmentation de 700 millions de dollars pour le système d’éducation – une augmentation moindre que lors des trois derniers budgets – et une réduction des taux d’intérêts sur les prêts étudiants de six pour cent en moyenne à deux pour cent. Les étudiants ont carrément refusé cette offre.

Même si M. Piñera voulait prendre le contrôle du système d’éducation, il ne pourrait pas, selon Luís Casado, rédacteur en chef du magazine de gauche Politika : « Un mur énorme s’oppose aux solutions démocratiques. Ce mur s’appelle la Constitution. »

L’article 19.11 de la Constitution chilienne – héritée de la dictature de Pinochet – indique que « la liberté d’enseigner comprend le droit d’ouvrir, d’organiser et de maintenir des établissements d’enseignement. La liberté d’éducation n’a aucune autre limite que celles imposées par la morale, les bonnes mœurs, l’ordre public et la sécurité nationale. »

Elle indique ensuite qu’une loi donnerait à l’État le pouvoir d’imposer des normes et de les faire respecter, mais, comme le souligne Mme Ramón, cette loi se limite au strict minimum en ce qui concerne le contrôle de la qualité de l’éducation.

Éliminer la question des profits

Les étudiants ainsi que d’autres groupes sont furieux que certaines écoles ne soient pas conçues pour répondre aux besoins des étudiants, mais plutôt pour faire de l’argent. S’enrichir avec une école est illégal au Chili, mais de nombreuses écoles ont développé des moyens de contourner la loi. Une des méthodes les plus populaires consiste à créer une nouvelle entreprise à qui appartient le terrain sur lequel l’école est située et d’imposer des loyers élevés.

L’élimination de ce genre de profits a remplacé la gratuité scolaire comme demande principale des manifestants. Luís Casado, conférencier populaire parmi la gauche chilienne, a demandé aux étudiants de réclamer non seulement plus d’argent et de contrôle de l’État, mais aussi une nouvelle Constitution qui permettrait à l’État d’exercer un contrôle accru sur le système d’éducation. C’est ce qu’ils ont fait.

Le Congrès chilien est maintenant le principal obstacle. De nombreux politiciens, au pouvoir comme dans l’opposition, ont des liens avec des écoles privées. Pourtant, seul le Congrès peut changer la Constitution. Il reste à voir si l’appui aux étudiants donnera plus de votes aux autres partis, mais les prochaines élections sont prévues dans deux ans seulement. Pour les manifestants, le plus difficile sera donc de maintenir le mouvement à long terme.

Les étudiants québécois doivent faire face au problème inverse : alors que la popularité du gouvernement Charest souffre dans plusieurs domaines, les sondages indiquent tous un appui majoritaire à la hausse des droits de scolarité, et les élections pourraient avoir lieu dès septembre. Les opposants politiques des libéraux devront donc se concentrer sur d’autres enjeux s’ils espèrent remplacer les libéraux au pouvoir.

Olivier Robichaud possède un diplôme en communications de l’Université de Sherbrooke, où il poursuit maintenant des études aux cycles supérieurs en sociolinguistique.

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