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Des organismes subventionnaires priorisent la gestion des données de recherche

« Nous devons changer de culture pour que les données, métadonnées et codes bien documentés soient jugés aussi précieux qu’un bon article publié dans une revue scientifique. »

par EVA VOINIGESCU | 15 JUIN 21

Gestionnaire de la plus importante flotte de planeurs autonomes de recherche sous-marine au Canada, Richard Davis supervise à l’Ocean Frontier Institute (OFI) de l’Université Dalhousie une équipe de 15 à 20 personnes, parmi lesquelles des gestionnaires de données et des concepteurs de logiciels.

« Les planeurs recueillent énormément de données. Il est donc très important pour nous de bien les gérer », souligne M. Davis. Cela est d’autant plus vrai que son équipe déploie des planeurs pour des chercheurs qui ont besoin que ces données et métadonnées soient gérées de manière à permettre une analyse adéquate.

Avant de devenir un professionnel de la gestion des données, M. Davis agissait à titre d’océanographe spécialisé en biologie. En tant que technicien, il participait à un projet visant à placer des balises de recherche automatisées dans la baie de Lunenburg en vue de mettre au point un modèle de prédiction des conditions océaniques. Aux côtés du chercheur principal John Cullen, il a passé beaucoup de temps à concevoir, à déployer et à vérifier le bon fonctionnement des balises.

« Quand les données ont commencé à affluer, nous nous sommes dit qu’il allait falloir trouver une façon de les gérer, vu leur volume. Nous n’avions tout simplement pas prévu de plan de gestion des données. »

M. Davis n’avait encore jamais participé à un projet regroupant autant de chercheurs. Le plus grand défi était d’intégrer les données pour obtenir une vue d’ensemble.

« Nous nous étions dit que les chercheurs seraient en mesure de traiter les données, puis de les rendre disponibles, puisque ce sont des experts dans leur domaine. Personne ne s’était rendu compte de l’ampleur des efforts nécessaires pour intégrer toutes les données dans un système afin de les rendre accessibles à tous. »

M. Davis affirme que s’il pouvait revenir en arrière, il aurait veillé à disposer d’un plan de gestion des données dès le départ. C’est d’ailleurs exactement ce que les chercheurs qui demandent aujourd’hui l’aide de l’OFI sont tenus de faire.

La planification de la gestion des données de recherche peut non seulement faciliter leur partage, mais également prévenir leur perte et les rendre plus facilement reproductibles et vérifiables au profit de la science.

Changer la culture

Pour favoriser l’excellence en recherche dans toutes les disciplines au Canada, les organismes subventionnaires fédéraux se sont dotés en mars d’une nouvelle politique de gestion des données de recherche.

« Comme les travaux de recherche génèrent de plus en plus de données, la manière de gérer ces dernières a une grande incidence », explique Matthew Lucas, directeur exécutif de la stratégie et du rendement organisationnels du Conseil de recherches en sciences humaines.

Pourtant, la gestion des données n’est pas toujours prioritaire aux yeux des chercheurs.

« On s’intéresse peu à la gestion des données jusqu’à ce qu’on en ait besoin », déplore Donna Bourne-Tyson, doyenne des bibliothèques de l’Université Dalhousie et ancienne présidente de l’Association des bibliothèques de recherche du Canada. Comme les organismes subventionnaires et un consortium d’organisations partageant le même point de vue, elle espère que la nouvelle politique de gestion des données de recherche contribuera à changer certaines attitudes.

« Nous devons changer cette culture afin que les données, métadonnées et codes bien documentés soient jugés aussi précieux qu’un bon article publié dans une revue scientifique », affirme Jeff Moon, directeur du réseau Portage de la nouvelle organisation d’infrastructure de recherche numérique.

La politique de gestion des données des organismes subventionnaires comporte trois obligations. Primo, les établissements postsecondaires et les hôpitaux de recherche financés par les organismes subventionnaires seront tenus de se doter de stratégies globales de gestion des données d’ici mars 2023 afin de repérer les lacunes en ce domaine et de renseigner les chercheurs sur les ressources disponibles. Secundo, dès le printemps 2022, les chercheurs devront soumettre un plan de gestion des données dans le cadre de certaines occasions de financement. Tertio, les données issues des travaux subventionnés devront être déposées dans des référentiels numériques, à compter d’une date encore indéterminée.

« L’objectif est de veiller à ce que les chercheurs prévoient dès le départ comment ils vont gérer leurs données pendant leurs travaux. Les établissements devront aussi préciser comment ils comptent aider leurs chercheurs à réfléchir à la gestion de leurs données. Enfin, nous voulons assurer la préservation à long terme des données directement issues de la recherche », explique M. Lucas.

Selon Leah Cowen, vice-rectrice adjointe à la recherche de l’Université de Toronto, si la démarche graduelle prévue par la politique a été bien accueillie, c’est qu’elle accorde le temps nécessaire à la préparation du soutien et à sa mise en œuvre, retardée d’un an par la COVID-19.

La politique est le fruit de consultations menées auprès des bureaux de recherche, des conseils d’éthique de la recherche et des bibliothèques des universités depuis la publication de la Déclaration de principes des organismes subventionnaires sur la gestion des données numériques en 2016, précise M. Lucas.

De nombreux établissements avaient commencé avant même la publication de la nouvelle politique à déployer des stratégies en matière de données et à proposer des ressources aux chercheurs. Approuvée en 2019, la stratégie de l’Université Dalhousie sera mise à jour en fonction de la politique des organismes subventionnaires. Elle mettra notamment l’accent sur la souveraineté des données autochtones, qui avait été réclamée dans les commentaires portant sur une version préliminaire de la politique.

Ressources d’aide à la planification

Maintenant que la mise en œuvre de la politique va de l’avant, le réseau Portage propose diverses ressources, comme un modèle de stratégie institutionnelle de gestion des données ainsi qu’un outil en ligne bilingue appelé Assistant PGD (pour « plan de gestion des données »). Cet outil aide les chercheurs à réfléchir aux types de données qu’ils recueillent, à la manière de les formater, sauvegarder et partager, aux questions de déontologie, aux obligations légales, etc.

Selon M. Lucas, l’élaboration d’un plan de gestion des données dès le départ permet aux chercheurs « de réfléchir à ces questions avant qu’elles ne se posent », comme elles le font immanquablement.

Soulignant que la politique ou les outils proposés par Portage ne se veulent pas normatifs, MM. Lucas et Moon sont attentifs aux commentaires formulés au fil de la mise en œuvre de la politique.

De solides pratiques de gestion des données dans des référentiels dédiés sont déjà en vigueur dans de nombreuses disciplines. Et pour celles où ce n’est pas le cas, Portage a créé divers outils concernant entre autres le dépôt des données, dont un outil national permettant le stockage de mégadonnées pluridisciplinaires nommé Dépôt fédéré de données de recherche (DFDR). Le DFDR indexe également les métadonnées issues de près de 90 autres référentiels canadiens, aiguillant les chercheurs vers les données qu’ils contiennent. Grâce à un partenariat, ces données sont aussi indexées dans le référentiel OPENaire de l’Union européenne, et donc accessibles à un éventail élargi de chercheurs.

Bien que les organismes subventionnaires précisent que leur politique n’exige pas que les données soient en libre accès, le dépôt de celles-ci contribue à la visibilité et à la réutilisation des fruits des travaux des chercheurs canadiens.

« Le fait de rendre nos données mondialement accessibles stimule le trafic vers les référentiels canadiens où elles sont hébergées », souligne M. Moon.

Voilà une bonne raison de faire de la gestion des données de recherche une priorité.

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