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Donna Strickland s’adapte à sa notoriété d’étoile de la recherche

La plus récente lauréate canadienne du Nobel de physique parle de ses nouveaux défis, notamment en raison du fait qu'elle ne soit que la troisième femme à le remporter.

par BRIAN OWENS | 22 OCT 18

Remporter un prix Nobel est le sommet de toute carrière scientifique, mais engendre une foule de défis pour les lauréats. C’est ce qui arrive à Donna Strickland, colauréate du Nobel de physique de 2018 pour ses travaux sur la génération d’impulsions laser ultra-brèves de forte intensité. Mme Strickland affirme que sa vie est « totalement bouleversée ». Physicienne à l’Université de Waterloo, elle qualifie avec humour de « surréaliste » le fait d’être devenue une étoile de la recherche grâce à son tout premier article scientifique, publié en 1985 alors qu’elle était encore doctorante à l’Université de Rochester. « Je n’ai jamais fait mieux depuis, je n’y arrive pas », plaisante-t-elle.

Mme Strickland doit maintenant trouver comment expliquer clairement et simplement ses travaux au public qui assistera à son discours prévu à Stockholm, en décembre. Elle songe à procéder par analogie, en évoquant la différence entre recevoir en plein visage de la vapeur, de l’eau ou de la glace (les molécules d’eau représentant les photons, et le visage un atome). « Nous nous sommes employés à concentrer une multitude de photons dans le plus petit volume possible, explique-t-elle. Plus les photons sont nombreux, plus l’atome devient sensible à la lumière. »

Il est hélas impossible de placer un amalgame gelé de photons dans un amplificateur laser sans le détruire. C’est pourquoi, en collaboration avec Gérard Mourou, qui fut son directeur de thèse et qui partage avec elle le Nobel de physique de 2018, Mme Strickland a décidé d’étirer une impulsion laser, puis de l’amplifier avant de la comprimer à nouveau pour engendrer des impulsions lumineuses extrêmement puissantes et ultra-brèves, capables de détacher les électrons de l’atome. Cette technique, qualifiée d’impulsion à dérive de fréquence, a depuis trouvé de nombreux usages, y compris en chirurgie laser ophtalmique.

Pour Mme Strickland, le plus difficile a été de s’habituer à sa soudaine notoriété, amplifiée par le fait qu’elle n’est que la troisième femme à avoir remporté le Nobel de physique. « Je n’arrive pas à croire que je vais rejoindre dans l’Histoire Marie Curie et Maria Goeppert-Mayer, dit-elle. Que mon nom puisse être associé à ces deux femmes de génie me semble incroyable. »

Mme Strickland a heureusement pu compter sur le précieux soutien de ses amis, de sa famille, d’autres nobélisés, et même de parfaits inconnus. La petite-fille de Maria Goeppert-Mayer, lauréate du Nobel de physique de 1963, lui a confié des épisodes de la vie de sa grand-mère. Et le frère de Frances Arnold, l’une des colauréates du Nobel de chimie de 2018 et cinquième femme seulement à obtenir ce prix, lui a envoyé un mot pour lui dire que sa sœur espérait la rencontrer à Stockholm et se réjouissait qu’une femme de plus intègre les rangs des nobélisés.

Mme Strickland a aussi beaucoup discuté avec Art McDonald, lauréat canadien du Nobel de physique en 2015, et reçu du lauréat de 1997 de ce même prix, Bill Phillips, un courriel rempli de bons conseils, proposant même un sujet de conversation pour son entretien avec la reine de Suède. Ayant à l’époque discuté de sa recette de fondant au chocolat avec Sa Majesté, M. Phillips a proposé à Mme Strickland de lui confier sa recette de gâteau renversé aux pêches, dont il avait apparemment entendu parler par d’autres physiciens. « Je n’arrive pas à croire que des chercheurs célèbres aient pu s’échanger ma recette », confie-t-elle, voyant là une conséquence parmi d’autres de sa nouvelle notoriété. Pendant toute sa carrière, Mme Strickland n’a cessé d’être à la fois enthousiasmée et un peu intimidée par les chercheurs de renom dont elle a assisté aux conférences ou avec lesquels elle a pu discuter. « Je présume que c’est à mon tour d’inspirer ainsi les gens », dit-elle.

Il y a de quoi mettre mal à l’aise une personne qui, comme Mme Strickland, se qualifie d’introvertie, voire de recluse. Si recluse, en réalité, que le jour de l’annonce de son prix, le Comité Nobel a passé l’essentiel de la matinée à tenter de joindre quelqu’un qui connaisse son numéro de téléphone cellulaire pour pouvoir l’appeler à 5 h du matin afin de l’informer de la bonne nouvelle.

Mme Strickland entend malgré tout tirer parti de sa notoriété pour mieux faire connaître le projet auquel elle travaille avec l’Optical Society, un organisme scientifique qui s’emploie à faire progresser la recherche sur la lumière. En tant que membre de l’International Photonics Advocacy Coalition de cet organisme, Mme Strickland n’a pas hésité à interpeller les gouvernements pour les sensibiliser à la contribution potentielle de la photonique à l’observation des changements climatiques planétaires – contribution qui peut notamment passer par l’utilisation de capteurs optiques pour mesurer la fonte du pergélisol dans l’Arctique, qui provoque une déformation des routes et des pistes d’aéroport. Mme Strickland a abordé le sujet avec la ministre fédérale des Sciences, Kirsty Duncan, lorsque celle-ci lui a téléphoné pour la féliciter. « C’était la première fois que je confiais à quelqu’un mon intention d’exploiter mon statut de nobélisée », confie-t-elle.

Le dernier défi que doit relever Mme Strickland consiste à décider de ce qu’elle portera lors de la longue et très chic semaine de remise des prix Nobel, à Stockholm. Elle a déjà demandé conseil à l’épouse de M. McDonald au sujet de sa robe de bal. Elle affirme, en plaisantant, avoir l’intention d’utiliser l’argent qui accompagne son prix afin d’acheter des robes pour elle-même, sa fille et sa sœur. « Je vais devoir assister à trois bals, mais il me faudra en plus je ne sais combien de robes de soirée pour des événements moins formels. »

Tout cela est totalement nouveau pour une chercheuse comme Mme Strickland. « Les physiciens n’ont guère l’habitude d’être tirés à quatre épingles », avoue-t-elle.

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