Durant quatre semaines cet automne, un autobus a fait la navette entre l’Université Lakehead et divers magasins d’alimentation afin d’aider les étudiants à se procurer de la nourriture. Ce projet pilote découle d’ateliers sur les obstacles à la sécurité alimentaire tenus dans le cadre de l’initiative Students Feeding Change de l’organisation caritative nationale Meal Exchange, dirigée par des étudiants. L’initiative bénéficie du soutien du Centre d’action de Maple Leaf pour la sécurité alimentaire, un organisme sans but lucratif financée par Les Aliments Maple Leaf.
« Le campus de l’Université Lakehead est assez loin des épiceries, explique Merryn Maynard, responsable de la mobilisation du savoir au sein de Meal Exchange. Les étudiants doivent marcher 45 minutes pour se procurer des aliments. »
Meal Exchange a organisé le projet pilote en partenariat avec une organisation communautaire locale et l’association étudiante. La navette a repris du service en février et est disponible en mars. Des programmes semblables existent sur d’autres campus. Ils sont souvent offerts gratuitement par l’association étudiante.
Ces services se sont avérés populaires auprès des étudiants étrangers, qui paient des frais de scolarité supérieurs à ceux des étudiants canadiens et qui figurent parmi les groupes définis par des chercheurs comme particulièrement à risque de souffrir d’insécurité alimentaire pendant leurs études. La majorité des étudiants qui ont utilisé la navette de l’Université Lakehead à l’automne venaient d’ailleurs, selon Mme Maynard.
À l’Université Ryerson, Meal Exchange a engagé des pourparlers avec des intervenants du campus afin de mettre sur pied une initiative pour améliorer la sécurité alimentaire. Celle-ci pourrait comprendre un programme communautaire de partage de repas ou l’offre de repas prêts-à-manger sains, précise Amanda Lin, vice-présidente responsable des services et des finances de l’association étudiante de la Faculté de l’éducation permanente, un des groupes oeuvrant sur le campus.
Pour les étudiants de la Faculté de l’éducation permanente et ceux à temps partiel, « il est souvent difficile de s’arrêter pour manger entre 9 h et 17 h, explique Mme Lin. Ils se procurent des plats prêts-à-manger, ce qui entraîne des dépenses ». Elle souligne aussi la nécessité d’offrir des aliments adaptés aux différences culturelles, qui sont généralement plus difficiles à trouver sur le campus.
Les universités Ryerson et Lakehead font partie des cinq établissements sondés dans le cadre du rapport Hungry for Knowledge de Meal Exchange en 2017 – avec les universités Brock, Dalhousie et de Calgary. Aux fins de la recherche, les étudiants ont été questionnés sur les divers facteurs influant sur leur sécurité alimentaire. Globalement, l’initiative a démontré que près de deux étudiants sur cinq vivaient de l’insécurité alimentaire à un certain degré.
Selon les résultats, le coût des aliments (53 pour cent), les frais de scolarité (51 pour cent) et les frais de logement (48 pour cent) figurent parmi les facteurs qui empêchent les étudiants d’acheter des aliments de qualité en quantité suffisante. Les chercheurs ont constaté que les obstacles financiers, comme le faible revenu et le coût de la vie élevé et croissant, influent davantage sur l’insécurité alimentaire que l’accès difficile à la nourriture.
« Les universités ont longtemps été fréquentées par des enfants de familles aisées. Elles accueillent des étudiants d’autres milieux socioéconomiques depuis une génération seulement, parfois même moins, souligne Rachel Engler-Stringer, professeure en santé communautaire et chercheuse dans le domaine de l’alimentation à l’Université de la Saskatchewan. Les universités doivent trouver des moyens de réduire les coûts pour les étudiants. »
En 2017, Mme Engler-Stringer et son équipe de recherche ont effectué leur propre sondage sur l’insécurité alimentaire à l’Université de la Saskatchewan. Ils ont découvert que les étudiants qui habitent seuls hors des résidences universitaires, les étudiants aux cycles supérieurs et les étudiants étrangers étaient surreprésentés parmi ceux confrontés à l’insécurité alimentaire.
« Nous accueillons beaucoup d’étudiants étrangers aux cycles supérieurs. Il est donc difficile de séparer ces deux facteurs de risque sans réaliser une nouvelle étude », explique Mme Engler-Stringer. Les chercheurs ont aussi remarqué des signes d’insécurité alimentaire supérieure chez les étudiants autochtones.
Barbara Parker, professeure adjointe en sociologie à l’Université Lakehead, mène un projet de recherche participative sur la question. Elle souligne que l’insécurité alimentaire chez les étudiants est le signe d’un vaste problème qui transcende l’expérience étudiante. « Nous avons constaté que l’insécurité alimentaire chez les étudiants n’est pas temporaire, mais intergénérationnelle », dit-elle.
Ce semestre, Mme Parker utilise des fonds de recherche afin d’acheter chaque semaine de la nourriture pour un cours de trois heures donné hors campus, dans un organisme communautaire doté d’une cuisine. Les étudiants fournissent les recettes. Nous préparons les plats et les partageons en discutant, explique-t-elle. « Avant ce cours, j’apportais toujours en classe des fruits, des barres de céréales […]. Ce n’est pas l’idéal. Ça ne règle pas le problème systémique. »
Il serait formidable d’offrir aux étudiants une cuisine sur le campus, selon Mme Parker, qui a sondé en 2016 les étudiants de l’Université Lakehead ayant utilisé les services de la banque alimentaire au sujet de leur expérience qualitative en matière d’insécurité alimentaire. « Un des étudiants a déclaré qu’il détestait les repaspartage organisés par les professeurs à la fin du semestre parce qu’il ne pouvait rien apporter, ditelle. J’avais moi-même déjà organisé une activité du genre […]. Demander aux étudiants d’apporter de la nourriture démontre vraiment une insensibilité au fait que certains ne peuvent peut-être pas participer et se sentent exclus. »