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La fermeture de l’Université Quest vue de l’intérieur

Regard sur la communauté enseignante et étudiante depuis la suspension des activités de l’université privée à Squamish, en Colombie-Britannique, plus tôt cette année.

par JOSH KOZELJ | 23 AOÛT 23

Le dernier jeudi de février, Jeff Warren a été accueilli à l’Université Quest par le message que beaucoup pressentaient depuis quelque temps : l’établissement allait suspendre ses activités pour une période indéterminée dès la fin d’avril.

« Il y a eu de la déception, raconte M. Warren, alors vice-recteur aux affaires universitaires. Mais je n’irais pas jusqu’à dire que c’était un choc. »

La décision du conseil d’administration mettait fin à 16 années d’existence pour l’établissement postsecondaire privé et à but non lucratif de Squamish, en Colombie-Britannique.

Il faut dire que la situation financière précaire de l’Université faisait les gros titres depuis plusieurs années.

À couteaux tirés avec le district de Squamish et d’ex-membres de son personnel, l’université venait tout juste de se sortir de la protection financière qu’elle avait demandée en 2020, alors que ses dettes s’élevaient à plus de 27 millions de dollars.

« Il y avait toujours ce risque latent en filigrane », déclare un.e ex-membre du corps enseignant qui a demandé l’anonymat pour ne pas nuire à sa recherche d’emploi.

« Une fois que c’était fini, j’ai ressenti beaucoup de soulagement. »

Asia Matthews, qui enseignait les mathématiques depuis cinq ans à l’Université Quest, n’a pas été prise de court par l’annonce. « C’était toujours une possibilité, alors je n’étais pas surprise. »

M. Warren, qui enseignait la musique et la philosophie depuis une dizaine d’années à l’établissement, était devenu vice-recteur en janvier 2020 après le départ d’un.e collègue. Il est donc entré en poste, raconte-t-il, dans une période difficile pour l’Université, malgré les problèmes qu’il voyait poindre.

La petite histoire de l’Université Quest

L’établissement, ouvert en 2007, se proclamait être la toute première université privée laïque à but non lucratif d’arts libéraux au Canada. David Strangway, ex-recteur de l’Université de Toronto et de l’Université de la Colombie-Britannique, a fondé l’établissement dans le but d’offrir une formation de premier cycle selon une approche par bloc. L’idée était que les étudiant.e.s suivent un seul cours à la fois, tous les jours pendant un mois, plutôt que plusieurs cours étalés sur un trimestre.

Eric Gorham, membre fondateur de l’Université, a aidé à créer le programme par bloc jusqu’à son départ à la retraite en 2021. Dans un entretien avec Affaires universitaires, il a expliqué que l’objectif était de créer une « académie de leadership » axée sur la pensée critique et l’expression verbale.

Trouver les sources de financement pour faire perdurer l’établissement a toujours été difficile, ajoute-t-il. Comme l’université ne recevait pas de fonds gouvernementaux et dépendait des dons philanthropiques, les professeur.e.s rivalisaient de solutions créatives pour joindre les deux bouts. Quelque-un.e.s ont pensé à mettre le campus en location pour des tournages de film, tandis que d’autres se rendaient aux États-Unis pour recruter des étudiant.e.s.

Des étudiant.e.s de plus de 40 pays ont fréquenté l’Université Quest, selon une brochure universitaire publiée en 2021. Le site Web de l’établissement indique que les droits de scolarité récents s’élèvent à 38 000 dollars par an pour les étudiant.e.s provenant de l’étranger et à 23 000 dollars pour les étudiant.e.s canadien.ne.s (jusqu’à l’année scolaire 2022, tous les étudiant.e.s payaient les mêmes droits de scolarité). Cependant, ces revenus n’étaient pas suffisants pour combler l’écart de financement.

« On se disait “construisons et les gens viendront”, ajoute M. Warren. Mais quand on adopte ce modèle de pensée, on ne parle pas assez de ce qu’il en coûte pour maintenir le navire à flot jusqu’à ce qu’il y ait suffisamment de personnes à bord. »

Des problèmes qui s’accumulent rapidement

Tout juste 10 ans après sa naissance, l’Université a commencé à montrer de graves failles dans la gestion de ses activités et de ses installations.

En 2017, l’Université Quest a poursuivi le district de Squamish dans le cadre d’un litige concernant les droits d’aménagement. Trois ans plus tard, la Fondation Vanchorverve, le principal créancier de l’établissement, a réclamé le remboursement d’un prêt de quelque 23 millions de dollars, obligeant par le fait même l’université à se placer sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

En décembre 2020, dans l’espoir d’éponger ses dettes, l’Université Quest a vendu son campus à Primacorp Ventures, un fournisseur canadien privé d’enseignement et de services postsecondaires. L’entreprise, qui détient toujours le terrain, a ensuite loué le campus à l’établissement. L’université a également obtenu une marge de crédit auprès de Primacorp pour demeurer en activité, mentionne M. Warren. Ces deux transactions étaient conditionnelles à ce que Primacorp s’occupe exclusivement du recrutement et de la commercialisation pour l’Université Quest.

À son apogée en 2013, l’Université Quest comptait approximativement 550 étudiant.e.s. Aux premiers jours de l’année 2023, l’effectif est passé à moins de 150.

Une culture de campus en déclin

 Illiana Dempsey-Hewett a quitté Toronto en 2021 pour fréquenter l’Université Quest. Cet automne, elle posera ses valises au Collège Prescott, en Arizona. L’étudiante venait tout juste de terminer sa deuxième année au premier cycle lorsqu’est tombée la décision du conseil d’administration. Même si elle n’a pas fréquenté l’établissement très longtemps, elle mentionne que les étudiant.e.s ayant commencé leur programme avant elle avaient remarqué depuis une année ou deux un changement d’atmosphère sur le campus. Il y avait moins d’étudiant.e.s et de professeur.e.s, et donc moins de cours et de clubs.

« L’Université Quest était dans cette situation [difficile]. C’était une nouvelle Université Quest, un endroit que j’adorais, mais ce n’était plus comme avant. »

Des enseignant.e.s ont mentionné le même genre d’effritement en ce qui concerne l’environnement de travail.

Stewart Prest avait été embauché à l’été 2022 comme professeur de science politique à temps plein. C’était le genre de poste permanent dont il rêvait, lui qui avait été chargé de cours dans différents établissements pendant de nombreuses années. Or, dès décembre, soit moins de six mois plus tard, l’Université Quest prévenait sa communauté que sa trajectoire financière allait être compliquée à l’aube de 2023.

« C’était très stressant, encore plus pour les autres, puisque je venais tout juste d’arriver, relate-t-il. Les gens cherchaient une manière de gérer leur stress et je pense que ça a entraîné un désengagement général. »

« Chaque jour se teintait d’une angoisse existentielle, ajoute M. Warren. Si je ne pensais pas que l’endroit valait assez le coup pour tenter de le sauver, je serais parti. »

Et maintenant

Selon Mme Dempsey-Hewett et M. Warren, plusieurs ancien.ne.s étudiant.e.s effectuent un transfert au Collège Prescott. Au Canada, l’Université de Victoria et l’Université de la Colombie-Britannique rapportent un petit nombre d’inscriptions en provenance de l’Université Quest : 15 à 20 étudiant.e.s se sont inscrit.e.s à la première et 12 à la seconde.

Pour leur part, les ex-professeur.e.s réfléchissent également à leur avenir. Selon M. Warren, alors que certain.e.s envisagent un nouveau poste universitaire, d’autres préfèrent rester à Squamish ou cherchent à travailler en dehors du milieu universitaire.

Mme Matthews, qui a déménagé à Powell River en Colombie-Britannique pendant la pandémie, ne sait pas si elle enseignera à nouveau au niveau postsecondaire. Pendant les dernières années en tant qu’enseignante de mathématiques à l’Université Quest, elle faisait la navette jusqu’à Squamish et y vivait pendant un mois lorsque son cours était offert. Bien qu’elle ait apprécié se plonger dans son travail, elle a déclaré que sa famille lui manquait.

« Je ne savais pas combien de temps encore j’allais continuer. La vie a décidé pour moi. »

M. Prest occupe maintenant un poste d’enseignant permanent dans un établissement de Vancouver, tandis que M. Warren est devenu le doyen des arts libéraux de l’Université Yorkville, un établissement canadien privé hybride.

Resté à son poste jusqu’en juillet, M. Warren s’est entretenu avec Affaires universitaires peu après son départ de l’Université Quest. Il nous a alors appris que l’établissement en difficulté avait conservé son conseil d’administration et trois membres de son personnel, y compris le recteur et vice-chancelier, Arthur Coren, qui a refusé notre demande d’entrevue.

Le 9 août, CTV News annonçait que l’Université Capilano achèterait une partie du campus de Squamish. Une semaine plus tard, le 16 août, l’Université Capilano a confirmé avoir acheté un « campus de 18 acres spécialement conçu » à Squamish auprès de Primacorp, avec un financement provincial de 48 millions de dollars. L’Université Capilano, située à North Vancouver, utilisera le site pour poursuivre son expansion dans la région de Sea-to-Sky et prévoit d’accueillir des étudiant.e.s sur le nouveau campus dès l’automne 2024.

Malgré les revers que continue d’essuyer l’Université Quest, M. Warren maintient que les personnes qui y sont restées espèrent un jour rouvrir l’établissement.

« L’objectif pour l’Université est de se mettre en dormance et de réfléchir à de nouveaux alliés et groupes investisseurs qui pourraient l’aider à renaître de ses cendres, explique M. Warren. L’échéancier reste toutefois à définir. »

Pour sa part, Mme Matthews demeure sceptique. « En théorie, n’importe quel type d’université devrait pouvoir fonctionner, analyse-t-elle. Or, je crois que le système canadien n’est pas pensé pour soutenir les établissements qui ne sont pas financés par le gouvernement. »

COMMENTAIRES
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  1. Yves Gingras / 29 août 2023 à 11:57

    « On se disait “construisons et les gens viendront”..
    Bel exemple de pensée magique…
    J’avais prédit l’échec de cette idée de M. Strangway qui voulait imiter les américains en créant une université privée. Comme le dit Mme Matthews « le système canadien n’est pas pensé pour soutenir les établissements qui ne sont pas financés par le gouvernement »….

    Et nul besoin d’une université privée pour faire de l’enseignement par bloc…

    Yves Gingras
    professeur
    UQAM