En juin dernier, le gouvernement fédéral a lancé une série de discussions à propos du Programme d’innovation du Canada. Plusieurs organisations ont déjà soumis leurs mémoires et leurs commentaires. Selon le site Web du Programme d’innovation du gouvernement, « des cibles et des résultats clairs seront établis pour mesurer les progrès quant à la réalisation de l’objectif de faire du Canada un chef de file mondial pour la promotion de la recherche, l’accélération de la croissance commerciale et la capacité d’aider les entrepreneurs à passer avec succès des étapes du démarrage et de la commercialisation au succès international. »
Toutefois, certains universitaires en sciences humaines sont en désaccord avec la façon dont le gouvernement définit l’innovation.
Richard Hawkins, professeur au département de communications et d’études médiatiques et cinématographiques à l’Université de Calgary et ancien titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le contexte social de la technologie, a expliqué son point de vue lors de la conférence annuelle de la Fédération des sciences humaines tenue le 9 novembre dernier : « Le gouvernement encourage surtout le succès commercial, à l’image d’Apple ou de Microsoft : il nous demande d’inventer des objets, de les faire breveter et de les commercialiser en créant des entreprises de technologie. »
Selon lui, le gouvernement ne donne pas aux sciences humaines et aux universitaires de ce domaine la place qui leur revient. Il souligne la nécessité pour les chercheurs en sciences humaines d’utiliser le même vocabulaire que les décideurs pour obtenir du financement fédéral dans leur discipline, un point que la Fédération a également abordé dans son mémoire, présenté à Navdeep Bains, ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique. La Fédération recommande entre autres d’augmenter la part de l’investissement total de la recherche affectée aux sciences humaines pour la faire passer de 15 à 20 pour cent des subventions accordées à la recherche.
« Le gouvernement souhaite avant tout que l’économie se diversifie, ajoute M. Hawkins. Il veut des retombées concrètes et immédiates, et espère que tout se mettra en place à partir de là. C’est pourquoi je crois que nous devons commencer par faire connaître la pertinence de notre travail. »
Hawkins pose également un regard critique sur la définition que donne le gouvernement de l’innovation, qu’il considère comme une vision erronée et biaisée du processus d’innovation puisqu’elle porte principalement sur les changements techniques.
Hawkins voit plutôt l’innovation comme un processus « de création de la valeur par le changement. Le gouvernement veut simplifier les choses. Le modèle “pipeline” qu’il préconise est celui qui lui semble le plus logique dans l’immédiat. Ce modèle est basé sur les connaissances, c’est vrai, mais il n’est pas le véritable reflet de ces connaissances. Voilà le problème. »
Un autre conférencier, David Wolfe, professeur en science politique et codirecteur du laboratoire d’innovation politique à l’Université de Toronto à Mississauga, se dit préoccupé par la façon dont le gouvernement élabore sa nouvelle politique d’innovation.
« Au printemps, je pensais que la politique d’innovation avait beaucoup de potentiel, dit-il. Mais depuis, mon enthousiasme ne cesse de diminuer. Les processus liés aux politiques d’élaboration du Programme d’innovation sont déroutants et contradictoires. Je doute qu’une bonne politique puisse en découler. »
Wolfe affirme que le gouvernement semble ignorer le grand nombre de constatations et d’idées émises sur les politiques d’innovation par des universitaires du Canada et d’ailleurs au cours des dernières décennies. « Grâce à ces travaux, nous avons aujourd’hui une bien meilleure compréhension des processus qui fonctionnent et de ceux qui ne fonctionnent pas. Pourtant, je constate que les décideurs gouvernementaux s’y intéressent très peu. »
Hawkins et M. Wolfe ont souligné que les universitaires en sciences humaines doivent faire valoir l’importance de leur travail auprès du gouvernement. « Les chercheurs en sciences humaines ne s’expriment malheureusement pas assez, lance M. Hawkins. Nous ne défendons pas assez activement notre rôle en matière d’innovation. »