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La recherche bâillonnée?

Une discussion entre chercheurs sur la liberté universitaire.

par ASSIA KETTANI | 04 AOÛT 09

« La contribution du chercheur est l’une des conditions de la démocratie », affirmait Pierre Noreau, directeur de l’Acfas, lors du colloque « La recherche bâillonnée? » qui s’est déroulé au mois de juin à Montréal. Alors que la censure est le propre des états totalitaires, elle s’exerce néanmoins de manière détournée dans un pays démocratique comme le Canada, a-t-il souligné. Récemment, plusieurs exemples de recherche « censurée » ont dévoilé la fragilité de la liberté d’expression des chercheurs.

L’an dernier, un rapport de Santé Canada sur l’impact sanitaire des changements climatiques n’a été publié que dans la plus totale discrétion en pleine période d’élections fédérales, a rappelé M. Noreau pendant le colloque. Il a également précisé que les auteurs de Noir Canada, Alain Deneault, Delphine Abadie et William Sacher, et la maison d’édition Écosociété sont actuellement poursuivis en justice pour six millions de dollars pour avoir révélé les agissements critiquables des sociétés minières et pétrolifères canadiennes en Afrique, prouvant à quel point le travail du chercheur peut être compromis par les intérêts privés industriels.

S’élevant contre les limites imposées à leur liberté d’expression, les intervenants de ce colloque ont revendiqué l’indépendance nécessaire du chercheur : « le rôle du chercheur n’est pas d’être au service des besoins commerciaux des entreprises privées ou du gouvernement », a rappelé M. Noreau. La diffusion des résultats de recherche relève bien de la mission de l’Université : « La recherche est subventionnée par les impôts des citoyens; pourquoi ne pas leur donner accès à ce qu’ils ont financé? », a demandé Paul-André Comeau, professeur invité à l’École nationale d’administration publique. La population est en droit de connaître les résultats de la recherche subventionnée par les fonds publics, les dangers de tel produit chimique ou le potentiel cancérigène de tel aliment, a-t-il affirmé.

Posant ainsi la question du rôle du chercheur dans la société, cinq chercheurs invités, un journaliste et un toxicologue y ont présenté leurs réflexions et leurs témoignages dans le cadre de trois groupes de discussions sur les restrictions à la liberté universitaire. Ils ont ainsi souligné la particularité d’un phénomène de censure diffus et non avoué, mais qui s’exerce pourtant à plusieurs niveaux : aussi bien en amont, dans le choix des sujets de recherche, qu’en aval, autour des obstacles à la diffusion des résultats de recherche.

Mur de silence

Le premier groupe a discuté de la relation entre recherche, éthique et censure; le deuxième a été consacré à un cas particulier de « recherche bâillonnée », soit le rappel du scandale qui avait éclaté autour de la MIUF, un isolant d’habitation révélé toxique avant d’être interdit dans les années 1980. Le journaliste Gilles Provost et Albert Nantel, toxicologue et médecin-conseil en santé et en environnement à l’Institut national de santé publique du Québec, qui avait à l’époque étudié cet isolant et mené la bataille pour en faire connaître la dangerosité, ont ainsi dénoncé l’action des gouvernements qui préfèrent le silence aux révélations scandaleuses. « On se heurte à un incroyable mur de silence, explique ce dernier, les gouvernements sont trop soucieux de leur image. »

Les atteintes à la liberté d’expression des chercheurs peuvent cependant avoir d’autres origines, parfois plus inattendues. Le troisième et dernier groupe de discussion réunissait Dominique Michaud, chercheur en phytologie à l’Université Laval, Yves Bergeron, chercheur en aménagement durable forestier à l’Université du Québec à Montréal, et Johanne Charbonneau, directrice du centre Urbanisation, Culture et Société de l’Institut national de la recherche scientifique. Venus partager leurs expérience, ils ont évoqué d’autres sources de restriction, dont la peur des conséquences de la publication des résultats.

Pour M. Michaud par exemple, la source principale de non-diffusion de ses résultats de recherche ne provient pas des intérêts privés ou d’une quelconque censure publique, mais bien de la peur de l’accueil qu’ils pourraient recevoir. L’obstacle principal à l’information du public serait donc le public lui-même. Comme il travaille sur un sujet « chaud », les OGM, les résultats risquent d’être médiatisés, partiellement cités et interprétés en fonction d’intérêts militants. Dans des luttes partisanes, la recherche perd sa neutralité et le chercheur n’a aucun intérêt à ce que ses résultats de recherche sortent d’un cadre spécialisé où ils sont uniquement accessibles à l’élite. Les chercheurs ont ainsi insisté sur le rôle d’Internet comme nouvelle contrainte à la diffusion des résultats : « Alors que, avant, on essayait de tirer la sonnette d’alarme sur les dangers qui menaçaient le public, aujourd’hui, c’est le contraire : on essaie de calmer la paranoïa ambiante soulevée par un accès trop direct à cette mine de désinformation », explique M. Michaud.

Le rôle des pairs

Une autre source de contrainte réside dans le rôle des pairs. Plusieurs chercheurs ont en effet souligné l’orientation des subventions, souvent destinées aux grands courants de recherche au détriment des parcours individuels plus indépendants. Il se crée un phénomène de censure en amont : comme tous les sujets ne sont pas également susceptibles de recevoir du financement, certains chercheurs s’orientent d’emblée vers les sujets qui le sont.

Quelle que soit la raison qui les motive, ces chercheurs ont tous pour objectif de diffuser au maximum les résultats de recherche et de vulgariser, sans toutefois se trahir, pour donner un accès public aux résultats de recherche.

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