On craignait que la pandémie de COVID-19 ne pose de graves difficultés financières aux universités canadiennes, mais selon un récent rapport de Statistique Canada, celles-ci ont plutôt enregistré un excédent budgétaire de 1,5 milliard de dollars en 2021-2022. Or, dans une conjoncture marquée par la pandémie et la réalité du marché, une baisse quasi généralisée des revenus et une légère augmentation des dépenses ont fait diminuer ce chiffre de 6,2 milliards par rapport au sommet de 7,7 milliards de l’année précédente.
L’année 2021-2022 a vu la fin des subventions gouvernementales en lien avec la pandémie, un ralentissement des revenus de placement et une reprise graduelle des activités sur le campus, sans compter une inflation galopante. En 2022, la croissance annuelle de l’indice canadien des prix à la consommation a atteint un sommet en 40 ans.
Soulignons toutefois que le rapport de Statistique Canada comprend essentiellement des comparaisons avec les données de 2020-2021. Selon David Robinson, directeur général de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université, ces données ne constituent pas forcément un point de référence fiable, vu les répercussions initiales de la pandémie. La comparaison montre tout de même un aperçu des fluctuations financières connues à court terme par le milieu depuis 2020.
En 2021-2022, les fonds provenant des gouvernements provinciaux et fédéral ont respectivement constitué la première et la troisième source de revenus pour les universités, représentant une proportion combinée de 46 %. Comparativement à l’année précédente, ces deux sources de revenus ont diminué avec la fin du soutien financier pour la pandémie.
À l’échelle provinciale, le financement spécial pour la transition entre l’apprentissage en ligne et en personne a pris fin. Klarka Zeman, responsable de la section des indicateurs de l’éducation du Centre canadien de la statistique de l’éducation, brosse le même portrait du côté du financement fédéral, reflétant une tendance similaire. Cette baisse s’explique en partie par le fait qu’en 2020, le gouvernement fédéral avait versé aux universités une subvention unique de 416 millions de dollars pour la poursuite de 22 000 projets de recherche pendant la fermeture des universités et des établissements de recherche en santé.
Les droits de scolarité ont constitué la deuxième source de revenus en importance pour les universités, soit 32,5 %. Si Statistique Canada indique que les droits de scolarité enregistrent une baisse après rajustement pour l’inflation, Mme Zeman explique qu’en valeur absolue, ces revenus ont bel et bien augmenté – seulement, pas autant que l’inflation.
Les revenus de placement ont eux aussi fléchi, ce que Statistique Canada attribue à un « sous-rendement des principaux indices boursiers au pays et à l’étranger ». Voyant le recul du marché boursier au début de 2022, l’organisme avait prédit un tel scénario dans son rapport de l’an dernier.
En 2021-2022, la seule source de revenus d’importance à avoir augmenté fut celle des produits et services (résidences étudiantes, stationnement et location d’installations). Résultat, une enveloppe de 2,6 milliards toujours en deçà des 3,7 milliards que représente la moyenne annuelle des cinq années précédant la pandémie. Il faut dire que l’année 2021-2022 n’a pas été celle du plein retour aux activités en personne. Même si nombre d’établissements ont repris les cours en salle de classe à l’automne 2021, la montée du variant Omicron au sortir du trimestre en a poussé plusieurs à revenir à l’apprentissage en ligne pendant quelques semaines.
Comme l’indique M. Robinson, au début de la pandémie, les universités craignaient que leurs revenus dégringolent, surtout dans l’éventualité où il y aurait une chute des inscriptions étudiantes. « Heureusement, ce n’est pas ce qui s’est produit. » Mais cette crainte explique pourquoi les universités ont réduit leurs dépenses superflues en 2020-2021, ce qui a mené à la plus grande baisse des dépenses en 20 ans. Si on a assisté à un léger soubresaut en 2021-2022 avec une hausse des frais de déplacements et de services publics, elles n’ont pas atteint les valeurs d’avant la pandémie.
Soulignons qu’en comparaison avec l’année précédente, 2021-2022 a enregistré un recul jamais vu depuis 2000-2001 au chapitre des dépenses en salaires et avantages sociaux. « Ici aussi, l’inflation est la grande coupable, explique Mme Zeman. En dollars réels, les dépenses salariales ont augmenté, mais si l’on tient compte de l’inflation, elles ont diminué. » Selon M. Robinson, les départs à la retraite pourraient représenter un autre facteur, puisque la montée en ancienneté s’accompagne d’un salaire plus élevé.
Dans l’ensemble, les données de 2021-2022 révèlent que le secteur a su braver la pandémie, et que l’excédent de 1,5 milliard représente actuellement un gage de stabilité. Ceci étant dit, pour M. Robinson, les variations sur un an ne reflètent pas la vue d’ensemble, beaucoup plus évocatrice et importante. Après une décennie de désinvestissement public, les données à long terme traduisent une précarité financière pour les établissements postsecondaires du pays. « Le recul du financement public a rendu les rentrées d’argent beaucoup moins prévisibles », observe-t-il.
« Après trois années de perturbations, beaucoup reviennent à une stabilité des prévisions financières, mais la viabilité financière demeure une source de préoccupation sur de nombreux campus », affirme Philip Landon, président-directeur général par intérim d’Universités Canada [éditrice d’Affaires universitaires]. Pour lui, le sous-financement provincial représente « la plus grande difficulté qu’a à affronter le secteur ». Convaincre les gouvernements de « payer leur juste part de l’éducation publique » représentera la principale priorité financière des universités pour la prochaine année. Il ajoute que plusieurs universités, principalement en Ontario, accusent présentement d’importants déficits, ce qui ne sera pas soutenable au fil du temps.
Pour pallier ce manque sur le plan financier, les universités canadiennes sont devenues largement tributaires des droits de scolarité des étudiant.e.s de l’étranger, ce qui pourrait les rendre vulnérables dans les années à venir. En Colombie-Britannique, l’Université Simon Fraser prévoit un manque à gagner en 2023-2024 en raison d’un ralentissement des inscriptions provenant de l’international. En Ontario, The Varsity nous apprenait récemment que les droits de scolarité imposés par l’Université de Toronto à ses étudiant.e.s de l’étranger atteignaient le sommet du marché, ce qui signifie qu’une nouvelle hausse pourrait entraîner une diminution des inscriptions. D’après un reportage du Globe and Mail, les étudiant.e.s provenant de l’étranger paient actuellement de trois à 10 fois plus de droits de scolarité que les étudiant.e.s de nationalité canadienne.
Le ministre canadien du Logement, de l’Infrastructure et des Collectivités, Sean Fraser, a déclaré en août que le gouvernement envisageait d’imposer un plafond sur les inscriptions étrangères, ce qui pourrait être dévastateur pour les finances des universités
Dans un contexte où les universités continuent de composer avec un financement instable dans la foulée d’une crise sanitaire mondiale, la population étudiante et le personnel subiront des conséquences. D’après M. Robinson, l’imprévisibilité du financement précarise déjà l’emploi chez le personnel universitaire, qui se voit de plus en plus offrir des contrats à court terme. Aux cycles supérieurs, le financement de la recherche stagne et les allocations oscillent autour du seuil de la pauvreté, ce qui pourrait exacerber l’exode national des cerveaux.
Pour leur part, les étudiant.e.s subissent une stagnation des salaires, un recul de l’aide financière aux études et une hausse des coûts sans précédent. Brandon Rhéal Amyot, président.e par intérim de la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants, a expliqué à Affaires universitaires qu’avec une hausse combinée des droits de scolarité et du coût de la vie, les étudiant.e.s doivent faire des choix difficiles entre repas nutritifs, transport jusqu’au campus, logement et éducation.
« Le budget est une question de priorité », déclare Brandon Rhéal Amyot, ajoutant qu’en plus du financement du milieu postsecondaire, les gouvernements doivent s’assurer que les étudiant.e.s reçoivent un soutien global, y compris des investissements dans le logement.
« Les gouvernements ont ce pouvoir. Ils nous l’ont montré dans le passé, et il est plus que temps qu’ils nous le montrent à nouveau. »