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Les cours en ligne ouverts à tous sont loin d’être morts

Dix ans après leur création, ils sont plus nombreux que jamais et continuent d’évoluer.

par DIANE PETERS | 23 FEV 18

En 2008, Stephen Downes et George Siemens, professeurs à l’Université du Manitoba, ont donné un cours sur la théorie de l’apprentissage qui a été suivi en classe par environ 25 étudiants payants et en ligne par 2 300 étudiants non payants. Dave Cormier, leur collègue de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard, a qualifié l’expérience de « massive open online course », ou « MOOC » (cours en ligne ouvert à tous, ou CLOT).

Depuis, le CLOT a connu des hauts et des bas. Après un fort engouement (en 2012, un article du New York Times avait proclamé « l’année du CLOT »), il a disparu du paysage (en 2017, le blogue Inside Higher Ed l’a déclaré mort).

Or, 10 ans après sa création, ce mode d’apprentissage est encore bien vivant. « Les chiffres indiquent que le CLOT ne disparaîtra pas », affirme Arshad Ahmad, vice-provost à l’enseignement et à l’apprentissage à l’Université McMaster et directeur de l’Institut MacPherson pour l’innovation et l’excellence en enseignement et en apprentissage. Ce dernier donne lui-même un CLOT spécialisé en cinq séances sur les finances pour tous.

Les CLOT sont plus nombreux que jamais, et les inscriptions se comptent parfois par centaines de milliers. Ils n’ont pas bouleversé le système d’éducation, comme certains experts l’avaient prédit, mais ils l’ont tout de même influencé. « Le phénomène est beaucoup plus complexe qu’à ses débuts fort remarqués en 2012 », souligne Susan McCahan, vice-provost à l’innovation aux études de premier cycle à l’Université de Toronto. Aujourd’hui, les CLOT permettent aux universités de joindre de nouveaux apprenants, mais ils ont aussi des retombées en classe, précise-t-elle.

En 2017, selon le site Class Central, 78 millions d’étudiants de partout dans le monde ont suivi 9 400 CLOT offerts par plus de 800 universités. Le nombre d’étudiants est en légère baisse – 20 millions contre 23 millions en 2016 –, mais ils ont été plus nombreux à payer pour les cours. Ainsi, le mot « ouvert » semble perdre un peu de son sens. Certains CLOT restent gratuits, mais la plupart sont semi-payants : l’apprenant paie pour obtenir une certification ou un crédit.

Au Canada, les chiffres sont plus modestes. Le rapport Évolution de la formation à distance et de l’apprentissage en ligne dans les universités et collèges du Canada : 2017 indique qu’il n’y a pas d’engouement pour le CLOT au pays. Moins de 20 pour cent des établissements d’enseignement postsecondaire sondés en offraient, et ceux qui le faisaient en offraient peu.

« Le Canada n’est pas exactement un chef de file en la matière », lance l’expert en apprentissage en ligne Tony Bates, qui a collaboré au sondage. Le professeur émérite invité à l’Université Ryerson indique toutefois que de grands établissements, comme l’Université de Toronto et l’Université de l’Alberta, proposent un répertoire de cours intéressant. Lancé en 2013, le cours Dino 101 de l’Université de l’Alberta est l’un des plus populaires au pays, ayant attiré plus de 84 000 étudiants depuis sa création.

En 2013, Philip Currie de l’Université de l’Alberta lors du tournage d’une de ses sessions pour le cours Dino 101. Photo de l’Université de l’Alberta.

Les universités de plus petite taille innovent elles aussi, souligne M. Bates. Plus de 5 000 étudiants se sont inscrits au cours Learning from Knowledge Keepers of Mi’kma’ki lorsque l’Université du Cap-Breton l’a offert pour la première fois au début de 2016. Bon nombre l’ont suivi gratuitement, mais d’autres ont payé 75 $ pour remettre un travail final et recevoir un certificat.

L’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) propose quant à elle deux CLOT en français qui attirent des étudiants locaux et de l’étranger. Le cours La littératie financière et fiscale ouverte à tous a été suivi par environ 20 000 étudiants depuis sa création en 2015. « Compte tenu des limites du marché francophone, c’est drôlement bien », estime Marc Bachand, le professeur de finances qui a mis le cours sur pied avec son collègue Nicolas Boivin. La première année, 20 pour cent des étudiants ont terminé le cours. Le taux d’achèvement moyen des CLOT tourne autour de cinq pour cent.

Aux États-Unis, le phénomène des CLOT prend de l’ampleur. Enseignant depuis peu à l’Université McMaster, la professeure en génie Barbara Oakley a créé le cours Learning How to Learn lorsqu’elle travaillait à l’Université Oakland du Michigan. Plus de deux millions d’étudiants s’y sont inscrits, et 20 pour cent l’ont achevé.

Depuis 2015, l’Université d’État de l’Arizona permet aux étudiants de première année de suivre une année complète de cours en mode CLOT sur la plateforme edX. Selon Mme McCahan, l’établissement a su se réinventer en épousant le concept d’apprentissage en ligne.

Si les universités de l’Ivy League investissent massivement dans la création de CLOT (jusqu’à 300 000 $ par cours à l’Université Harvard selon Mme McCahan), la situation est bien différente au Canada. M. Ahmad explique qu’il lui a fallu neuf mois pour créer son CLOT de cinq séances dans ses temps libres, avec le soutien technique d’employés de l’Université McMaster. L’Université de Toronto offre maintenant aux professeurs qui veulent créer un CLOT une subvention de 15 000 $, ainsi que le soutien de divers départements pour garantir la qualité des cours.

Certaines universités hébergent les cours sur leur propre site Web, tandis que d’autres utilisent des plateformes commerciales comme Coursera ou edX. L’Université de Toronto utilise ces deux plateformes, et ses ententes lui garantissent 50 pour cent des recettes. Un CLOT populaire peut rapporter beaucoup d’argent, même si les étudiants ne paient que 40 $. Mme McCahan indique que le cours de spécialisation en science des données de l’Université Johns Hopkins aurait généré des recettes de plus de trois millions de dollars.

« Je ne crois pas que quiconque le fasse pour l’argent », précise M. Ahmad. De nos jours, les CLOT peuvent servir à plusieurs fins non pécuniaires. M. Bates explique que le CLOT Dino 101 de l’Université de l’Alberta représente un bon outil de relations publiques pour l’établissement. Global News a d’ailleurs réalisé un reportage sur un jeune Écossais de 12 ans l’ayant suivi.

Mme McCahan explique que des CLOT comme Library Advocacy Unshushed et Aboriginal Worldviews in Education, de l’Université de Toronto, attirent beaucoup moins d’étudiants que Neural Networks for Machine Learning, du gourou de l’intelligence artificielle Geoffrey Hinton, mais qu’ils permettent néanmoins à l’établissement de joindre de nouveaux apprenants, de diffuser du savoir et de bâtir une communauté. En ce sens, leur valeur est immense. M. Ahmad soutient que les CLOT peuvent jouer un rôle déterminant dans la diffusion de l’information pour le « bien commun mondial » et qu’ils facilitent l’apprentissage tout au long de la vie.

La plus grande valeur des CLOT réside peut-être en ce qu’ils peuvent enseigner aux professeurs qui les créent. Pour maintenir l’intérêt de milliers d’étudiants sur une plateforme entièrement numérique, il faut avoir des idées novatrices, qui peuvent ensuite s’avérer utiles en classe.

M. Bachand, qui a suivi un cours sur l’écriture de chansons avant d’en créer un lui-même, aime qu’il soit souvent possible aux étudiants de reprendre un examen. Comme le système choisit les questions aléatoirement, l’examen est différent chaque fois. M. Bachand applique maintenant le même principe en classe. « Ce type d’examens ne vise pas à évaluer les étudiants. C’est un outil d’apprentissage ».

La taille des cohortes et les forums de discussion permettent aux enseignants de savoir instantanément ce que les participants pensent des cours et des examens. Corriger les petits problèmes d’un cours ordinaire peut demander des années de travail, contre trois semaines à peine pour un CLOT, soutient Mme McCahan. Les étudiants peuvent suivre le cours n’importe où, ce qui force les créateurs de CLOT à s’ouvrir au monde.

« Tout se fait en collaboration, en partenariat. Le modèle n’a rien de “colonialiste”, explique M. Ahmad. Les CLOT sont pensés en fonction de leur public cible. C’est ainsi qu’ils font évoluer l’enseignement. »

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