Dans la foulée du jugement historique de la Cour suprême du Canada qui a légalisé l’aide médicale au suicide, les écoles de médecine ont des choix difficiles à faire pour s’adapter à ce changement.
Dans sa décision rendue en février, la Cour suprême a annulé les dispositions du Code criminel qui interdisaient l’aide médicale au suicide et l’euthanasie volontaire pour des raisons constitutionnelles. Ces services, confirment les juges, devraient être offerts aux adultes capables qui consentent clairement à mettre fin à leurs jours et qui souffrent « de problèmes de santé graves et irrémédiables » qui leur causent des souffrances intolérables. La Cour a suspendu sa décision pour un an, le temps de permettre à la Chambre des communes de présenter un projet de loi à cet effet.
Les écoles de médecine intègrent déjà les soins palliatifs dans leurs programmes, mais la décision de la Cour exige d’importants changements dans la méthode d’enseignement, selon Geneviève Moineau, présidente-directrice générale de l’Association des facultés de médecine du Canada (AFMC). « Chaque étudiant doit connaître cette décision de la Cour suprême, soutient-elle. Il s’agit d’un élément crucial de notre nouvelle réalité. »
La Dre Moineau rappelle que le dernier changement profond auquel ont dû s’adapter les facultés de médecine s’est produit en 1998, lorsque la Cour suprême a supprimé les lois qui interdisaient l’avortement. « Ce sera semblable », affirme-t-elle, en ajoutant cependant que les écoles de médecine devront attendre les nouvelles lois des gouvernements fédéral et provinciaux – s’ils décident d’en adopter – avant de modifier des éléments particuliers de leurs programmes.
À l’Université de Toronto, les étudiants au premier cycle en médecine reçoivent une formation de 72 heures réparties sur quatre ans sur l’éthique et le professionnalisme qui aborde l’aspect des soins palliatifs, explique Erika Abner, chef du corps professoral en éthique et professionnalisme. Cette formation comprend également des discussions sur la décision de la Cour suprême et ses répercussions possibles. « Mais on ne peut pas aller plus loin, car nous tomberions dans la spéculation, souligne Mme Abner. Nous ne savons pas vraiment comment les lois seront mises en place. »
Jocelyn Downie, professeure aux facultés de droit et de médecine de l’Université Dalhousie et membre de l’équipe juridique des demandeurs dans cette cause, estime toutefois que les écoles de médecine devraient se préparer aux changements dès maintenant. « Nous savons que l’aide médicale au suicide et l’euthanasie volontaire seront légales au Canada dès février prochain, ce qui me porte à croire qu’il n’est pas trop tôt pour élaborer des modules sur la pratique clinique à cet égard ainsi que sur la façon de réaliser la procédure », avance-t-elle.
Les écoles de médecine devront aussi aborder les questions juridiques et éthiques, indique Mme Downie. « Il faut enseigner la loi aux étudiants pour qu’ils sachent ce qu’ils peuvent et ne peuvent pas faire, ce qu’ils doivent et ne doivent pas faire, » prévient-elle. Mme Downie souligne qu’une étude récemment publiée dans la revue Le Médecin de famille canadien a révélé des malentendus, pour bon nombre de professionnels québécois des soins de santé, relativement aux soins palliatifs déjà légaux dans la province et aux soins qui seraient légalisés dans le cadre du projet de loi d’aide médicale à mourir. L’Assemblée nationale du Québec a adopté le projet de loi, qui permet l’aide médicale au suicide, l’an dernier. La loi devrait entrer en vigueur à la fin de 2015.
Les facultés de médecine doivent aussi désigner les enseignants qui donneront la formation et dans quelle année d’études elle sera intégrée au parcours universitaire. Selon Mme Downie, tous les étudiants au premier cycle en médecine devraient analyser les répercussions juridiques et éthiques de l’aide au suicide, tandis que les résidents pourraient se pencher sur les aspects cliniques et pratiques. Elle prévoit concevoir des modules d’enseignement sur les aspects juridiques de la décision de la Cour suprême qu’elle offrira aux écoles de médecine qui en feront la demande.
Il faudra également savoir comment traiter les cas d’étudiants qui ont une objection de conscience à offrir ces services à leurs patients. Tous les médecins doivent être entraînés à informer les patients de leurs droits et à les orienter vers quelqu’un qui peut leur offrir le service souhaité, rappelle la Dre Moineau de l’AFMC, l’association qui représente les 17 facultés de médecine canadiennes. Mais comme dans les cas d’avortement, ils ne sont pas tenus de pratiquer l’intervention.
Lorsque la loi entrera en vigueur, le Canada ralliera des pays comme les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, la Suisse, ainsi que certains États des États-Unis, qui permettent l’aide médicale au suicide. Dans la plupart des pays occidentaux, il s’agit toujours d’une infraction.
L’enjeu demeure controversé pour les Canadiens et pour la profession médicale. Des sondages menés par l’Association médicale canadienne (AMC) confirment les divisions au sein de ses membres. L’AMC a demandé aux législateurs de faire en sorte que toute nouvelle loi protège les droits des médecins, qu’ils choisissent ou non de pratiquer l’euthanasie.
Harvey Chochinov, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en soins palliatifs et professeur de psychiatrie à l’Université du Manitoba, affirme que l’opinion personnelle d’un médecin sur l’aide au suicide ne devrait pas altérer son jugement objectif à l’égard de la capacité du patient de donner un consentement libre et éclairé. Les médecins les moins expérimentés en soulagement de la douleur et en soins palliatifs sont les plus enclins à adhérer aux « pratiques d’accélération de la mort », a-t-il souligné dans un courriel. En revanche, les médecins politiquement opposés à l’aide au suicide sont moins enclins à reconnaître la capacité d’un patient à donner son consentement que ceux qui l’appuient.
En ce qui a trait à la formation, dit-il, les écoles de médecine doivent mieux former les étudiants sur les enjeux liés à la mort. Les étudiants doivent comprendre qu’un patient qui veut mourir témoigne de la « souffrance abjecte » qu’on peut éprouver au cours d’une vie. « Le programme de médecine devrait montrer aux étudiants comment réagir au souhait de mourir, aux nombreux antécédents qui font naître ces sentiments et aux façons d’atténuer une angoisse si profonde, » affirme M. Chochinov.
« Il est inconcevable de penser montrer aux étudiants comment euthanasier des patients quand les compétences de base nécessaires pour comprendre ce qui motive un patient à vouloir mourir sont à peine effleurées – et encore moins maîtrisées – au cours d’une formation en médecine », conclut-il.