La communauté universitaire franco-ontarienne n’a pas reçu à bras ouverts certaines des recommandations du rapport Harrison intitulé Assurer la viabilité financière du secteur de l’éducation postsecondaire de l’Ontario. Si les propositions de financement accrues sont bien accueillies, le doute soulevé dans le document sur la viabilité financière des deux petits établissements francophones fait réagir.
D’ailleurs, en annexe du rapport, une note indique qu’un membre du groupe d’expert.e.s, Maxim Jean-Louis – le seul francophone du groupe –, n’a pas soutenu deux des recommandations du rapport, dont celle portant sur les trois options qui, selon le groupe d’expert.e.s, assureraient que les plus petites universités francophones soient financièrement viables. Il s’est aussi dissocié de celle proposant de procéder à un examen officiel pour consolider les établissements de petite taille et du Nord.
La première des trois options suggère la création d’une nouvelle fédération d’universités chapeautée par l’Université d’Ottawa et qui inclurait l’Université de Hearst (U de H) et l’Université de l’Ontario français (UOF). La taille et les expertises de l’Université d’Ottawa lui permettraient de remplir ce rôle, disent-ils.
La deuxième option propose de jumeler l’U de H et l’UOF aux deux collèges de langue française de l’Ontario : le Collège Boréal et le Collège La Cité. Le groupe y voit la possibilité de créer un nouveau type de partenariat « ayant pour mission spéciale de dispenser des programmes axés sur la carrière ».
Finalement, le groupe d’expert.e.s propose la création d’un « réseau intégré ou un consortium » qui regrouperait tous les établissements bilingues et de langue française. Ici encore, ce serait l’Université d’Ottawa qui serait à la tête du projet. L’idée ressemble au projet que l’UOF et l’U de H voulaient mettre sur pied sans les universités bilingues et pour lequel ils attendent toujours une réponse du gouvernement provincial.
Dans une lettre envoyée à Alan Harrison, président du groupe d’expert.e.s, le recteur de l’UOF, Pierre Ouellette martèle que « les trois options que vous proposez sont irrecevables ». Surtout parce qu’elles ne tiennent pas compte du principe de gestion « par et pour » qui a été chèrement acquis « après des décennies de revendications ».
Le recteur de l’Université de Hearst, Luc Bussières, voit un manque de compréhension de la réalité en milieu minoritaire. « La lentille francophone a été complètement ignorée par le comité. Le “par et pour” n’apparaît nulle part dans le document », déplore le recteur au micro d’une radio de Hearst.
Dans sa missive, M. Ouellette demande simplement le retrait de la section de trois pages et demie qui concerne les universités de langue française. Ou du moins la correction des « faits erronés publiés dans cette section ».
Selon le recteur, « le rapport fait preuve d’une profonde incompréhension et d’un biais significatif contre l’Université de l’Ontario français ». Il prend en exemple un paragraphe qui semble avoir été inclus pour démontrer que les établissements bilingues et francophones n’étaient pas unanimes sur la nécessité de créer une université de langue française. M. Ouellette s’interroge sur la pertinence de cette remarque. « S’agit-il de remettre en question le principe de la gouvernance “par et pour” les francophones? », demande-t-il.
L’UOF indique que le groupe d’expert.e.s a utilisé des données d’inscription dépassées d’au moins un an. De plus, la population étudiante n’est plus majoritairement composée d’étudiant.e.s provenant de l’étranger, comme mentionne le rapport. Environ la moitié est d’origine canadienne, affirme le recteur dans la lettre.
« Enfin, il faut réitérer le contexte exceptionnel dans lequel l’UOF a vu le jour, soit au milieu d’une pandémie dont l’ampleur était sans précédent. » Le recteur rappelle que 36 % des 600 000 Franco-Ontarien.ne.s habitent dans le Centre et le Sud-Ouest de l’Ontario, région desservie par son université. Il croit qu’il est beaucoup trop tôt pour juger du succès de la jeune université qui a ouvert ses portes il y a deux ans et demi.
Réactions étudiantes
Le Regroupement étudiant franco-ontarien n’est pas plus tendre à l’endroit des options présentées dans le rapport. Il est hors de question pour l’organisme que l’Université d’Ottawa soit à la tête de quoi que ce soit pour les francophones. « [D]es décennies de luttes francophones en éducation ont fait la preuve du caractère irréconciliable du modèle d’institution bilingue que représente entre autres l’Université d’Ottawa avec l’épanouissement et le développement de nos communautés », déclare le directeur général de l’organisme, François Hastir, dans un communiqué.
La troisième option serait tout même acceptable pour le regroupement si le réseau avait « une gouvernance entièrement francophone et autonome ».
Étudiant.e.s et établissements accueillent bien les recommandations de hausse du financement des établissements postsecondaires et la bonification du Régime d’aide financière aux étudiantes et étudiants de l’Ontario proposé dans le rapport.
À lire aussi : L’Ontario se résoudra-t-il à augmenter le financement du secteur postsecondaire et les droits de scolarités?
Cependant, des étudiant.e.s craignent les effets néfastes qu’aurait une hausse des droits de scolarité. « Le taux d’intérêt qui est appliqué à la suite de [l’obtention du diplôme] devient un fardeau majeur pour le développement de la personne, pour sa stabilité socioéconomique », affirme le président de l’Association des étudiant.e.s francophones de l’Université Laurentienne, Nawfal Mercier-Sbaa.
Deux semaines avant le dévoilement du rapport Harrison, le Conseil des Fédérations canadiennes des étudiantes et étudiants avait organisé une journée d’action pour demander une baisse des droits de scolarité. Selon les associations étudiantes, une réduction de ceux-ci aiderait à diminuer le décrochage et augmenterait le nombre d’étudiant.e.s inscrit.e.s.
Rien pour l’Université de Sudbury
De son côté, l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) est heureuse de voir que le groupe d’expert.e.s recommande plus d’investissements. Elle aimerait cependant voir un calcul différent pour les établissements francophones.
« Le marché francophone étant différent du marché anglophone, on aimerait voir une formule de financement qui encouragerait beaucoup plus la collaboration, la concertation des partenariats entre les institutions pour vraiment bien répondre aux besoins des étudiantes et étudiants francophones », explique le directeur général de l’AFO, Peter Hominuk. Le rapport semble justement encourager les collaborations.
Impossible de le manquer : l’Université de Sudbury n’est pas mentionnée dans le rapport. Rappelons que le gouvernement de l’Ontario a refusé, le 30 juin dernier, de financer l’établissement francophone. Elle ne fait donc pas encore officiellement partie du réseau universitaire ontarien.
« On est un peu déçu que le rapport n’en fait pas mention pour annoncer une formule de financement, commence M. Hominuk. Mais la communauté continue à la vouloir, elle veut voir l’Université de Sudbury ouverte pour desservir les besoins de la communauté franco-ontarienne, et ce, dans les plus brefs délais. »