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Éducation postsecondaire en français en Ontario : survol des enjeux actuels

Pendant que l’Université de Sudbury fait face à un mur, les autres universités franco-ontariennes enregistrent des inscriptions records.

par JULIEN CAYOUETTE | 25 SEP 23

Déceptions et bonnes nouvelles se côtoient lors de la rentrée universitaire 2023 en Ontario. Tandis que l’Université de l’Ontario français et l’Université de Hearst semblent avoir le vent dans les voiles, l’Université de Sudbury a frappé un écueil et les professeur.e.s de l’Université d’Ottawa disent voir la brume des dernières années s’épaissir.

L’événement marquant des derniers mois : la décision du ministère des Collèges et Universités de l’Ontario de ne pas financer le projet de l’Université de Sudbury (UdeS) a surpris le recteur, Serge Miville, lorsqu’elle a été annoncée le 30 juin dernier alors qu’il estimait jusque-là que les discussions allaient bon train.


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Le ministère explique en partie ce refus en affirmant que la programmation proposée ne cadrait pas avec les besoins du marché du travail. Un argument que réfute le recteur, puisque les programmes proposés s’appuient sur les mêmes données que celles du ministère et visaient à répondre aux demandes du marché en ce qui concerne la main-d’œuvre francophone.

« Depuis le mois de juin dernier, l’Université de Sudbury travaille avec ses partenaires institutionnels, le gouvernement de l’Ontario et le gouvernement du Canada [afin de trouver] des solutions pour combler les besoins en programmation universitaire en français et répondre à la pénurie de main-d’œuvre. Ce travail s’inscrit dans une démarche plus large que le gouvernement de l’Ontario a confiée à un Groupe d’experts », indique M. Miville par écrit.

Le recteur de l’Université de Hearst (U de H), Luc Bussières, n’avait pas non plus vu cette annonce venir. « On s’inquiétait du fait que la réponse tardait, mais j’avais quand même l’impression de mon côté que la réponse finale serait un “oui”. »

Malgré ce qu’en dise le ministère, M. Bussières ne croit pas que l’offre de programme en français en Ontario soit déjà suffisante. « Même quand on additionne les programmes de l’Université de Hearst et de l’[Université de l’Ontario français], on n’a pas tout à fait 10 programmes », rappelle-t-il.

Pour sa part, le recteur de l’Université de l’Ontario français (UOF), Pierre Ouellette, a eu des doutes lorsqu’il a remarqué que l’U de S était absente du budget provincial du printemps 2023.

Ce revers essuyé par l’U de S jette d’ailleurs une ombre sur le projet de réseau des universités francophones de l’Ontario — qui comptait l’UOF, l’U de H et éventuellement l’U de S. Les discussions sont au point mort, confirment MM. Bussières et Ouellette. Ceux-ci ont fourni des précisions sur leur modèle à la demande du gouvernement provincial au mois de mars 2023, mais aucunes nouvelles depuis. La proposition n’a donc pas encore été transmise au gouvernement fédéral.

Inscriptions à la hausse

Les nouvelles ne sont par contre pas toutes mauvaises. Les deux universités franco-ontariennes rapportent un nombre plus élevé d’inscriptions cet automne.

L’U de H accueille 108 étudiant.e.s de première année, soit 20 de plus qu’en 2022. Pour l’ensemble de l’établissement, la communauté étudiante est passée de 275 personnes en 2022 à 334 en 2023. Le recteur s’attend à ce que de 25 à 40 étudiant.e.s s’ajoutent en janvier.

Du côté de l’UOF, M. Ouellette qualifie la rentrée « d’excellente ».  Après une semaine de cours, l’établissement comptabilisait 233 inscriptions. Près du tiers de ces étudiant.e.s sont inscrit.e.s au nouveau programme d’enseignement. L’établissement devait initialement compter 40 places dans ce programme, mais le gouvernement a ajouté du financement permettant ainsi de financer 40 nouvelles équivalences à temps plein en enseignement à l’UOF. Bien qu’appréciées, ces 110 nouvelles places (les 70 autres ayant été octroyées à l’Université d’Ottawa) sont cependant encore loin de répondre aux besoins dans cette discipline. Selon l’Association des enseignantes et enseignants franco-ontariens (AEFO), plus de 500 enseignant.e.s doivent être recruté.e.s en Ontario chaque année pour répondre à la demande.

Toujours en mode « démarrage », l’UOF est approximativement là où son plan de cinq ans avait anticipé qu’elle serait. « La croissance va venir beaucoup avec l’élargissement de la programmation. Je dirais qu’on a préparé les nouveaux programmes plus rapidement que ce qui avait été prévu », précise M. Ouellette.

Justement, l’UOF a annoncé la création d’un baccalauréat en administration des affaires en collaboration avec le Collège La Cité pour la rentrée 2024. Le développement d’un programme de premier cycle en santé mentale est également en cours et M. Ouellette souhaite proposer au moins un premier programme de 2e cycle avant la cinquième année d’existence de l’UOF en 2025.

Du côté des universités bilingues, il est trop tôt pour confirmer le nombre d’inscriptions. L’Université d’Ottawa s’attend tout de même à « une relative stabilité au niveau des effectifs étudiants francophones par rapport à la dernière année scolaire », avance le vice-recteur associé, Francophonie, Yves Pelletier. Les étudiant.e.s francophones sont de plus en plus nombreux dans cet établissement. Alors qu’on en comptait 11 653 à la rentrée de 2018, leur nombre passait à 13 563 en 2021 et à 14 109 en 2022. En 2021, 32 % des étudiant.e.s de l’Université étaient francophones.

L’Université Laurentienne a annoncé par voie de communiqué que le nombre d’étudiant.e.s serait confirmé en novembre.

Les professeur.e.s talonnent l’Université d’Ottawa

Au-delà des effectifs étudiants, difficile de savoir si la situation du français s’est améliorée au sein de l’Université d’Ottawa depuis le dépôt du rapport sur l’état de la francophonie en 2021 qui en brossait un inquiétant portrait. L’Association des professeur.e.s de l’Université d’Ottawa (APUO) juge que le rapport est trop récent pour « en évaluer les retombées ».

M. Pelletier croit de son côté que le Règlement sur le bilinguisme modernisé adopté en octobre 2022 « offre une place de choix à la langue française pour qu’elle progresse vers l’égalité réelle avec l’anglais », et ce, aussi bien pour l’embauche du personnel, la production du savoir, l’enseignement et l’apprentissage.

D’autres actions ont été lancées depuis 2021, poursuit M. Pelletier. Comme l’examen approfondi de l’offre de formations en français, ce qui a permis d’assurer que ses programmes désignés par la Loi sur les services en français la respectaient.

L’APUO soulève par contre plusieurs inquiétudes quant aux pratiques budgétaires de l’établissement qui « représentent un obstacle majeur à l’atteinte des objectifs identifiés dans le rapport », répond le syndicat par courriel.

L’Université crée un climat de peur non justifié quant à sa situation financière, estime-t-il. « L’administration insiste sur le fait que notre budget de fonctionnement est déficitaire alors qu’en réalité elle fabrique elle-même le déficit par sa pratique des transferts interfonds. C’est seulement après ces transferts planifiés que le fonds de fonctionnement enregistre un déficit. »

Un recours exagéré à des professionnel.le.s externes et une réduction imposée de 5 % aux budgets des facultés font partie des doléances du syndicat. « Ces coupes ont un impact négatif sur la qualité de l’éducation à l’Université et l’éducation francophone n’en est pas exempte. »

Cette diminution des budgets a entraîné, entre autres, une diminution du soutien administratif pour les professeur.e.s, qui ont vu leur charge de travail augmenter. « Bien que l’administration ait annoncé certaines victoires concernant l’éducation francophone, comme l’augmentation de notre population étudiante francophone, la qualité de l’éducation en français continuera à souffrir si l’administration poursuit ses pratiques budgétaires actuelles », avance l’APUO.

Problème de traduction

En avril 2023, l’Université d’Ottawa a temporairement suspendu les inscriptions aux programmes de baccalauréat et de maîtrise en traduction. Une nouvelle mal accueillie par les étudiant.e.s, les professeur.e.s et les professionnel.le.s de la traduction.

Selon l’établissement, les inscriptions étaient en baisse depuis 2016. La suspension était nécessaire pour « repenser et tirer davantage profit de sa position stratégique dans la région de la capitale nationale, ainsi que sa place privilégiée à titre d’université bilingue », explique par écrit Jesse Robichaud, porte-parole de l’Université.

Aucune date de reprise n’a encore été annoncée. Les professeur.e.s sont à la tête du processus de réflexion et consultent en ce moment des professeur.e.s, des étudiant.e.s, des diplômé.e.s et des partenaires externes.

L’APUO fait partie des gens qui dénoncent la suspension de ces programmes et qui redoutent qu’elle n’« entraîne leur fermeture définitive », une crainte alimentée par les précédentes coupes budgétaires de l’Université dans tous les départements.

« L’École de traduction et d’interprétation devrait être une source de fierté, protégée par l’Université d’Ottawa, plutôt que d’être perçue comme un moyen de réduire les coûts », insiste le syndicat.

Étudiant.e.s provenant de l’étranger

En plus des enjeux reliés au caractère francophone des établissements, ceux-ci n’échappent pas aux tendances observées dans le reste des universités du pays. Lors des deux premières rentrées de l’UOF, des critiques s’étaient d’ailleurs fait entendre au sujet du faible nombre d’étudiant.e.s provenant de l’Ontario ou du Canada inscrit.e.s à l’UOF. M. Ouellette affirme que cette fois la cohorte est composée d’environ 50 % d’étudiant.e.s canadien.ne.s. « On ne s’est jamais excusé d’attirer une clientèle internationale. Si on ne peut pas le faire, on ne se bat pas à armes égales avec les anglophones », soutient le recteur.

Pour cette raison, M. Ouellette suit attentivement le dossier des permis d’études délivrés par le gouvernement fédéral. Les étudiant.e.s francophones semblent encore devoir attendre plus longtemps que les anglophones et les demandes provenant de certaines régions de l’Afrique essuient plus souvent des refus que les autres.


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L’Université de Hearst compte également sur les étudiant.e.s provenant de l’étranger pour remplir ses rangs, mais M. Bussières dit voir une amélioration dans l’ensemble de l’approbation des permis d’études. « On avait des taux de refus de façon générale en Ontario d’à peu près 70 à 80 % au cours des dernières années. Ça semble se corriger. L’année dernière, on était plus près d’un taux de 40 % d’acceptation. Il semble y avoir eu un mouvement au niveau [d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada]. »

Les logements manquent dans tous les coins de la province

Ces belles performances entraînent cependant plus de pression sur le logement, aussi bien à Toronto qu’à Hearst.

M. Bussières profite de l’occasion pour signaler que la pénurie de logements n’existe pas seulement dans les grands centres. « En 2021, le taux d’inoccupation des logements était de 0,05 % à Hearst, 0,07 % à Timmins et 0,08 % à Kapuskasing. Les choses ne se sont sûrement pas améliorées. Nous avions de sérieuses inquiétudes pour la rentrée. »

Selon ce que lui a rapporté son équipe, entre 10 et 15 personnes ont retardé leur projet d’études en raison de la pénurie de logements dans la région. Sans intervention rapide, il deviendra impossible pour les universités de continuer à accroître leur bassin d’étudiant.e.s.

« Pour nous, c’est probablement l’enjeu le plus important », dit M. Ouellette. L’UOF a une entente avec une résidence à proximité, « mais ça demeure dispendieux », confirme-t-il. Un projet de construction de résidence n’est pas hors de question, mais difficile à ajouter à l’agenda alors que l’établissement n’en est qu’à sa troisième année d’existence.


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Quant à elle, l’U de H n’a tout simplement pas les moyens de construire elle-même des résidences et le gouvernement de l’Ontario n’a pas de fonds d’immobilisation pour les établissements postsecondaires.

À Sudbury, la crise est aussi présente, ainsi, à défaut de pouvoir offrir des cours, l’Université de Sudbury se propose comme une solution à la pénurie de logements. L’établissement a rénové sa résidence l’année dernière. Elle peut accueillir 176 étudiant.e.s.

« Nous ne baisserons jamais les bras tant que nous continuons à avoir un impact positif dans notre communauté et pour nos étudiant.e.s », affirme M. Miville. « Nous sommes d’accord avec le premier ministre Ford que nous devons exercer des efforts concertés pour répondre à la pénurie de logement et de main-d’œuvre et c’est ce que nous faisons. »

Les personnes qui gravitent autour du milieu de l’éducation et de l’immigration francophones au Canada se sont récemment prononcées contre l’idée évoquée par le ministre du Logement, de l’Infrastructure et des Collectivités, Sean Fraser, de plafonner le nombre d’étudiant.e.s provenant de l’étranger dans les collèges et les universités afin de limiter leur impact sur le logement. Les recteurs de l’UOF et de l’U de H croient aussi que la solution est ailleurs que dans le plafonnement.

« Je trouve que la population étudiante a le dos large, dit M. Ouellette. Les étudiant.e.s ont très peu l’occasion de se défendre et de faire valoir leur point de vue. »

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