Si l’inauguration officielle protocolaire a eu lieu le 12 novembre 2021, c’est depuis septembre que l’Université de l’Ontario français (UOF) accueille ses premiers étudiants. Une rentrée marquée à la fois par la pandémie de COVID-19 et un nombre plus élevé d’étudiants étrangers que franco-ontariens.
Avant même de marquer la rentrée, le confinement visant à freiner la pandémie avait teinté la mise sur pied de l’Université. Plusieurs employés ne se sont jamais vus autrement qu’à travers un écran. « Aller en confinement et se connaître déjà, c’est une chose. Quand tu commences sans te connaître, c’est un défi additionnel », révèle le recteur de l’UOF, Pierre Ouellette qui a lui-même débuté son mandat en juillet dernier.
Du côté des étudiants, on apprécie déjà la flexibilité offerte. Olivier Yole a choisi de vivre l’expérience sur le campus. En septembre et octobre, tout était en ligne. Depuis novembre, l’UOF offre ce qu’elle appelle la comodalité. « On a un écran géant, des caméras qui tournent tout autour de nous, des speakers au plafond… c’est vraiment immersif à 100 % », décrit l’étudiant.
Même avant la crise sanitaire, l’établissement avait prévu de livrer ses cours de cette façon. Les étudiants peuvent choisir d’être en classe ou en ligne et changer de mode d’un jour à l’autre. M. Yole dit spécialement apprécier la chance qu’offre la technologie d’accueillir en classe des spécialistes de partout.
Des inscriptions décevantes?
L’UOF confirme avoir 150 étudiant.e.s inscrit.e.s aux sessions d’automne et d’hiver dans l’un des quatre programmes de baccalauréat ou les microprogrammes qu’elle offre. Selon ses données, 70 % sont des étudiants étrangers tandis que les étudiants canadiens représentent 30 % des inscriptions.
Une répartition qui inquiète la communauté franco-ontarienne. Cette université francophone a été réclamée pour que les francophones de la province aient le contrôle de leur éducation de la maternelle à l’université.
Les classes de M. Yole comptent une vingtaine d’étudiants, dit-il. Quatre ou cinq en classe, une quinzaine en ligne qui suivent les cours du Québec, de l’Europe et de l’Afrique.
Le recteur et le service des communications de l’établissement rappellent qu’ils n’en sont qu’à la première année d’une phase de démarrage de huit ans. De plus, les programmes ont seulement été approuvés par le gouvernement ontarien en octobre 2020. Un peu tard pour en faire la promotion auprès des élèves du secondaire, mais juste à temps pour les étudiants étrangers.
« Tout le monde reconnaît que les communautés francophones vont en partie se renouveler par l’immigration. Les collèges et les universités font partie des meilleurs vecteurs pour attirer l’immigration francophone », met de l’avant M. Ouellette.
Il estime également que le cycle de recrutement des diplômés du secondaire se fait sur une plus longue période — presque cinq ans. Les élèves et les parents doivent connaître l’existence de cette option dès les premières années du secondaire pour s’y intéresser, dit-il. Cet automne, l’UOF a fait plus de publicité en ligne et vise davantage les jeunes de la 9e à la 12e année qui fréquentent les écoles de langue française de l’Ontario.
« Il faut être patient, affirme M. Ouellette. Ça va peut-être prendre trois, quatre, cinq ans avant d’atteindre une vitesse de croisière avec laquelle on est à l’aise. »
M. Yole est en quelque sorte dans les deux catégories. Immigrant français qui a transité par le Québec avant de s’installer à Toronto, il s’est inscrit à l’Université six mois après son arrivée dans la Ville Reine.
Il a décidé d’être membre étudiant du Sénat de l’UOF. Il s’y est engagé dans l’optique de s’intégrer plus rapidement, mais aussi pour faire une différence dans la création du lien entre cette nouvelle université et ses étudiants. « Je n’y vois que du positif. C’est pour ça que je n’ai pas réfléchi longtemps avant de me lancer. »
Apprendre à présenter les programmes
Les programmes développés par l’UOF n’ont pas des noms traditionnels. Études de l’économie et de l’innovation sociale, Études des cultures numériques, Études de la pluralité humaine et Études des environnements urbains n’invoquent pas pour les adolescents une idée claire des métiers auxquels ils donnent accès.
Aux dires de M. Ouellette, l’équipe de marketing trouve tranquillement de meilleures façons de les présenter. « Ce sont des programmes très axés sur de réels besoins et enjeux complexes du XXIe siècle », avance-t-il. Par exemple, le site Internet indique notamment des emplois comme analyste des politiques, agent de programme, médiateur communautaire interculturel comme débouchés potentiels pour le programme en pluralité humaine.
Pour l’étudiant Olivier Yole, la pertinence du programme d’études des cultures numériques où il est inscrit ne fait aucun doute dans le monde moderne. « J’ai choisi ce baccalauréat parce qu’il est tourné vers l’avenir. On apprend effectivement [des notions] de l’immersion, de la réalité augmentée, de l’intelligence artificielle… »
Il voit la nature transdisciplinaire du programme. « On peut [travailler] sur des projets de grande envergure parce qu’on a cet œil transdisciplinaire qui nous permet de voir tout l’ensemble du sujet. » Rédaction, baladodiffusion, commerce en ligne sont des débouchés que M. Yole entrevoit à la fin de son programme.
D’ailleurs, ces quatre programmes ne resteront pas les seuls offerts par l’UOF. Un programme pour former des enseignants pour les écoles francophones et les programmes d’immersion en français est en processus d’approbation. L’UOF espère ardemment pouvoir l’offrir en septembre 2022.
La pénurie d’enseignants de langue française est bien connue au Canada français et plusieurs écoles embauchent des enseignants non qualifiés afin de pourvoir des postes. « Notre [baccalauréat en éducation] permettrait d’étudier en même temps que tu travailles dans une école, explique M. Ouellette. Tu fais tes études et, en même temps, tu as une lettre qui te donne la permission pour travailler dans les écoles. »
Les domaines de la gestion, de la gouvernance, de la santé et de la justice sont les prochains dans la ligne de mire pour la création de programmes. « Il y a plein de besoins dans nos communautés pour des travailleurs bilingues. On a fait faire une évaluation en 2019 et, d’ici 2030, on estime qu’on aura besoin de 180 000 nouveaux diplômés francophones », dévoile le recteur.
Prendre sa place
Au départ, le gouvernement ontarien avait dit vouloir créer l’Université de l’Ontario français pour répondre aux besoins grandissants de la population francophone du Centre-Sud-Ouest de l’Ontario. Selon le gouvernement provincial et le recensement de 2016, 36 % des francophones de l’Ontario habitaient cette région, une légère augmentation par rapport au 35 % de 2011.
Pour M. Ouellette, la présence de l’UOF est essentielle dans cette région pour éviter qu’un plus grand nombre de francophones choisissent d’étudier en anglais. « Comme communauté, je ne pense pas que c’est [un risque] que l’on veut prendre. »
Pour cette raison, il est ouvert à la collaboration avec les autres établissements francophones; entre autres avec l’Université de Sudbury qui tente de se réinventer en université francophone et avec l’Université de Hearst qui a obtenu son indépendance de l’Université Laurentienne en juin dernier. L’objectif est d’offrir le plus de choix d’études et de cours possible. « Il faut que l’on se parle entre nous et c’est notre intention », ajoute le recteur.
En plus miser sur l’innovation dans la livraison des programmes, l’UOF multiplie les partenariats extérieurs pour favoriser la recherche. Un Carrefour francophone du savoir et de l’innovation a été lancé avant même l’ouverture de l’Université et compte déjà 30 partenaires. De plus, le 23 novembre, l’UOF participait au lancement du nouveau chapitre Acfas-Toronto.
« L’idée de donner plus de place aux francophones, ça dépasse les murs de l’UOF. Je suis convaincu qu’il faut que l’on joue un rôle fédérateur de la francophonie », affirme M. Ouellette.