Les étudiants étrangers jouent un rôle de plus en plus essentiel dans la stratégie d’immigration du Canada, en raison de la modification gra-duelle des règlements fédéraux visant à attirer des immigrants hautement qualifiés.
Depuis quelques années, le gouvernement fédéral revoit progressivement les règles d’immigration afin de tirer parti de ce bassin de candidats idéaux, selon Harald Bauder, directeur de l’enseignement au centre d’immigration et d’établissement de l’Université Ryerson. D’une sélection en fonction d’un système de pointage, on est ainsi passé « en douce » à un processus en deux étapes où l’on accueille temporairement les étudiants et les travailleurs qualifiés étran-gers avant de leur permettre de demander le statut de résident permanent.
« Ce n’est pas une réforme adoptée au Parlement, explique M. Bauder. C’est une démarche progressive : à la fin, on réunit tous les morceaux du casse-tête et on obtient un système [d’immigration] différent. »
La Catégorie de l’expérience canadienne (CEC), créée en 2008, est une pièce maîtresse de ce casse-tête. Elle ne représente qu’une petite proportion de l’immigration économique au Canada, mais elle affiche la croissance la plus rapide de toutes les catégories. La CEC permet aux travailleurs étrangers qualifiés qui occupent un emploi temporaire au Canada, ainsi qu’aux diplômés étrangers d’établissements d’enseigne-ment supérieur canadiens qui ont une expé-rience de travail, de demander leur résidence permanente sans quitter le pays.
Auparavant, les étudiants étrangers qui souhaitaient immigrer au Canada devaient retourner dans leur pays d’origine pour présenter leur demande. Depuis la création du programme il y a cinq ans, le Ca-nada a accueilli plus de 20 000 résidents permanents par l’entremise de la CEC.
Le gouvernement conservateur a assoupli les règles de la CEC au début de 2013. Depuis janvier, les étudiants étrangers peuvent demeurer au pays jusqu’à trois ans au lieu de deux après avoir obtenu leur diplôme, ce qui leur laisse plus de temps pour acquérir l’expérience de travail requise pour être admissibles à la résidence permanente. Le gouvernement a également réduit de 24 à 12 mois la période de travail exigée. Les résidents permanents peuvent demander la citoyenneté canadienne après trois ans.
Selon M. Bauder, ces changements permettent de contourner l’un des grands problèmes du système d’admission par pointage. Bien que hautement qualifiés, les immigrants peinent souvent à trouver du travail dans leur domaine, soit parce que leur expérience et leurs diplômes étrangers ne sont pas reconnus par l’employeur, soit parce qu’ils ne maîtrisent pas la langue. Les étudiants étrangers diplômés au Canada risquent peu de se heurter à de telles difficultés.
« En un sens, [un étudiant étranger] est l’immigrant idéal, si l’on accepte la prémisse que les immigrants doivent présenter un avantage économique pour le Canada, dit M. Bauder. Il peut immédiatement intégrer le marché du travail et commencer à payer de l’impôt. » Cependant, ajoute-t-il, personne au Canada ne se demande s’il est justifié d’inciter ainsi les travailleurs hautement qualifiés à quitter leur pays d’origine.
Cette année, on vise à accueillir 10 000 résidents permanents dans le cadre du programme CEC. En 2011, dernière année où les données sont disponibles, le Canada a admis près de
4 000 demandeurs principaux au titre de la CEC, en plus de 2 000 conjoints et personnes à charge. Environ la moitié d’entre eux étaient d’anciens étudiants étrangers.
Le Canada comptait près de 240 000 étu-diants étrangers, selon des données de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) citées dans un rapport de 2012 du Bureau canadien de l’éducation internationale (BCEI). Environ la moitié d’entre eux étaient inscrits à l’université. Le nombre d’étudiants étrangers au Canada à tous les niveaux croît rapidement depuis quelques années. L’augmentation moyenne sur 12 mois était de 11,5 pour cent de 2008 à 2011, contre 4,3 pour cent de 2001 à 2008, selon CIC.
Le BCEI attribue cette hausse en partie aux nouvelles politiques qui ont fait du Canada un pôle d’attraction pour les étudiants étrangers. « Pendant longtemps, on se souciait peu des étudiants et diplômés étrangers des établissements canadiens, affirme Jennifer Humphries, vice-présidente, services aux membres, politique publique et communications du BCEI. On ne comprenait sans doute pas qu’ils étaient des candidats en or, titulaires de diplômes canadiens, ayant déjà commencé à s’intégrer et à faire preuve de capacité d’adaptation. Les choses ont bien changé maintenant. »
Les établissements d’enseignement supérieur mentionnent les politiques d’immigration dans leurs documents promotionnels, tout en prenant soin de préciser que les étudiants devraient venir au Canada d’abord et avant tout pour étudier. « Bon nombre d’étudiants tiennent vraiment à savoir s’ils peuvent devenir résidents permanents ou acquérir une expérience de travail prolongée après avoir obtenu leur diplôme, » explique Mme Humphries.
Doug Weir, directeur général des programmes et services destinés aux étudiants du bureau international de l’Université de l’Alberta, soutient que « la révision des politiques d’immigration contribue à rendre le Canada plus attrayant et à accroître sa capacité à attirer les étudiants étran-gers. Des établissements canadiens ont vraiment su tirer leur épingle du jeu en matière de recrutement d’étudiants étrangers. »
En plus de la CEC, le gouvernement fédéral a remanié les règles relatives aux permis de travail temporaires pour les étudiants étrangers. Le Programme de travail postdiplôme leur permet de travailler jusqu’à trois ans après avoir terminé leurs études, sans restriction quant au type d’emploi occupé. Le nombre de permis accordés en vertu de ce programme a doublé depuis que le gouvernement en a révisé les règles en 2008. Le Programme de permis de travail hors campus permet pour sa part aux étudiants de travailler jusqu’à 20 heures par semaine pendant leurs études. Le gouvernement a proposé qu’à compter de 2014, les étudiants étrangers à temps plein qui détiennent un permis d’études valide puissent d’emblée occuper un emploi hors campus, sans devoir demander de permis de travail. Si ce changement est approuvé, le Canada offrira des conditions plus avantageuses que les autres grands pays d’accueil, selon Mme Humphries.
Les étudiants étrangers peuvent également obtenir la résidence permanente à titre de titu-laires de doctorat dans le cadre du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral), ou encore à titre d’étudiants dans le cadre du Programme des candidats des provinces. Plusieurs provinces ont fait du recrutement d’étudiants étrangers une priorité pouvant compenser le déclin démographique.
Malgré tout, certains défis demeurent. Le nombre de résidents permanents admis au titre de la CEC n’a jamais atteint l’objectif visé depuis le début du programme. Toutefois, le comité consultatif sur la stratégie internationale en matière d’éducation établi par le gouvernement fédéral et présidé par le recteur de l’Université Western, Amit Chakma, a recommandé l’expansion et la promotion du programme CEC.
Les changements aux politiques d’immi-gration se répercutent également sur les établissements d’enseignement supérieur, qui doivent bonifier leurs services d’intégration. Par exemple, l’Université Memorial offre désormais aux étudiants étrangers un programme de perfectionnement axé sur la recherche d’emploi et la préparation aux entretiens d’embauche. L’Uni-versité offre en outre des cours de langue et des services de soutien aux conjoints et aux enfants des étudiants étrangers, selon Sonja Knutson, directrice intérimaire du centre international de l’Université Memorial. Il y a 10 ans, les services d’intégration consistaient habituellement à aller chercher l’étudiant à l’aéroport, à l’aider à trouver un logement et à remplir des formulaires.
Le Canada et les provinces ne sont pas les seuls à lorgner du côté des étudiants étrangers. Les États-Unis ont proposé d’accorder des visas et des cartes de résidents permanents aux étu-diants étrangers titulaires de grades supérieurs en science, technologie, génie ou mathématiques, et ce, immédiatement après l’obtention de leur diplôme. Un tel changement, s’il est adopté, serait préoccupant pour le Canada, puisque les États-Unis constituent déjà la première destination des étudiants étrangers, bien que le pays n’ait pas de stratégie de recrutement établie, selon Mme Humphries, du BCEI. Le Canada accueille environ cinq pour cent des étudiants étrangers, ce qui en fait le septième plus important pays d’accueil, derrière les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, la Chine, l’Australie et l’Allemagne.