Le projet de modernisation de la Charte de l’Université de Montréal est plutôt bien accepté des étudiants, chargés de cours et diplômés, mais pas des professeurs. Qu’est-ce qui les inquiète autant?
« L’Université de Montréal (U de M) a un conseil d’administration, une commission des études assurant la coordination de l’enseignement et une assemblée universitaire d’une centaine de membres, laquelle énonce les grands principes de nos orientations stratégiques, explique la chancelière Louise Roy. Cette gouvernance tricamérale est assez unique dans les universités québécoises. »
« La Charte date de 1967 et doit être modernisée », avance le recteur Guy Breton. Il énumère les quatre objectifs de cette réforme : officialiser la laïcité d’une institution où l’archevêque de Montréal peut encore nommer deux des membres du conseil; affirmer la nature francophone de l’U de M; assurer l’équité en matière disciplinaire; et inscrire dans la Charte les chargés de cours, les étudiants, les employés et les diplômés.
La Charte de l’Université de Montréal faisant l’objet d’une loi du Québec, l’Assemblée nationale doit adopter les modifications suggérées afin qu’elles soient valides. Ainsi, Mme Roy a initié elle-même le projet de loi d’intérêt privé 234. Un tel projet de loi, qui concerne une portion restreinte de la population (ici la communauté de l’U de M), peut être déposé par tout citoyen. La Commission de la culture et de l’éducation a débuté l’étude du projet de loi en décembre dernier, mais il faudra attendre la reprise des travaux de l’Assemblée le 6 février prochain pour en connaître l’issue.
Levée de boucliers chez les professeurs
Ces objectifs serviraient d’écran de fumée dissimulant des desseins beaucoup moins nobles, selon le président du Syndicat général des professeurs et professeures de l’Université de Montréal (SGPUM), Jean Portugais. « La nouvelle Charte modifie les équilibres au sein de l’université, menace la liberté académique et la collégialité et modifie les conditions de travail des professeurs sans négociation », dénonce-t-il.
Selon le SGPUM, la structure de gouvernance devient moins collégiale et plus autoritaire, notamment parce que l’assemblée universitaire perd des pouvoirs au profit du conseil et parce qu’il y sera inscrit que le recteur relève du conseil et les doyens du recteur.
« Ça fonctionne comme ça à l’Université de Sherbrooke, à l’Université Laval et ailleurs, est-ce que les professeurs là-bas sont plus serviles qu’à l’U de M?, rétorque Guy Breton. La collégialité à laquelle tiennent les professeurs exclue tous ceux qui ne sont pas professeurs! »
Il ajoute que ces derniers conserveront leurs poids politique, puisqu’ils représenteront toujours la moitié des membres de l’assemblée universitaire. Mais Jean Portugais s’alarme d’autres aspects de la nouvelle Charte, comme l’arrimage enseignement et recherche, désormais confié à la commission des études. « Il y a 3 professeurs sur 40 membres à cette commission, note-t-il. On va laisser à un groupe dénué de chercheurs la prérogative d’influer autant sur les orientations de recherche? »
Il s’inquiète aussi du fait que les philanthropes soutenant l’Université de Montréal puissent siéger comme « indépendants » au conseil. « Ces gens ont des intérêts, ils ne sont pas indépendants », tonne-t-il. Cela lui fait craindre une dérive vers la commercialisation de l’université.
Louise Roy répond que le conseil a toujours eu une majorité de membres externes. « La seule différence, c’est qu’auparavant huit membres étaient nommés par le gouvernement, contre deux dans la nouvelle Charte, explique-t-elle. Les six postes libérés seront redistribués à des diplômés, des chargés de cours, des étudiants, etc. Il n’y a aucun lien, par ailleurs, avec la philanthropie. Aucun de nos grands donateurs ne siège présentement au conseil. »
Le syndicat prévoit contester la loi devant les tribunaux, si elle devait être adoptée.
Reconnaissance attendue
Les autres corps de l’université ne partagent pas ces inquiétudes et voient la nouvelle Charte d’un bon œil. D’autant plus qu’étudiants, chargés de cours et diplômés y gagnent tous une reconnaissance formelle de leur rôle dans la gouvernance.
« Les chargés de cours donnent la moitié des cours au premier cycle et pourtant ils n’existent pas officiellement dans la Charte, déplore Pierre Verge, président du Syndicat des chargées et chargés de cours de l’U de M. Ils souhaitent être présents dans toutes les instances, dans une proportion reflétant leur rôle. »
Les étudiants, eux, verront enchâssés dans la nouvelle Charte leurs quatre sièges à la commission des études. « Actuellement, les quatre membres étudiants sont nommés par le conseil, mais sans obligation officielle », précise Simon Forest, secrétaire général de la Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal (FAÉCUM).
Les étudiants insistent beaucoup sur la question de la discipline. « La Charte sort la discipline des prérogatives de l’assemblée universitaire et en fait un pouvoir du conseil, explique Simon Forest. Présentement, il y a un système à deux vitesses à l’Université de Montréal. Tout le monde est jugé par l’administration, mais les professeurs se jugent entre eux. Leur système est opaque, on ne connaît même pas les sanctions imposées. »
Les professeurs interprètent au contraire cette modification comme un changement unilatéral de leurs conditions de travail. Ils craignent aussi que le conseil n’utilise ce nouveau pouvoir pour mettre au pas les professeurs qui critiquent l’Université, réduisant d’autant les libertés d’expression et académique.
De son bureau de l’Université du Québec à Montréal, le sociologue et historien des sciences Yves Gingras suit ce débat. Selon lui, le fait que les professeurs soient en période de renouvellement de leur convention collective explique en partie leur méfiance exacerbée.
« La Charte est complètement désuète et a besoin d’être modernisée, convient-il. La nouvelle mouture rend le fonctionnement de l’U de M semblable à celui des autres universités québécoises. »
Parmi les irritants, il relève la mention de membres « indépendants » au conseil. Il préférerait « membres externes », puisqu’aucun membre n’est vraiment indépendant, tous ont des intérêts à défendre.
D’autres formulations ont perdu de la clarté. Auparavant, le conseil nommait trois de ses propres membres à l’assemblée universitaire, maintenant il nommera trois indépendants, sans spécifier qu’ils doivent être membres du conseil. Les vice-recteurs seront aussi désormais nommés sur la recommandation du recteur alors que jusqu’ici le conseil les nommait, avec la participation de l’assemblée universitaire.
« De telles modifications peuvent augmenter un peu le nombre de membres externes dans la gouvernance et donner plus de pouvoir au recteur, mais dans la pratique, la Charte change assez peu de choses. Les professeurs sous-estiment le pouvoir qu’ils conserveront si elle est adoptée. »