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L’Ontario brouille la distinction entre les universités et les collèges

La décision du gouvernement provincial d’élargir les options d’octroi des grades pour les collèges dans des « secteurs clés » aura-t-elle des répercussions pour les universités?

par MATTHEW HALLIDAY | 19 JUILLET 22

C’est sans tambour ni trompette que le gouvernement de l’Ontario a apporté, en avril dernier, l’un des plus importants changements au secteur postsecondaire de toute une génération. Conformément à ce qu’il avait annoncé l’automne précédent, il a fait passer de 5 % à 10 % le nombre de programmes offerts par les collèges publics menant à un grade universitaire.

Il s’agit de la première augmentation du genre depuis 2000. Le gouvernement progressiste-conservateur de Mike Harris avait alors élargi le pouvoir des collèges d’attribuer des grades avec la Loi de 2000 favorisant le choix et l’excellence au niveau postsecondaire (LCENP).

L’idée derrière cette loi et le changement récent est d’offrir de nouveaux programmes menant à un grade universitaire dans des « secteurs clés » pour remédier aux pénuries de main-d’œuvre, par exemple, dans les secteurs de l’automobile, de la santé, de la cybersécurité et de l’intelligence artificielle.

Il est encore toutefois difficile de déterminer concrètement les effets de ce changement pour les établissements, et plus particulièrement pour les universités, qui se disent préoccupées par l’octroi de ce pouvoir aux collèges. Une chose est sûre : il brouille davantage la distinction auparavant très claire entre les deux types d’établissements.

« À mon avis, il est dangereux d’administrer les collèges comme des universités et les universités comme des collèges, même si c’est pour répondre aux besoins du marché du travail, met en garde Marc Spooner, professeur à la Faculté d’éducation de l’Université de Regina. Ils permettent de développer des compétences différentes, des façons de penser différentes et sont axés sur des priorités sociétales différentes. Les deux types d’établissements sont essentiels, et c’est ce qui importe véritablement. »

Selon les administrateurs collégiaux, ces préoccupations sont exagérées. « Lorsque les collèges ont commencé à offrir des programmes menant à un grade, on redoutait qu’ils ne veuillent se transformer en universités ou qu’ils fassent des pieds et des mains pour modifier l’ensemble de leurs programmes en ce sens, se remémore Maggie Cusson, doyenne du cheminement scolaire au Collège Algonquin. Rien de tout cela ne s’est produit. Au contraire, très peu de collèges ont effleuré leur limite en matière d’octroi de grades. »

Si les universités s’inquiètent de l’ombrage que pourraient leur faire les collèges en matière de recrutement, l’incidence de la LCENP devrait les apaiser. Depuis la promulgation de la Loi il y a 20 ans, les inscriptions à des programmes collégiaux ont seulement augmenté de 24 000, alors que celles pour les programmes universitaires sont passées de 290 000 à 532 000. Autrement dit, si l’on se fie au passé, les universités n’ont pas à redouter que les collèges empiètent sur leur territoire.

Une contribution « symbolique »

En réalité, les avantages attendus de l’augmentation du plafond pour les programmes menant à un grade sont exagérés, et c’est possiblement le contraire qui risque de se produire.

En 2017, des chercheurs du Centre d’étude sur l’enseignement supérieur canadien et international de l’Université de Toronto ont mené un sondage auprès du personnel enseignant et administratif des collèges en vue de publier un rapport sur les résultats de l’offre accrue de programmes menant à un grade découlant de la LCENP. Certaines personnes sondées jugeaient qu’un nombre insuffisant de programmes menant à un grade étaient offerts. « Un stratège a fait valoir qu’il y avait très peu d’inscriptions et de diplômés dans les programmes collégiaux menant à un baccalauréat, et que la contribution de ces programmes était plus symbolique que réelle », ont rapporté les auteurs.

Même si les pouvoirs des collèges ont été revus à la hausse, Mme Cusson estime qu’il est peu probable que les programmes créés par ces établissements, comme le Collège Algonquin, nuisent aux inscriptions à l’université. « Nous mettons sur pied des programmes seulement dans les secteurs du marché du travail où les besoins sont les plus criants. Il est très peu probable que nous créions des programmes qui chevauchent ceux des universités. »

Mme Cusson souligne également que l’estompement de la distinction entre les deux types d’établissements est attribuable aux deux parties : les universités offrant de plus en plus de programmes d’études appliquées orientés sur les métiers. « C’est tout à fait vrai. Les collèges ont élargi leur offre de programmes menant à un grade et les universités ont mis l’accent sur le marché du travail, renchérit Julia Colyar, vice-présidente, Recherche et politique du Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur (COQES). En somme, les deux côtés brouillent la ligne de démarcation, et c’est une tendance qui ne date pas d’hier. »

Cette dernière est l’une des trois auteurs d’un rapport du COQES paru l’an dernier sur le paysage évolutif des titres de compétences en Ontario, qui n’émet aucun jugement quant à la possible incidence de l’expansion des programmes collégiaux.

Mme Colyar a néanmoins soulevé certains aspects négatifs et positifs. D’une part, l’expansion de l’octroi des grades pourrait accroître l’offre de programmes postsecondaires accessibles aux étudiants qui vivent loin des grands centres et des universités. « Prenons Barrie, par exemple. On y trouve un excellent collège, mais pas d’université. Les options d’études y sont donc limitées. » (Mme Colyar précise toutefois que la question de l’accès aux études a beaucoup évolué depuis l’entrée en vigueur de la LCENP. Elle mentionne notamment que l’apprentissage à distance est désormais nettement plus répandu qu’il y a 20 ans.)

D’autre part, le rapport du COQES souligne que la LCENP a découragé les collaborations entre les établissements qui permettent aux étudiants d’entamer un programme collégial menant à un diplôme avant de transférer dans une université en vue d’obtenir un grade. En théorie, ce phénomène risque de s’accentuer à mesure qu’augmentera le pouvoir d’attribution des grades des collèges.

Une approche axée sur le marché

Les collèges font tout de même preuve de prudence. Le Collège Mohawk de Hamilton collabore avec l’Université McMaster pour offrir plusieurs programmes menant à un grade, et son président, Ron McKerlie, n’entrevoit pas de changement à ce chapitre. « Nous avons eu l’occasion de mettre sur pied nos propres programmes en soins infirmiers, que les collèges peuvent offrir sans partenariat avec une université. Mais nous ne l’avons pas saisie, parce que nous tenons à notre relation avec l’Université, ses professeurs et ses ressources. Je nous vois mal mettre un terme à ce partenariat. Nous pourrions plutôt en profiter pour créer de nouveaux programmes menant à un grade axés sur des domaines du marché du travail qui ne présentent aucun intérêt pour les universités. »

Un doute persiste pour M. Spooner, qui a ardemment critiqué le financement axé sur le rendement pour les établissements postsecondaires, une approche mise en œuvre par le gouvernement Ford pour lier le financement des établissements à l’emploi des étudiants et aux résultats économiques, il voit dans le récent changement une approche similaire, où l’évaluation de la valeur des études supérieures en général est dictée par le marché. Une réalité qu’il juge inquiétante.

« Je crois que cela ne fait qu’ajouter une pression supplémentaire aux universités, qui doivent tenir compte du marché du travail et se démarquer pour attirer des étudiants et pouvoir offrir les bons programmes. »

Qui plus est, cette pression pourrait s’intensifier si le gouvernement provincial concrétise son intention de permettre aux collèges d’offrir des maîtrises d’études appliquées, comme il l’avait annoncé en octobre dernier. « Cela ne ferait que rendre encore plus floue la distinction entre les deux types d’établissements », prévient M. Spooner. Collèges Ontario revendique ce changement depuis plusieurs années. D’ailleurs, la Colombie-Britannique a permis à ses collèges d’offrir des maîtrises dès 2003.

Pour le moment, on ne peut que spéculer sur les effets à long terme de ce changement, mais il ne fait aucun doute que les distinctions claires entre les universités et les collèges sont chose du passé.

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