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Précieuses boues d’épuration

Une technologie mise au point à l’Université de la Colombie-Britannique transforme l’effluent des usines de traitement de l’eau en un précieux fertilisant.

par TIM LOUGHEED | 06 AVRIL 10

Voici une situation universellement profitable et presque trop belle pour être vrai. Une entreprise dérivée de l’Université de la Colombie-Britannique, Ostara Nutrient Recovery Technologies Inc., a conçu un système qui récupère le phosphore des eaux usées des municipalités, réglant plusieurs problèmes d’un seul coup.

Les usines de traitement des eaux usées n’ont plus à se soucier des dépôts de phosphore dans les conduits d’évacuation. Le système élimine également les problèmes d’accumulation d’algues, qui se nourrissent de ce nutriment essentiel, dans les zones d’aménagement. Les usines de traitement obtiennent en prime un engrais à libération lente qui aide les fermiers à enrichir les sols pauvres en phosphore.

« Il s’agit d’une étape charnière dans le domaine des technologies environnementales au Canada, explique Don Mavinic, professeur de génie civil à l’Université de la Colombie-Britannique dont l’équipe de recherche a mis au point le système. Nous sommes probablement de huit à 10 ans en avance sur le reste du monde grâce à cette technologie. »

M. Mavinic est encore émerveillé par les incidences d’un processus qu’il a commencé à étudier il y a plus de dix ans. À l’époque, il tentait simplement d’aider la BC Hydro à trouver une solution pour éliminer les dépôts de phosphore qui se formaient derrière les barrages. Il a par la suite cons-
taté que ses travaux intéressaient encore davantage les responsables des usines de traitement des eaux usées. Le phosphore présent dans l’urine de l’humain forme un minéral aussi dur que le ciment, la struvite, qui s’accumule dans les conduits et nécessite qu’ils soient régulièrement remplacés.

Pour M. Manivic, se débarrasser de la struvite signifiait la capter avant que ne surviennent les problèmes. En 2005, lui et ses collègues ont terminé la mise au point d’un système de captage et accordé une licence de commercialisation à Ostara. Les appareils de traitement en forme de cône élaborés par l’entreprise précipitent la struvite présente dans les eaux usées sous forme de minuscules granules. Le produit ainsi obtenu, le Crystal Green, est ensuite vendu comme fertilisant. Et ce qui est tout aussi important, la struvite ne se rend jamais jusqu’à l’intérieur des conduits d’évacuation et n’est pas non plus libérée dans l’environnement.

Ostara compte des projets pilotes dans six usines réparties à travers le monde, dont une installation d’importance établie à Edmonton depuis 2007. Le réacteur d’Edmonton produit quotidiennement quelque 500 kg de granules Crystal Green, qui sont emballés sur place et prêts à être commercialisés. La ville d’Edmonton prévoit cons-truire plusieurs autres réacteurs.

Même si Ostara n’emploie que quelques dizaines de personnes, l’entreprise s’est hissée l’automne dernier sur la liste des 100 sociétés les plus prometteuses du monde selon Global Cleantech, publiée par The Guardian. Environ au même moment, la revue Nature a mentionné le système mis au point par Ostara dans un article traitant de l’importance économique et environnementale grandissante du phosphore

Selon M. Mavinic, les demandes de renseignements sur la technologie d’Ostara proviennent de partout dans le monde, en particulier de pays comme la Chine, où le phosphore pollue lacs et rivières. L’entreprise vient d’ouvrir un bureau aux États-Unis et a nommé l’éminent avocat spécialisé en environnement, Robert Kennedy Jr., à son conseil d’administration (le tout premier réacteur d’Ostara en sol américain a été installé à Durham, en Oregon, et d’autres installations sont prévues en Pennsylvanie et en Virginie).

M. Kennedy était à l’avant-scène en mai dernier à Vancouver lors d’une conférence internationale sur la récupération des nutriments des eaux usées. Des ingénieurs et des fonctionnaires étrangers présents à la conférence ont affirmé à M. Mavinic que la technologie d’Ostara est supérieure à tout ce qui est offert sur le marché. Ils ont également insisté sur l’importance de trouver de nouvelles sources de phosphore.

Tout comme l’azote et le potassium, le phosphore est essentiel à la croissance des plantes et incontournable en agriculture. Contrairement à ces deux éléments que l’on retrouve encore en quantité relativement abondante, les bonnes sources de phosphore sont de plus en plus difficiles à trouver. « Au cours de la dernière année, j’ai pu constater à quel point il s’agit d’une ressource rare sur le marché mondial », affirme M. Mavinic.

Les fabricants de fertilisants se procurent généralement des roches phosphatées dans des mines à ciel ouvert. Comme il n’existe qu’une poignée de sites d’exploitation viables en Amérique du Nord, le phosphore utilisé ici provient de plus en plus de l’étranger. La Chine, qui en compte d’importantes réserves, a récemment haussé de plus de 100 pour cent la taxe d’exportation applicable à ce produit.

En Europe, les gouvernements tentent de plus en plus de recycler le phosphore utilisé. Par exemple, l’agence de protection de l’environnement de la Suède espère récupérer 60 pour cent du phosphore présent dans les boues d’épuration d’ici 2015. Des objectifs de la sorte rendent la technologie d’Ostara particulièrement intéressante, explique M. Mavinic.

Paul Voroney, spécialiste des sols au département des sciences des terres de l’Université de Guelph, n’est pas prêt à affirmer que le prix et la disponibilité du phosphore à l’échelle mondiale sont en voie de changer considérablement. Il rappelle, cependant, que les sols souffrent d’un surplus de phosphore dans de nombreuses parties du Canada et se réjouit de toute initiative visant à réduire la quantité de cet élément qui se retrouve dans l’environnement.

Par ailleurs, certains cours d’eau de la Colombie-Britannique manquent de phosphore en raison du déclin des stocks de saumon. Lorsqu’il meurt, ce poisson libère du phosphore et d’autres nutriments dans l’eau. La B.C. Conservation Foundation utilise maintenant des granules Crystal Green pour remplacer la valeur en nutriments des carcasses de saumon.

M. Mavinic peut ainsi boucler la boucle, puisque la BC Hydro était initialement entrée en contact avec lui il y a plusieurs années parce que les barrages avaient pour effet de réduire la teneur en nutriments des rivières en aval et que la société cherchait à récupérer le phosphore qui s’accumulait derrière les barrages pour le remettre dans les cours d’eau.

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