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Revitalisation des langues autochtones : quel rôle pour les universités?

De Calgary à Edmundston, en passant par Odanak, plusieurs projets de recherche portant sur la revitalisation des langues autochtones ont vu le jour dans les dernières années. Mais quelle place l’université peut-elle et devrait-elle occuper?

par CATHERINE COUTURIER | 25 JAN 24

Documenter et étudier la terminologie de l’environnement en langue innue, concevoir des dictionnaires, créer une plateforme en ligne pour permettre l’apprentissage du wolastoqey et mettre sur pied un cours intensif pour apprendre la didactique d’une langue algonquienne; une liste qui ne représente que quelques-unes des initiatives auxquelles des universitaires canadien.ne.s ont récemment contribué. En cette Décennie internationale des langues autochtones de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, nombreux sont les projets en milieu universitaire qui veulent contribuer à la revitalisation d’une des 70 langues autochtones parlées au Canada.

(Re)bâtir une relation de confiance

Or, les chercheurs et chercheuses universitaires se trouvent dans une position délicate : « L’université est une institution coloniale. Je ne pense pas que les universités doivent prendre les devants dans les initiatives de revitalisation », confie Mélanie Leblanc, professeure en sociolinguistique au campus d’Edmundston de l’Université de Moncton, qui codirige le groupe de recherche SQOTESOL.

Dans ce contexte, les universitaires doivent travailler en partenariat avec les communautés, pour mieux comprendre leurs besoins et y répondre, le tout dans le plus haut respect de l’éthique de la recherche. La linguiste Jimena Terraza, qui enseigne au Collège Kiuna, accompagne par exemple la communauté innue de Mashteuiatsh pour bâtir un plan de revitalisation. « Ce n’est pas à moi de dire ce qu’il faut revitaliser; j’apporte plutôt un regard extérieur, ce à quoi il faut faire attention », nuance-t-elle.

Le travail en collaboration avec les instances locales est aussi au coeur du travail des professeures au Département de linguistique et de traduction de l’Université de Montréal (U de M) Marie-Claude L’Homme et Yvette Mollen. Dans leur projet de recherche sur la terminologie de l’environnement en langue innue, elles travailleront en étroite collaboration avec l’Institut Tshakapesh.

Des ressources pour les apprenant.e.s de tout niveau

Plusieurs initiatives soutiennent l’apprentissage des personnes qui ne parlent pas du tout leur langue, mais les chercheurs et chercheuses notent certaines lacunes dans l’offre destinée aux gens ayant déjà une connaissance de base. « En discutant avec nos partenaires autochtones, on s’est rendu compte qu’il existait plusieurs ressources de bases, mais peu s’adressent aux apprenant.e.s plus avancé.e.s, et la plupart étaient en anglais », raconte Mme Leblanc.

Constatant le besoin de soutien en matière de culture pour les deux communautés malécites francophones, son groupe de recherche planche actuellement sur le développement de la plateforme Wiciw (qui signifie « avec » en langue wolastoqey) en partenariat avec la Première Nation malécite du Madawaska et la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk. Cette plateforme en ligne, financée par Patrimoine canadien, permet une meilleure accessibilité aux apprenant.e.s qui ne peuvent pas se déplacer ou pour qui aucun cours sur leur communauté n’est disponible.

Former les générations futures

Mais une chose est claire, l’université ne pourra jamais se substituer à la communauté. « Ce qu’on fait comme universitaire n’est pas toujours utile. L’idéal est que les enfants apprennent la langue, et ça, il n’y a pas grand-chose que l’université peut faire », avance Darin Flynn, professeur de linguistique à l’Université de Calgary. « Ce sont les locuteurs et locutrices qui vont revitaliser la langue. Mais l’université peut peut-être former les gens », acquiesce Mme Terraza.

Les chercheurs et chercheuses peuvent donc épauler la formation des futur.e.s pédagogues ou aider à solidifier les compétences linguistiques. « Nous avons des expertises qui ne sont pas toujours présentes dans les communautés, que ce soit en linguistique, en narration ou en pédagogie », remarque Mme Leblanc. Les jeunes formé.e.s en linguistique à l’université peuvent ensuite soutenir leur communauté dans leurs efforts. « Le passage aux études postsecondaires peut avoir un effet bénéfique, surtout si les étudiant.e.s reconnectent avec leur identité, qui est à la base de tout », ajoute Mme Terraza.

Le projet mené à l’U de M, quant à lui, souhaite redonner aux générations futures. « C’est urgent de faire parler les aîné.e.s, pour que ça reste aux jeunes. C’est une richesse », souligne Mme Mollen.

Des ressources en demande

Un des défis auxquels sont confrontés les chercheurs et chercheuses est d’ailleurs de trouver les personnes-ressources qui maîtrisent les langues, en particulier dans les communautés où la langue est peu parlée. « Comme il reste très peu de locuteurs et locutrices de wolastoqey, ces personnes sont impliquées dans plusieurs projets. Et nous ne sommes pas nécessairement en priorité — et avec raison », illustre Mme Leblanc.

C’est pour pallier ce manque de ressources que Mme Terraza a mis sur pied une École d’été qui a réuni une cinquantaine d’étudiant.e.s de l’Université du Québec à Trois-Rivières, de l’Université du Québec à Chicoutimi et du Collège Kiuna pour apprendre la didactique des langues algonquiennes (innu-aimun, atikamekw nehiromowin, anishinaabemowin et abénakis). Ce cours intensif a pour objectif de former une relève qui pourra enseigner la langue. « La langue est de plus en plus enseignée en milieu scolaire, mais il y a une demande extrême de ressources. Il y a peu de relève, et c’est un problème majeur », précise la linguiste.

Démystifier et faire connaître

En venant en appui aux initiatives locales, « la recherche donne des munitions aux communautés dans leurs demandes auprès des gouvernements », rappelle Mme Leblanc. Selon M. Flynn, les chercheurs et chercheuses ont un rôle à jouer pour informer. « Ce qu’on peut faire, c’est de dissiper les mythes qui causent la disparition des langues, le premier étant que c’est normal d’être unilingue. » Celui-ci rappelle que les enfants ont la capacité d’apprendre plusieurs langues simultanément et, qu’à l’échelle mondiale, le multilinguisme est la norme plutôt que l’exception.

Les cours de langues donnés à l’université, eux, ont plutôt une valeur symbolique. « Je ne crois pas que ces cours aident la revitalisation, parce que ça n’atteint pas directement les locuteurs et locutrices. Mais c’est certain que ça fait connaître nos communautés, et j’essaie de changer les préjugés », souligne Mme Mollen, qui enseigne l’innu-aimun à l’Université de Montréal.

Aider la langue, aider la culture

En aidant le maintien des langues autochtones, c’est toute la société qu’on soutient. Une langue en santé est d’ailleurs un indicateur d’une culture qui se porte bien. « Quand la langue marche bien, ça veut dire que les enfants ont des contacts avec les grands-parents. Si on se concentre sur la langue, ça améliore toute la communauté », explique M. Flynn.

Pour soutenir les communautés dans leurs efforts de revitalisation, davantage de financement serait nécessaire, croit Mme L’Homme : « Les besoins sont urgents. » Parce que le risque, finalement, est la disparition des langues. Et avec la disparition d’une langue, « on perd une vision du monde », conclut Mme Leblanc.

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