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TikTok : les universités canadiennes se positionnent

Dans les derniers mois, plusieurs universités au pays ont énoncé des politiques ou des recommandations par rapport à cette application.

par CATHERINE COUTURIER | 04 JUILLET 23

En décembre dernier, TikTok admettait qu’elle avait utilisé sa propre application pour espionner des journalistes américain.e.s et tenter de connaître l’identité de leurs sources. « La compagnie a annoncé qu’elle cesserait de faire ce genre de surveillance, mais ç’a eu un véritable effet domino. Les États-Unis, puis l’Union européenne, le Royaume-Uni, etc., ont décidé de bannir l’application sur les appareils du gouvernement », raconte Nur Zincir-Heywood, professeure-chercheuse à la Faculté des sciences informatiques de l’Université Dalhousie et spécialiste de la cybersécurité.

À la fin février, le gouvernement du Canada a ainsi annoncé qu’il était désormais interdit d’avoir l’application TikTok sur les appareils mobiles qu’il fournit. Plusieurs provinces, puis municipalités, ont emboîté le pas, tout comme plusieurs universités au pays.

Des réponses multiples

Au Canada, les réponses des universités envers la plateforme ont été variées. C’est au Québec que l’approche choisie a été la plus contraignante. En février, le gouvernement québécois a émis une directive s’appliquant à l’ensemble des organismes assujettis à la Loi sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics et des entreprises du gouvernement. Celle-ci interdit désormais l’installation de TikTok et oblige le retrait de l’application sur les appareils mobiles utilisés notamment par le personnel des universités québécoises ou mis à leur disposition, et ce, en plus d’interdire l’utilisation « de la plateforme TikTok pour générer du nouveau contenu dans le cadre de campagnes publicitaires, pour relayer des annonces, recruter du personnel ou pour toute autre fin ». Des universités québécoises ont de surcroît sensibilisé les étudiant.e.s et découragé l’utilisation de l’application.

Si les universités dans les Maritimes (Nouvelle-Écosse, Île-du-Prince-Édouard et Nouveau-Brunswick) ont suivi l’impulsion de leur gouvernement provincial en interdisant TikTok sur ses appareils ou ceux qu’elles financent, en Ontario, des établissements tels que l’Université de Waterloo et l’Université Wilfrid Laurier ont plutôt choisi de ne pas bannir l’application.

Dans l’Ouest, alors que l’Université de la Saskatchewan n’a émis aucune politique à ce sujet (sans toutefois recommander l’utilisation des réseaux sociaux sur ses appareils), la position adoptée par Polytechnique Saskatchewan ressemble davantage aux limites imposées aux universités québécoises. Au Manitoba, aucune université n’a émis de telles directives, mais l’Université du Manitoba a sensibilisé sa communauté aux risques de l’usage des médias sociaux en général.

En Colombie-Britannique, l’Université de Victoria et l’Université de la Colombie-Britannique encouragent leurs étudiant.e.s à être prudent.e.s et recommandent l’utilisation d’un navigateur Web pour accéder aux contenus de TikTok plutôt que de le faire directement via l’application. Un porte-parole de l’Université de la Colombie-Britannique a d’ailleurs précisé par courriel que l’établissement continue actuellement d’utiliser « TikTok comme canal d’engagement étant donné qu’il constitue une manière efficace de rejoindre et de communiquer avec une audience en ligne importante ».

Processus décisionnel

Mais qu’est-ce qui explique une telle diversité d’approche? Au Québec, les questions de sécurité relèvent des conseils d’administration, mais la directive en était une ministérielle. « Généralement, les universités suivent le mouvement des gouvernements provinciaux. Je ne suis pas certaine que toutes les universités ont poussé la réflexion », souligne Manon Guillemette, professeure à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke et membre du Groupe de recherche interdisciplinaire en cybersécurité. Aucune des universités contactées pour expliquer leurs mécanismes décisionnels n’a accepté de nous accorder une entrevue, préférant offrir des déclarations écrites. Ailleurs, « j’imagine que chaque organisation surveille la santé de ses réseaux et plateformes, et se base sur cela pour prendre sa décision et minimiser ses risques », avance Mme Zincir-Heywood. C’est d’ailleurs ce que Polytechnique Saskatchewan assure faire. « Nos politiques et procédures informatiques incluent les meilleures pratiques pour détecter, mitiger et nous protéger contre les menaces de cybersécurité », a-t-on répondu à Affaires universitaires par courriel.

Une application controversée

TikTok est un média social et une application mobile de partage de vidéo. Là où le bât blesse, c’est qu’elle est la propriété de ByteDance, une compagnie chinoise. Les gouvernements (les États-Unis au premier chef) s’inquiètent du partage possible des données sensibles des usagers avec le gouvernement chinois. « Je crois que le problème avec TikTok, c’est que sa compagnie parent est en Chine, et on ignore combien d’information est collectée, et comment elle est utilisée », note Mme Zincir-Heywood. « Cela dit, la Chine a toujours nié accéder à ces informations, et on n’a aucune preuve formelle », souligne Mme Guillemette.

Loin de faire cavalier seul, TikTok s’inscrit dans un vaste lot d’applications qui récoltent des informations. « C’est le propre des réseaux sociaux de récolter, traiter, utiliser et vendre les informations personnelles », rappelle Mme Guillemette. « TikTok, comme d’autres, demande des autorisations, qui ne sont pas nécessaires au fonctionnement de l’application », poursuit-elle. En cas de refus, l’une des stratégies employées par TikTok consiste à redemander l’autorisation, et ce, jusqu’à l’obtention de celle-ci.

L’utilisation de la localisation par TikTok est particulièrement délicate. « Elle n’est pas la seule application à demander l’autorisation d’avoir accès à la localisation GPS, mais le problème, c’est que c’est d’origine chinoise », soupçonne Mme Guillemette. L’activation de cette fonction permet entre autres de connaître l’emplacement de l’usager. « TikTok dérange également parce qu’elle capte les informations des autres téléphones autour de vous. On pourrait dévoiler des secrets sur des bases militaires, simplement en se promenant avec son téléphone, ajoute Mme Guillemette. Ça commence à faire beaucoup d’information dévoilée à un autre pays. »

Une occasion de sensibilisation

Si l’interdiction de TikTok par plusieurs universités n’est pas une panacée, elle aura toutefois eu comme conséquence de sensibiliser les gens aux problèmes que peuvent poser les réseaux sociaux. « Ç’a été une belle occasion de sensibilisation à ces enjeux, qu’on ne soupçonne pas, parce que personne ne lit les 60 pages de conditions d’utilisation lorsqu’elle installe une application », remarque Mme Guillemette. « Ne pas accepter les paramètres par défauts n’est pas très pratique, et entraîne des désagréments », ajoute Mme Zincir-Heywood.

Même si les politiques des universités ne s’appliquent pas aux appareils personnels, « ça reste une bonne pratique de gérer ses réseaux sociaux sur un appareil différent de son appareil professionnel, conseille Mme Guillemette. Évidemment, la pandémie a brouillé les frontières ». Malgré tout, la décision d’utiliser ou non un réseau social appartient à chacun.e. « Pour moi, ça revient à conscientiser les gens sur les avantages et les désavantages », insiste Mme Zincir-Heywood. Après tout, rien n’est gratuit! « Si ça l’est, ce sont vos données qui servent de monnaie d’échange », rappelle-t-elle.

COMMENTAIRES
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  1. Éric GEORGE / 18 juillet 2023 à 05:39

    Je suis d’accord avec l’idée qu’il faut se méfier de TikTok pour des raisons liées à la surveillance de ses utilisatrices et utilisateurs mais en tant que chercheuses et chercheurs critiques, nous devrions nous méfier autant des autres médias socionumériques qui sont d’origine étatsunienne. Toutes les données sont utilisées dans le cadre du « capitalisme de surveillance » fort bien analysé par Shoshana Zuboff et sont donc susceptibles d’être à la fois mobilisées par les États et les entreprises, notamment les multinationales dont les intérêts ne convergent pas forcément avec les nôtres (voir l’ouvrage Féminisme pour les 99%. Un manifeste de Cinzia Arruzza, Tithi Bhattacharya et Nancy Fraser).

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