Personne n’aime faire état de ses échecs. Pourtant, selon Cochrane Collaboration, un groupe international qui effectue l’analyse de la recherche médicale, les auteurs d’essais cliniques devraient être contraints d’en rendre publics même les résultats négatifs. La diffusion de toutes les données issues des essais randomisés permettrait en effet aux médecins de prodiguer aux patients les meilleurs soins possibles.
En 2004, l’entreprise pharmaceutique Merck a retiré des pharmacies du monde entier son populaire médicament rofecoxib (Vioxx) contre l’arthrite, en raison du risque accru de crise cardiaque qu’il présentait. « Aux États-Unis seulement, l’usage très répandu du rofecoxib a vrai-semblable-ment provoqué quelque 100 000 crises cardiaques, elles-mêmes à l’origine d’environ 10 000 décès qui auraient pu être évités par l’utilisation d’autres médicaments tout aussi efficaces, mais moins nocifs », selon un éditorial signé Peter Gøtzsche, directeur du Nordic Cochrane Centre au Danemark. Seuls des résultats partiels des études cliniques sur le rofecoxib avaient été publiés, d’où une méconnaissance des risques.
« Ce problème de publication sélective est connu depuis un certain temps, précise Jeremy Grimshaw, professeur de médecine à l’Université d’Ottawa et coprésident du comité directeur de Cochrane Collaboration. L’information diffusée est biaisée. La publication sélective d’essais cliniques peut entraîner à la fois une surestimation des apports des médicaments concernés et une sous-estimation de leur nocivité », ajoute le Dr Grimshaw, qui est également directeur du service d’épidémiologie clinique à l’Institut de recherche en santé d’Ottawa.
Au début d’octobre, Cochrane Collaboration a recommandé que des modifications soient apportées à la gestion et à la publication des essais cliniques afin d’assurer aux patients les meilleurs traitements possible. Le groupe a appelé les auteurs d’essais cliniques randomisés à procéder à l’enregistrement de ceux-ci avant même d’entamer le recrutement des patients, ainsi qu’à mettre sans frais à la disposition du public toutes les données issues de ces essais et relatives aux protocoles suivis. Il a également demandé aux gouvernements d’adopter des législations qui imposeraient la communication de ces données dans les 12 mois suivant la fin de la phase randomisée de tout essai et prévoiraient des sanctions en cas de manquement à cette obligation.
Certains progrès ont déjà été accomplis sur le premier plan. Les revues membres de l’International Committee of Medical Journal Editors (ICMJE), parmi lesquelles le Journal de l’Association médicale canadienne, exigent que quiconque souhaite publier les résultats d’un essai dans leurs pages procède préalablement à l’enregistrement de cet essai dans un registre public prévu à cette fin, comme la base de données sise au www.clinicaltrials.gov, gérée par les U.S. National Institutes of Health. L’ICMJE invite de plus les rédacteurs en chef à publier les résultats des essais importants même dans le cas où leurs résultats ne seraient pas statistiquement significatifs. Les Instituts de recherche en santé du Canada imposent pour leur part l’enregistrement de tous les essais cliniques comparatifs randomisés qu’ils financent, la déclaration de tous les effets indésirables ou préjudices observés, ainsi que la publication d’un rapport final dans les 12 mois suivant la fin de chaque essai.
Bien qu’importantes, ces mesures ne sauraient régler entièrement le problème de publication sélective, déplore Matthew Herder, avocat et maître de conférences à la faculté de médecine de l’Université Dalhousie, qui maintenait récemment dans les colonnes du Journal de l’Association médicale canadienne que Santé Canada devrait être tenue de divulguer les protocoles et les résultats des essais cliniques. « Si un essai ne révèle aucune différence entre les personnes qui ont, et n’ont pas, reçu le traitement administré, rien n’impose la divulgation de ses résultats, dit-il. Des mesures plus contraignantes s’imposent en matière de diffusion de l’information. »
Monika Krzyzanowska est oncologue à l’hôpital Princess Margaret du Réseau de santé universitaire, à Toronto. Elle étudie les conséquences de la publication sélective sur la pratique clinique. « L’enregistrement des essais cliniques ne constitue qu’une partie de la solution. Même les essais modestes ou infructueux peuvent être révélateurs, dit-elle. Si seuls les résultats positifs d’un essai sur un médicament expérimental sont publiés, l’internaute qui consulte Medline ou Pubmed n’aura accès qu’à ceux-ci. En revanche, si ceux de quatre autres essais négatifs le sont aussi, il y aura également accès et se méfiera. »
Selon M. Herder, qui souscrit à tous les souhaits formulés par Cochrane Collaboration, y compris aux sanctions imposées aux contrevenants, les chercheurs universitaires risquent de se retrouver coincés entre le marteau et l’enclume. « Comme les universités mettent de plus en plus l’accent sur la valorisation de la recherche, dit-il, cet appel à plus de transparence risque d’engendrer des tensions. »
Maître de conférences est un statut qui existe dans les universités françaises mais qui n’est pas employé dans les universités canadiennes, qu’elles soient anglophones ou francophones.