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Une entente entre chercheurs et collectivités cries pourrait créer un précédent

Des peuples autochtones conservent la majorité des droits de propriété intellectuelle sur les résultats des recherches basées sur leurs connaissances traditionnelles.

par VÉRONIQUE MORIN | 08 MAR 10

Stanley George, le nouveau chef de Whapmagoostui, une petite collectivité crie de 850 âmes, au Nord du Québec, n’a pas hésité à apposer sa signature au bas d’une entente de recherche de 40 pages, en septembre dernier.

« Je me suis souvenu d’un appel que notre collectivité a reçu il y a quelques années d’un homme qui disait travailler pour une société pharmaceutique. Il essayait d’obtenir les noms des plantes qu’utilisent nos guérisseurs pour traiter le diabète et d’autres maladies, se rappelle-t-il, la voix teintée de colère. Dorénavant, avec cette entente, nos connaissances ont de bien meilleures chances d’être respectées. »

L’entente accorde à quatre collectivités cries, dont celle de Whapmagoostui, des droits de propriété intellectuelle sur les conclusions des recherches menées par une équipe de chercheurs universitaires québécois sur les plantes médicinales qui permettent de traiter le diabète. Selon ce pacte, ces peuples autochtones obtiennent 51 pour cent des droits sur la recherche, ce qui leur donne un droit de veto sur la publication des résultats.

« Je crois qu’aucun document juridique n’a autant de poids que celui-ci », estime Elizabeth Patterson, l’avocate qui a rédigé l’accord au nom des quatre collectivités qui l’ont ratifié (Waskaganish, Nemaska, Mistissini et Whapmagoostui).

La principale préoccupation du chef George est de protéger sa culture, mais l’entente pourrait éventuellement apporter beaucoup de richesse à sa collectivité. Qui plus est, il s’agit de la première occasion où le soutien de la collectivité locale est accordé à des recherches menées sur des terres autochtones.

« L’objectif de l’entente est de protéger les connaissances, de s’assurer que les collectivités participent pleinement aux recherches et, dans le cas où celles-ci produiraient des résultats, de distribuer les profits adéquatement », indique Me Patterson.

L’idée de cette association avec les peuples autochtones provient d’une équipe de chercheurs sur le diabète de l’Université d’Ottawa, de l’Université McGill et de l’Université de Montréal (U de M) dirigée par Pierre Haddad, professeur en pharmacologie à l’U de M.

« C’est certain que l’on aurait pu faire la recherche tout seul, sans demander la permission et la collaboration des Autochtones, d’autres équipes de recherches le font, affirme-t-il. Mais notre partenariat avec les communautés rend notre travail beaucoup plus riche et intéressant. Grâce à eux, nous avons pu identifier des plantes qui, nous croyons, ont le potentiel de traiter certains symptômes du diabète. »

L’Équipe de recherche sur les médecines autochtones antidiabétiques des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) a été mise sur pied en 2003 dans le but de découvrir, dans des plantes traditionnelles, des composantes pouvant traiter le diabète de type 2, causé par une production dysfonctionnelle d’insuline, et son précurseur, l’obésité. Le diabète, qu’on appelle souvent « maladie du sucre », touche plus de 20 pour cent des Autochtones canadiens, dont certains éprouvent de la difficulté à suivre les traitements occidentaux qui requièrent de prendre régulièrement des médicaments sous forme de comprimés ou d’injections.

« Cette méthode ne concorde pas avec le mode de vie traditionnel des réserves, où on se soucie peu du temps et des horaires, explique Kathleen Wootton, sous-chef de Mistissini. Lorsque nous nous sommes rendu compte, dans les années 1990, du problème que devenait pour nous le diabète, notre conseil de bande a recommandé au Conseil cri de la santé de trouver des façons de permettre à notre médecine traditionnelle, basée sur les plantes naturelles, de compléter, et non de remplacer, les traitements actuels. »

Malgré cela, lorsque les scientifiques ont visité pour la première fois les réserves cries pour demander conseil aux aînés et aux guérisseurs, ceux-ci les ont accueillis avec méfiance, de peur qu’il s’agisse de manigances d’une société pharmaceutique. Ce qu’ils ont vécu n’est pas inhabituel, selon Timothy Johns, ancien directeur du Centre for Indigenous Peoples’ Nutrition and Environment de McGill, qui avait tenté sans succès, à plusieurs reprises, d’entreprendre des recherches sur les réserves.

Cependant, après une rencontre entre les aînés de Mistissini, M. Haddad et son équipe, la collectivité a commencé à prendre conscience que ces scientifiques étaient peut-être ceux qu’ils cherchaient, raconte Mme Wootton. M. Haddad explique : « Dans les faits, je vois notre travail comme étant de traduire le savoir autochtone en langage scientifique, en apportant des preuves ».

Dix-sept étudiants ont participé à divers projets de recherche, qui ont mené à la publication de 21 articles sur une période de sept ans. Le processus d’approbation prenait deux fois plus de temps que celui consacré habituellement à un article scientifique. Par la suite, chaque article était résumé dans un langage simple et traduit en eeyou, la langue crie, afin d’être présenté oralement aux guérisseurs et aux aînés de la collectivité. Des accrocs sont survenus à chaque étape du processus d’approbation, mais aucun article n’a fait l’objet d’un droit de veto ou de modifications importantes jusqu’à présent.

Il s’est passé cinq ans avant que toutes les parties signent l’entente amorcée par les chercheurs, mais rédigée par les avocats de la collectivité crie. Me Patterson précise que McGill « a été la plus difficile à convaincre ». Michael Stern, qui travaille au bureau de transfert de technologies de cette université, souligne qu’aucun précédent ne permettait aux universités d’appuyer leur décision.

Cette entente pourrait bien devenir ce précédent. Kelly Bannister, une ethnobotaniste de la Colombie-Britannique, aurait aimé pouvoir se fier à des lignes directrices pendant sa recherche doctorale, à la fin des années 1990, au sein d’une équipe qui cherchait à identifier les plantes médicinales traditionnelles de cette province. Profondément troublée à l’idée qu’elle puisse trahir les peuples avec lesquels elle aimait partager des connaissances et dialoguer, car les sociétés pharmaceutiques auraient pu s’intéresser aux résultats de ses recherches, elle avait décidé de réorienter son champ d’études.

Quelques années plus tard, Mme Bannister a travaillé avec les IRSC afin d’élaborer des lignes directrices qui ont été adoptées en 2007. Sans être juridiquement contraignantes, elles doivent être respectées dans le cadre de toute recherche sur la santé des Autochtones financée par les IRSC.

Elles stipulent, par exemple, que l’objectif de la recherche doit être clairement expliqué aux membres de la collectivité, qui doivent bien le comprendre avant que le financement du projet soit approuvé.

En ce qui a trait à la recherche sur le diabète, neuf des conclusions des membres de l’équipe sont actuellement en cours d’évaluation pour ce qui est de leur potentiel de brevetage et de marketing, dont un traitement qui pourrait faire l’objet d’une meilleure adaptation au mode de vie traditionnel des peuples autochtones.

« Dans tous les cas, explique M. Haddad, notre but premier n’est pas la commercialisation ou la mise en marché de médicaments, mais plutôt l’intégration de la médicine traditionnelle, à savoir la médecine autochtone, dans les soins de santé. »

COMMENTAIRES
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  1. illan / 14 mars 2012 à 09:57

    depuis que j’ai fais mon memoire sur les plantes médicinales, la transcription d’un savoir ancestral auprés des revrains du Parc National du Djurdjura qui fais face à une déperdition, je ne vois l’utilité de continuer à utiliser le produit pharmaceutique

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