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Une série d’incidents poussent les universités à se pencher sur la fraude d’identité autochtone

Les établissements postsecondaires peuvent-ils éviter d’avoir à évaluer le bien-fondé de la revendication d’identité autochtone?

par IAN COUTTS | 24 FEV 22

Pour plusieurs personnes, l’affaire Carrie Bourassa avait un air de déjà-vu. S’identifiant comme ayant des origines métisses, anichinabées et tlingites, cette éminente professeure de l’Université de la Saskatchewan occupait le poste de directrice scientifique de l’Institut de la santé des peuples autochtones. À ce titre, elle était considérée comme une représentante et une porte-parole de premier plan de la communauté autochtone de l’Université. Or, en octobre 2021, un reportage de la CBC a révélé qu’elle n’avait pas de filiation autochtone. Elle a alors été démise de son poste à l’Institut et mise en congé par l’Université.

Le plus frappant dans cette histoire, c’est qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé. Au printemps 2021, Amie Wolf, professeure associée d’études autochtones à l’Université de la Colombie-Britannique, qui se présentait comme Métisse et Micmaque, a été congédiée dans des circonstances similaires. À l’été, une lettre anonyme et très détaillée publiée en ligne accusait six professeurs et employés de l’Université Queen’s de se présenter comme membres des Premières Nations sans posséder de liens ancestraux vérifiables. Même après l’affaire Carrie Bourassa, les accusations de fraude d’identité autochtone ont continué de pleuvoir. En décembre 2021, le quotidien Le Droit a rapporté que Jessica Bardill, professeure de littérature autochtone à l’Université Concordia, a été suspendue après que ses origines cherokees eurent été remises en cause.

Les universités ont accepté d’emblée les revendications d’identité autochtone de Mmes Bourassa, Wolf, et, vraisemblablement, Bardill, ce qui leur a valu de nombreux avantages professionnels. Dans une entrevue avec la CBC au sujet du cas de Mme Bourassa, Winona Wheeler, professeure d’études autochtones à l’Université de la Saskatchewan et membre de la Première Nation Crie de Fisher River, a résumé la situation comme suit : « Pour présenter ma candidature à un poste de professeur, je dois fournir une copie de mon doctorat. Mais s’il s’agit d’un poste réservé aux personnes autochtones, l’autodéclaration suffit. »

Pourtant, ce mécanisme repose sur de bonnes intentions. Historiquement, le gouvernement fédéral utilisait la Loi sur les Indiens pour déterminer qui était ou non membre des Premières Nations selon des critères considérés absurdes et paternalistes. La situation était toutefois différente pour les Inuits et les Métis. Selon Catherine Cook, vice-présidente aux affaires autochtones à l’Université du Manitoba, « l’autodéclaration permettait aux communautés autochtones d’exercer un peu plus de contrôle sur l’identité de leurs membres ». Justement, l’article 33 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée par le Canada en 2021, indique que « les peuples autochtones ont le droit de décider de leur propre identité ou appartenance conformément à leurs coutumes et traditions ».

Le mouvement croissant « d’autochtonisation » des universités a pris de l’ampleur, particulièrement après la publication en 2015 des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. L’objectif était notamment d’encourager l’enseignement de l’histoire et des modes de savoir autochtones et d’attirer davantage de professeurs et d’étudiants autochtones.

Chercher des solutions

L’augmentation de la demande, combinée à une définition vague de l’identité autochtone, peut effectivement entraîner des dérives. Les motivations des usurpateurs sont variées, allant des légendes familiales sur un ancêtre autochtone, métis ou inuit qui leur permettrait de se démarquer sur un marché du travail saturé au phénomène de « déplacement identitaire » motivé par un sentiment d’identification presque mystique avec un « peuple opprimé ».

Selon Guy Freedman, président et associé principal du cabinet d’expert-conseil First People’s Group établi à Ottawa, les universitaires autochtones ont travaillé d’arrache-pied pour réussir dans l’enseignement postsecondaire. « C’est indécent de voir d’autres personnes en profiter », ajoute-t-il. Soulignons que M. Freedman et ses collègues ont été engagés par l’Université Queen’s pour mettre au point des mécanismes permettant de confirmer que les futurs employés s’identifiant comme autochtones possèdent bel et bien des origines autochtones. L’Université a annoncé l’initiative en juin 2021, soit peu de temps après la publication de la lettre mettant en cause l’identité de six membres du milieu universitaire dont la déclaration d’identité autochtone a été acceptée par l’établissement, et qui, d’ailleurs, y travaillent toujours. Ce n’est toutefois qu’en novembre que le processus s’est véritablement mis en branle.

« Nous consultons beaucoup de personnes autochtones, dont d’anciens étudiants, des professeurs et des membres du personnel et de la collectivité urbaine », indique M. Freedman. Il décrit la situation à l’Université Queen’s comme étant particulièrement tendue. « Les accusations de fraude proviennent du personnel lui-même. Il faudra mener beaucoup d’entrevues individuelles, écouter les histoires des gens et établir une série de recommandations pour l’Université. »

D’autres établissements d’enseignement supérieur se penchent également sur le problème en ce moment, dont l’Université Ryerson, l’Université du Manitoba et l’Université de Calgary.

Mme Cook confirme que l’Université du Manitoba suit une démarche comparable à celle de l’Université Queen’s. L’établissement a aussi fait appel à trois leaders représentant chacun un groupe de peuples autochtones, soit Ovide Mercredi, ancien chef national de l’Assemblée des Premières Nations, Barbara Bruce, éducatrice métisse, et Marti Ford, éducateur et consultant inuit respecté. L’Université a aussi créé un groupe de travail dont les membres sont issus en parts égales de la collectivité et du corps professoral.

Éviter le « colonialisme déguisé »

La nature communautaire de cette initiative est sa plus grande force. Les personnes investies dans le processus ne cessent de répéter que l’Université ne devrait pas avoir le droit de statuer sur le bien-fondé des revendications d’identité autochtone. Selon Jacqueline Ottmann, rectrice de l’Université des Premières Nations du Canada, il s’agirait d’une forme de « colonialisme déguisé ». Il faudrait plutôt utiliser le critère de la reconnaissance par la communauté.

À titre d’exemple, M. Freedman cite les lignes directrices de l’Université de Calgary pour les étudiants des Premières Nations, métis et inuits, qui régissent l’accès à des avantages comme des bourses d’études. Pour y avoir droit, les étudiants doivent fournir une carte de statut ou une lettre de confirmation sur papier à en-tête d’une bande. Ceux qui n’ont pas de statut officiel peuvent fournir une lettre d’une bande inscrite ou des preuves généalogiques attestant de leurs liens avec un ancêtre qui « possédait ou possède le statut de personne autochtone ». Des consignes similaires existent pour les étudiants métis et inuits. C’est un système qui ne repose pas sur les liens de sang, mais sur la communauté. L’Université entend suivre le même modèle pour l’élaboration de sa politique sur l’embauche de professeurs autochtones.

« Comme nous formons de petites communautés qui se connaissent bien, nous avons des mécanismes en place », explique Mme Ottmann. Quand elle rencontre d’autres personnes autochtones, elle se présente comme suit : « Je viens de la Première Nation de Fishing Lake. Mes parents sont Allan et Marjorie Paquachan, et mes grands-parents sont Andrew et Helen Paquachan, et Henry et Marjorie Kayseas. Mon nom traditionnel est Mizowaykomiguk paypomwayotung. C’est notre façon de faire. »

L’intégration de tels processus dans le milieu universitaire sera un sujet phare de la réunion de l’Association nationale des hauts dirigeants autochtones d’universités, qui aura lieu en mars 2022. Coprésidé par Mme Ottmann et Michael Hart, cette activité virtuelle s’étalera sur deux jours et accueillera plus de 500 participants – aînés, professeurs, étudiants et employés. Ce sera l’occasion pour tous ceux qui travaillent sur le sujet de mettre en commun les sujets qui les occupent.

Il faudra du temps pour trouver des solutions, mais Mme Ottmann est soulagée que le problème soit mis au jour. « Je suis heureuse qu’on puisse parler du phénomène de fraude d’identité autochtone dans les universités à l’échelle nationale. Il y a eu une prise de conscience, et il faut en profiter pour revoir certaines politiques d’embauche ou d’attribution des bourses et des subventions, et trouver des façons de nous améliorer. »

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