Dans le cadre de mon parcours universitaire, je m’étais fixé l’objectif de publier mes résultats de recherche l’été dernier. Toutefois, mon rendement n’était pas à son meilleur pendant les semestres d’automne et d’hiver 2018. J’ai commencé un nouveau poste au Centre Viessman pour l’engagement et la recherche en développement durable (VERiS) alors qu’il ne me restait qu’un mois pour terminer mon doctorat. Si je n’étais pas en train de rédiger ma thèse, j’étais occupée à gérer des projets, à mener des travaux sur le terrain et à finaliser une importante demande de bourse.
Quand est venu décembre 2018, j’étais complètement épuisée. Dans un moment d’insouciance, j’ai eu un accident et, de ce fait, souffert d’une commotion. Je n’ai pris qu’une semaine de congé pour me rétablir du traumatisme physique, car j’enseignais pendant le semestre d’hiver et devais me préparer. Même si mon corps avait besoin de temps pour guérir, je ne voulais pas que mon rendement en souffre.
Le temps a passé et, à l’été, je commençais à retrouver mes forces après des mois de soins paramédicaux et d’efforts pour augmenter graduellement mon activité physique. J’ai célébré ma collation des grades au début de juin et, alors qu’approchait la mi-juillet, je commençais vraiment à reprendre mon rythme. Mes enfants passaient l’été au camp et j’avais repris plaisir à courir. Je prévoyais rédiger cinq articles. Mon équipe de recherche avait tenu plusieurs réunions efficaces; les données étaient en cours d’analyse et les travaux à différentes étapes d’achèvement. J’arrivais à bien faire progresser ma demande de bourse de chercheuse en début de carrière et avais bon espoir que mes candidatures aux postes menant à la permanence seraient retenues.
C’est troublant de penser qu’il m’est alors venu à l’esprit que cette situation pourrait aider ma carrière. J’avais maintenant trois raisons d’expliquer la baisse de mon rendement par rapport aux six dernières années : la naissance de mon deuxième enfant, une commotion et le décès de mon père. Comme mes références pouvaient faire l’éloge de mon engagement et de mon potentiel, les comités d’évaluation pourraient se fier à ma capacité à publier; il y avait des circonstances atténuantes.
Ensuite je me suis sentie terriblement coupable d’être une fille odieuse et sans cœur et d’avoir pensé une chose pareille. C’est seulement plus tard que j’ai compris que c’était ma façon de réagir à la mort si subite de mon père, c’est-à-dire en me concentrant sur d’autres aspects de ma vie, comme le travail.
Avec un peu de recul, je comprends que j’ai été formée tout au long de mon parcours universitaire pour faire de la productivité l’unité de mesure pour tout ce que je fais. Le deuil est un sentiment d’une rare intensité, mais j’ai malgré tout perçu la perte de mon père du point de vue de la productivité.
J’ai demandé conseil à différentes personnes et je m’efforce de redéfinir ce que la réussite signifie pour moi. Du processus de guérison d’un traumatisme physique et affectif, j’ai appris que, dans sa quête de productivité, il ne faut jamais négliger son bien-être.
Depuis, je suis vraiment présente aux pratiques de hockey de mon fils et aux leçons de danse de ma fille en refusant de consulter mes courriels et d’y répondre pendant ces moments précieux. J’ai même pris l’appel de ma mère aujourd’hui en plein milieu de la matinée, chose que je n’aurais jamais faite auparavant. J’aurais refusé l’appel et l’aurais rappelé le soir venu, si je m’en souvenais. J’ai opté pour un week-end entre amies à la place d’une retraite de rédaction avec des collègues. Ces « pertes » de productivité contribuent en fait à ma réussite en tant que chercheuse. La productivité est un marathon, pas un sprint.
Je suis déterminée à avoir une incidence dans mon domaine, tout en préservant ma santé. Cela veut aussi dire que, selon des paramètres conventionnels, je risque de paraître moins productive que d’autres candidats. Ce sont cependant mes priorités qui orienteront ma carrière. Je peux seulement être une leader et une chercheuse efficace si je suis en bonne santé mentale et physique.
Je sais que mon deuil ne fait que commencer. Pourrai-je continuer de lutter contre des années de conditionnement? Seul le temps le dira. J’ai tiré de nombreux bienfaits thérapeutiques à faire part de mon histoire, et j’espère inciter d’autres personnes à mieux prendre soin d’elles.
Je continuerai de chercher des mentors qui encouragent les gens à réaliser leur plein potentiel en acceptant leur vulnérabilité plutôt qu’en la dissimulant. Enfin, je suis déterminée à donner l’exemple d’un leadership sain dans le milieu universitaire, à favoriser une nouvelle culture qui valorise la santé mentale et l’art de prendre soin de soi. Je suis convaincue que le bon département du bon établissement me considérera comme une leader productive et une chercheuse épanouie.
Stephanie Whitney est directrice adjointe au Centre Viessmann pour l’engagement et la recherche en développement durable de l’Université Wilfrid Laurier.