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Conseils carrière

Se ressaisir ou se retirer?

Comment éviter l'épuisement professionnel chez les professeurs

par RAYMOND F. CURRIE | 10 AVRIL 07

Betina occupe depuis peu le poste de directrice d’un département qui compte 20 professeurs. Dès son entrée en fonction, elle décide de rencontrer chaque professeur, en commençant par ceux avec lesquels elle se sent le plus à l’aise, histoire de mieux s’orienter. Mais elle sait déjà qu’une rencontre avec un professeur titulaire en particulier comptera parmi les plus difficiles. Mûr pour la retraite, Cameron semble en effet se reposer sur ses lauriers. Elle aimerait reporter cet entretien, mais sait qu’elle devra y faire face un jour ou l’autre.

Cameron est encore à au moins trois ans de la retraite. Il a été embauché à un moment où la faculté, et particulièrement le département, n’exigeait pas de ses professeurs qu’ils soient actifs sur le plan de la recherche. La dernière publication de Cameron remonte à au moins cinq ans. Le doyen a indiqué clairement son intention de dynamiser considérablement les activités de recherche et s’attend à ce que les directeurs de département assument une large part de cette responsabilité. Il y a quelques années, Cameron, alors directeur du département, ne s’est pas montré particulièrement efficace, bien qu’il ait toujours été perçu comme un homme juste et sympathique. À titre de gestionnaire, il privilégiait le statu quo plutôt que l’innovation. Son enseignement, qui a déjà été supérieur à la moyenne, est maintenant tout juste satisfaisant. Les professeurs récemment embauchés ou en milieu de carrière sont dynamiques, et l’activité de recherche croît de façon constante, ce qui a valu au département de passer de « faible » à « moyen » aux yeux du doyen. Betina réfléchit à l’approche à adopter avant de rencontrer Cameron.

L’attitude de Cameron influe manifestement sur le reste du département. Chaque département a un climat propre, et il revient principalement au directeur de mettre en place ou de maintenir un dynamisme sur le plan de l’activité savante, ainsi qu’une atmosphère de respect entre collègues. Betina est portée à se demander : Que se passera-t-il si je ne fais rien? Quel seraient les conséquences si j’évitais la confrontation et attendais patiemment que la carrière de Cameron se termine?

Bien qu’il puisse sembler plus facile de gérer la situation de cette façon, ce serait au détriment du dynamisme en recherche au département. D’autres professeurs moins expérimentés ont remarqué l’écart réel entre le rendement et la reconnaissance. Betina a évidemment déjà pris conscience de l’effet négatif de la situation sur le département, y compris sur sa réputation à titre de gestionnaire. Qui plus est, puisque la retraite est maintenant généralement non obligatoire, rien ne garantit que Cameron prendra effectivement sa retraite au bout de trois ans. Enfin, Cameron ne semble pas contribuer à ce que le département et la faculté répondent aux attentes du doyen. Ce dernier refusera-t-il d’accorder des ressources au département ou pourrait-il simplement se montrer moins généreux si Betina ne prend pas la situation en main?

Soutenir, et non dorloter

Betina sait qu’elle doit faire quelque chose, mais de quelles options dispose-t-elle? Elle pourrait instaurer un salaire au mérite comme sanction ou mesure incitative, mais cela ne serait pas sans risque. Plutôt que d’annoncer cette mesure à tous de façon à agir indirectement, il serait beaucoup plus profitable qu’elle discute directement avec Cameron de ses préoccupations concernant son rendement. En général, les professeurs acceptent les décisions qui leur sont défavorables, par exemple dans le cas du salaire au mérite ou même d’une promotion, pour autant qu’elles leur paraissent justes.

Puisqu’aucun professeur ne souhaite que son travail soit perçu comme étant de piètre qualité, Betina se doit d’aborder les activités d’enseignement et de recherche de Cameron distinctement. Il pourrait être bon qu’elle lui fasse savoir d’emblée qu’elle présume qu’il souhaite être un professeur accompli et que, selon elle, il peut y arriver. Qu’il pourrait corriger la situation dans l’un des domaines ou dans les deux. Qu’il est déplorable que les choses se soient détériorées à ce point, mais que la question ne peut plus être évitée.

La plupart des universités offrent des mesures de soutien à leurs professeurs pour qu’ils se perfectionnent sur le plan de l’enseignement. Du côté de la recherche, il pourrait être bon d’explorer la possibilité pour Cameron de se joindre à une équipe de recherche plutôt que d’essayer de démarrer un nouveau projet de façon autonome. S’il est possible d’améliorer la qualité de son enseignement, Cameron pourrait-il entreprendre un projet qui entraînerait des effets positifs sur le département ou la faculté?

Si Cameron ne se montre pas réceptif, ou encore s’il accepte ces mesures, mais que son rendement ne s’améliore pas, ce n’est pas forcément l’impasse. Il serait très constructif que Betina aborde la question de l’épuisement professionnel, et peut-être même qu’elle aide Cameron à évaluer s’il se trouve dans cette situation. Peter Vaill affirme que l’épuisement professionnel comporte trois caractéristiques : 1) la personne refuse de lâcher prise d’un engagement théorique; 2) la personne n’est plus motivée à exceller; 3) la personne est déterminée (ou manque de détermination) à demeurer dans la situation, selon sa culture et l’ensemble des attentes à son égard. Il s’agit d’une description très évocatrice, dont les trois éléments donnent matière à réflexion.

Présenter une porte de sortie, mais laisser la personne s’y engager

Si Cameron se montre encore réfractaire, il faut l’amener à réfléchir sur le fait que la situation ne saurait perdurer et, surtout, que d’autres solutions peuvent être envisagées, y compris la retraite anticipée. Betina pourrait par exemple vérifier si Cameron hésite à prendre sa retraite en raison de préoccupations financières. L’expérience m’a appris que bien des professeurs n’ont pas une idée précise des ressources financières dont ils disposeront à la retraite. Ceux qui ont eu une carrière universitaire relativement longue et dont la retraite approche ont tendance à sous-estimer considérablement leurs prestations de retraite.

Par exemple, en temps de réductions budgétaires marquées, j’ai appuyé l’intention de ma responsable du budget d’aller chercher les compétences requises pour devenir conseillère financière. Je lui ai ensuite donné l’autorisation de consacrer le quart de son temps à conseiller les professeurs sur ces questions. Elle ne leur a pas recommandé d’investir dans certaines entreprises ou dans tel ou tel titre financier (actions, obligations, fonds communs de placement, etc.), mais a plutôt passé en revue avec eux leur situation financière et leur a présenté toutes les options à leur disposition. Ses services étaient évidemment offerts à tous les professeurs et à tous les employés de soutien et sont devenus largement connus. Ils ont fait l’objet de moult discussions au sein de la faculté. Selon moi, il était tout indiqué d’offrir ce bienfait à ceux qui ont consacré leur vie à l’établissement. Fait pertinent au présent contexte, plusieurs professeurs au rendement moyen ont ainsi pu quitter la vie universitaire en toute dignité.

Il se peut qu’insister uniquement sur les incitatifs ou s’appesantir en avertissements ne fasse que complexifier le problème. Une discussion plus positive sur les voies de sortie possibles, dans le cadre de laquelle le professeur se sent appuyé, est susceptible de le rendre suffisamment à l’aise pour qu’il envisage de passer à une nouvelle étape sans honte ni regret. De nombreux professeurs m’ont remercié du service financier que nous leur avons offert. En fait, des professeurs issus de facultés qui n’offraient pas ce service ont demandé à y recourir. Certaines universités offrent de tels conseils aux employés qui ont déjà décidé de prendre leur retraite. Nous avons plutôt offert ce service à nos employés avant qu’ils ne prennent leur décision, et cela a constitué un appui important pour en arriver à un choix définitif.

Raymond F. Currie est doyen émérite et professeur de sociologie à la retraite à la University of Manitoba. À titre de professeur adjoint au Centre for Higher Education Research and Development (CHERD), il anime des ateliers locaux et nationaux sur le leadership universitaire à l’intention des directeurs de département. Il préside également le Research Data Centre National Coordinating Committee, un réseau de 20 centres répartis dans les universités partout au pays.

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