Existe-t-il une compétence aussi importante, mais plus négligée que l’écoute? Notre soif de parler n’est surpassée que par notre volonté d’être entendu.e. Et pourtant, dans notre travail universitaire, nous accordons beaucoup plus d’attention à ce que nous avons à dire.
Le philosophe grec Épictète a été le premier à le dire : « La nature nous a donné deux oreilles et une bouche pour que nous écoutions deux fois plus que nous ne parlons. » La formule a été reprise par bien des gens, y compris une figure bien connue dans le monde du soccer. Sir Alex Ferguson, ancien gérant du Manchester United, a écrit dans son ouvrage sur le leadership que pour bien travailler avec les autres et prendre de bonnes décisions, il faut d’abord écouter et comprendre, puis parler et agir. Dans sa biographie Une terre promise, l’ancien président des États-Unis Barack Obama révèle que pour régler les problèmes les plus épineux, il employait « une méthode claire qui lui permettait de mettre de côté son ego et de véritablement écouter ». Il pouvait ainsi résoudre les problèmes et bien dormir la nuit, sachant que personne dans sa position n’aurait pris de meilleure décision.
Écouter n’est pourtant pas facile. Tout au long de notre cheminement universitaire, nous recevons des messages subtils, mais insidieux minant l’importance culturelle de l’écoute. Notre production de connaissances est intimement liée au développement de notre éloquence. Que ce soit dans les revues, les colloques, les allocutions et même dans le cadre de l’enseignement et du mentorat, tout tourne autour de ce que nous avons à dire. Quiconque écoute est parfois réputé n’avoir rien à dire ou pire, ne pas savoir. Cette idée reçue est ancrée dans nos systèmes culturels, nos identités savantes et nos ego.
Voilà qui explique pourquoi on accorde moins d’importance en milieu universitaire à l’art de laisser ses interlocuteurs et interlocutrices guider la conversation. Il est également plus rare de promouvoir la découverte de soi via un réel accompagnement des étudiant.e.s et des collègues. C’est aussi pourquoi on laisse peu de place au silence gardé avec une discipline rigoureuse pour véritablement entendre ce que les autres disent et ne disent pas, et pour mieux comprendre les valeurs et les craintes qui influencent leurs opinions.
Si l’écoute est moins répandue et moins valorisée, elle est également moins bien comprise. Peut-être n’a-t-elle simplement aucune importance dans les milieux universitaires ou les environnements de travail?
Pourtant, les milieux où l’on ne fait pas l’effort délibéré de bien écouter et de remettre en question les certitudes et les partis pris sont rongés par les malentendus, la méfiance et les conflits, si bien que les changements organisationnels et l’élévation de la communauté en sont compromis. Ça vous rappelle quelque chose?
Des innombrables conflits personnels et interpersonnels inutiles qui affligent les milieux universitaires, beaucoup naissent de l’idée fausse et injustifiée que les autres ont des valeurs, des motivations et des objectifs fondamentalement différents des nôtres. Comme dans une chambre d’écho, nos proches confortent souvent nos erreurs de jugement.
L’écoute est donc l’une des aptitudes les plus difficiles à acquérir parce qu’elle nous oblige fondamentalement à nous ouvrir aux autres, mais aussi à remettre en question nos partis pris, nos identités et notre ego. Cette nouvelle compréhension des choses pourrait ébranler la conviction souvent fermement ancrée que « nous avons raison » et que « les autres ont tort », moralement et factuellement. Pour beaucoup, rien n’est plus vertigineux.
Si nous prêtions réellement attention aux attentes à notre égard, à la pression à laquelle les autres font face et au perfectionnisme qui nous étouffe toutes et tous, nos actes, nos interactions et nos sentiments seraient bien différents, ce qui profiterait à tout le monde. Tandis que nous exerçons des fonctions complexes dans des milieux de travail tout aussi complexes, il est essentiel de consacrer du temps et de l’énergie à écouter réellement l’autre. Cette écoute renforce les liens et l’esprit de communauté en dépit du rythme effréné et des exigences de nos vies très humaines, et parfois désorganisées.
L’écoute n’est pas une aptitude figée, elle est acquise. On peut donc apprendre à le faire de manière efficace, même dans les contextes les plus difficiles. Que pourriez-vous faire pour mieux écouter?
Évaluez votre capacité d’écoute
Dans son ouvrage Tendez l’oreille!, Kate Murphy jette les bases d’une écoute plus efficace. S’intéressant à de nombreux aspects de l’écoute – neuroscience, développement de l’enfant, cognition et mégadonnées – la journaliste du New York Times défend la place de l’écoute dans un monde très bruyant. Elle explique en quoi renforcer ses aptitudes profite non seulement aux autres, mais aussi à soi-même.
Mme Murphy met au défi les personnes qui croient (à tort) avoir une bonne écoute d’évaluer leurs capacités : à quelle fréquence pensent-elles à la suite des choses, formulent-elles un jugement ou sont-elles distraites quand une autre personne leur parle? Il faut consciemment se concentrer sur son interlocuteur ou interlocutrice, sur ses mots, ses gestes et ses silences, sur les sous-entendus et les non-dits. Accordez-lui toute votre attention. Et souvenez-vous : écouter, ce n’est pas simplement attendre notre tour pour déballer ce qu’on veut dire.
Allez au fond des choses
Au lieu des évasifs « ah » et « hum » ou des hochements de tête, manifestez votre volonté d’écouter en posant de bonnes questions et en amenant la personne qui vous parle à en dire plus sur elle-même et son point de vue.
Éliminez les distractions
Abandonnez l’habitude d’avoir votre téléphone à portée de main, de regarder votre montre ou de répondre à des appels ou à des messages en pleine conversation. Concentrez-vous seulement sur la personne qui vous parle. Il vous sera plus facile de l’écouter si vous éliminez le plus possible les distractions.
Réfléchissez à votre pratique
Réfléchissez à vos expériences d’écoute passées : quels aspects étaient bien maîtrisés? Quels aspects devriez-vous améliorer? Accordez la priorité à ceux-ci, et travaillez-y consciemment pendant vos prochaines conversations.
L’écoute, comme toute aptitude, peut être perfectionnée; demandez de la rétroaction à vos pairs et aux étudiant.e.s après vos conversations, surtout quand vous n’étiez pas sur la même longueur d’onde que l’autre personne ou quand vous n’aviez pas envie de l’écouter. Demandez-lui de commenter vos comportements d’écoute. Qu’avez-vous bien fait? Que pourriez-vous améliorer? S’est-elle sentie bien écoutée? Si oui, pourquoi? Si non, pourquoi? Déterminez les aspects de votre pratique d’écoute que vous travaillerez à améliorer en priorité.
Bien écouter n’est pas facile, mais le jeu en vaut la chandelle. Vous aiderez ainsi les autres à se sentir compris et importants. On peut s’écouter soi-même ou écouter son corps, mais c’est seulement en écoutant les autres qu’on peut profiter des leurs perspectives, ce qui renforce les liens et mène à la culture de travail saine qu’on recherche.