Comme toutes les organisations canadiennes, les universités ont été prises au dépourvu et immobilisées quand la pandémie a frappé en mars 2020. Contraintes d’annuler les dernières semaines de cours en présentiel, elles ont dû se démener pour sauver la session. Comment ?
Le monde virtuel; un espace inédit, mystérieux et intimidant qui s’est révélé être notre planche de salut.
J’étais réticent à l’idée d’enseigner à distance. Je suis toujours un utilisateur tardif qui regarde les gadgets, gugusses et patentes à gosse avec une méfiance quasi médiévale. Mais je me suis adapté.
Quatre ans après les premiers confinements, en mars 2020, le technophobe que je suis a appris à aimer l’enseignement en ligne.
Au début, mes connaissances en visioconférence se limitaient à FaceTime, qui m’avait permis de paraître en direct à la télévision nationale en dehors des studios, et à Skype, utilisé pour des entretiens ponctuels avec des médias asiatiques ou européens.
Je reste un fervent adepte du téléphone (même si les conversations cristallines des lignes fixes me manquent). Pour être honnête, dans les 35 dernières années, j’ai traîné des pieds devant l’ordinateur portable, le cellulaire, l’iPhone, les courriels et les messages texte. Avec le temps, cependant, j’ai fini par tous les adopter.
(J’étais tellement attaché à mon premier ordinateur portable, le Zenith SupersPort, que je ne pouvais me résoudre à m’en séparer, jusqu’à ce que je le voie exposé dans un musée à l’Académie militaire américaine de West Point avec mes enfants en 2004. Dans une vitrine présentant la vie d’un cadet de première année vers 1988, on pouvait voir l’uniforme réglementaire, des livres et un ordinateur – mon ordinateur – retiré du marché en 1993.)
Quand la pandémie a éclaté, je n’avais encore jamais entendu parler de BigBlueButton – que nous avons adopté à l’École de journalisme et de communication de l’Université Carleton –, ni de Zoom, Microsoft Teams, Webex et autres.
L’incertitude régnait lors de notre première rencontre virtuelle, une semaine après le début du confinement, mais les étudiant.e.s ont rapidement pris leurs marques en montrant des graphiques, des cartes et des vidéos aussi facilement qu’en personne lors d’exposés. Pendant que mes étudiant.e.s apprenaient à maîtriser les tableaux blancs, les salons de clavardage et les salles de discussion, je me familiarisais avec l’animation des réunions et le partage d’écran. Nous avons surmonté le trimestre ensemble.
Aujourd’hui, les cours en présentiel ont repris (même si certaines universités offrent encore des programmes en ligne ou hybrides, moins efficaces selon moi). Nous avons redécouvert les interactions directes et les échanges spontanés après les cours. Nous sommes revenu.e.s au navettage et aux heures de bureau.
Pourtant, j’ai continué à enseigner en ligne pendant les deux années qui ont précédé ma retraite. Le mystère s’étant dissipé, j’avais fini par trouver des avantages au monde virtuel. Cela nécessitait de comprendre ses limites et son potentiel, en plus de trouver de nouvelles façons de faire.
Pour commencer, j’exigeais que les étudiant.e.s assistent à chaque cours. Sauf maladie ou raison personnelle majeure, je m’attendais à ce que tout le monde soit présent et reste jusqu’à la fin.
Ensuite, je leur demandais de garder leur caméra allumée. Je trouve ça épuisant de parler à des cases noires et vides. Je me retrouve privé de ma classe, et les étudiant.e.s de leurs camarades.
Troisièmement, j’ai limité les cours à deux heures au lieu des trois habituelles. Les séances étaient plus courtes mais, je l’espérais, plus dynamiques et captivantes.
Cette approche n’était pas sans défis. Certaines personnes éteignaient quand même leur caméra. Une fois, une case vide est restée affichée longtemps après la fin du cours. La case était là, l’étudiant.e non.
Certain.e.s prenaient un peu trop leurs aises au point de s’affaler sur le canapé ou de rester au lit, la couette tirée jusqu’au menton. J’avais parfois l’impression que mon cours était devenu une soirée pyjama ou un spectacle de variétés.
L’habillement se faisait parfois plus négligé, voire insuffisant. La prise de notes se raréfiait, alors qu’en classe, il me suffisait de jeter un coup œil sévère aux mains oisives pour qu’elles s’activent.
Certain.e.s étudiant.e.s, encouragé.e.s par l’écran, parlaient plus souvent. L’avantage est que je n’avais pas à me souvenir de leurs noms, qui restaient affichés comme des badges virtuels. Ça me facilitait la tâche.
Personne ne pouvait se cacher. Impossible de disparaître derrière un pilier au fond d’un auditoire immense. Pas de sac à main de la taille d’un bouclier de gladiateur masquant une entrepreneuse affairée en train de chuchoter dans son téléphone tout en tapant sur son clavier, comme si elle prenait des commandes ou organisait les plans sociaux de la soirée.
J’ai été surpris par les bienfaits de la technologie au-delà du cours. Les étudiant.e.s passaient des entrevues en ligne qui étaient meilleures qu’au téléphone et rivalisaient presque avec celles en face à face. C’est aujourd’hui une pratique courante.
Les discussions en ligne étaient compliquées par les micros désactivés et les visages floutés. L’humour représentait un défi; l’ironie et la subtilité ne traversaient pas toujours la barrière numérique. Parfois, les mots mettaient une éternité à se rendre à destination – comme avec le délai de sept secondes des émissions téléphoniques en direct – avant de provoquer un éclat de rire collectif.
Mais ils y arrivaient souvent; un modeste triomphe offert par cette technologie miraculeuse qui a sauvé le monde de l’enseignement face à une crise sanitaire sans précédent – en plus de m’apprendre beaucoup de choses sur moi-même.
Andrew Cohen est journaliste, animateur et auteur. Il a enseigné à l’École de journalisme et de communication de l’Université Carleton pendant presque 23 ans.