Les avantages de posséder de bonnes compétences en lecture et en écriture sont bien connus. Pourtant, les compétences des Canadiens, y compris celles des étudiants de niveau postsecondaire, ne semblent pas répondre aux attentes. C’est particulièrement inquiétant compte tenu du caractère essentiel de ces compétences pour les étudiants qui, une fois diplômés, feront leur entrée sur un marché du travail hautement concurrentiel et mondialisé.
La question la plus pressante qui se pose en ce moment est de savoir si les étudiants qui entreprennent des études postsecondaires possèdent les compétences nécessaires pour réussir, et si ces compétences sont renforcées pendant leurs études. Étonnamment, la plupart des établissements ne recueillent que très peu d’information sur les compétences langagières des étudiants au début et à la fin de leurs études. Quoiqu’on croie que l’acquisition de ces compétences soit l’un des principaux apprentissages au niveau postsecondaire, pour le prouver, il faudrait le mesurer. Avec l’avènement de la démocratisation de l’enseignement supérieur, le temps est venu de procéder systématiquement et rigoureusement à l’évaluation des compétences des étudiants en lecture et en écriture, à la fois au début et à la fin de leur formation postsecondaire.
Pour l’instant, seuls les étudiants étrangers qui n’ont pas fait leurs études secondaires dans la langue d’enseignement de l’université sont évalués à leur arrivée. On suppose qu’un étudiant qui a fait ses études secondaires dans la langue d’enseignement de l’université et qui a réussi, possède les compétences linguistiques suffisantes dans cette langue pour réussir à l’université. Une hypothèse qui mériterait d’être remise en question.
L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et Statistique Canada évaluent les compétences des Canadiens en lecture et en écriture (littératie) depuis 20 ans, et les résultats qu’ils obtiennent sont loin d’être éloquents. Nous savons que, plus un étudiant est fort en lecture et en écriture à 15 ans, plus il sera enclin à aller à l’université. Nous savons aussi que la hausse des inscriptions et la démocratisation de l’enseignement supérieur ont eu pour effet de réunir des jeunes aux compétences très diversifiées. Sans norme universelle pour les programmes d’études et le classement autre que ce qui est établi par les provinces, nous savons qu’un A en français n’a pas la même valeur d’une école à une autre. Dans ces conditions, un établissement ne peut évaluer les capacités réelles d’un étudiant. Les décisions sont donc prises en fonction de l’information disponible et pour le reste, on attend la suite des choses.
La tenue d’examens d’admission permettrait aux collèges et aux universités à la fois de se fixer des normes claires et transparentes (pour les écoles secondaires, pour les étudiants, et pour les professeurs) et de disposer d’une évaluation fiable, mais cela coûte cher, et c’est en partie la raison pour laquelle les tests obligatoires ont été abolis dans presque toutes les universités dans les années 1970-1980. Ils ont été remplacés par des services bénévoles d’aide en rédaction. Toutefois, aujourd’hui, la technologie qui n’existait pas il y a une trentaine d’années rendrait ces tests plus abordables.
Nous savons que les personnes qui ont fait des études postsecondaires obtiennent de meilleures notes dans le cadre de l’évaluation Assessment of Higher Education Learning Outcomes (AHELO) de l’OCDE. Or, lorsqu’on observe les données de près, la situation est un peu plus complexe. L’OCDE évalue le niveau de littératie selon une échelle à cinq niveaux où le niveau 3 correspond au minimum de compétences nécessaires pour obtenir un diplôme d’études secondaires et fonctionner en société. Par conséquent, le niveau 3 est généralement présenté comme étant le niveau de compétence acceptable. À notre avis ce niveau est trop faible si on considère le rendement attendu des diplômés des universités, ceux-là même qui livreront concurrence sur la scène internationale et deviendront les ingénieurs, les scientifiques, les chercheurs ou les fonctionnaires de demain.
De nombreux étudiants au niveau postsecondaire maîtrisent les bases et savent écrire de façon à être compris, mais sont incapables d’aller au-delà de ce niveau fonctionnel; leurs phrases sont grossières et maladroites, la présentation de leurs documents est rudimentaire et la pensée critique en est absente. Ils peuvent écrire, mais pas assez bien pour faire partie de « l’élite » qui se classe aux niveaux 4 ou 5. Lors de la dernière évaluation des compétences en littératie, seuls 29 pour cent des Canadiens titulaires d’un diplôme d’études postsecondaires y sont parvenus.
Les établissements d’enseignement supérieur n’ont pas pour seule mission d’enseigner des compétences de travail pratiques ou des connaissances liées à une discipline particulière. Ils doivent aussi renforcer les compétences de base, y compris les compétences en lecture et en écriture. La mesure dans laquelle les universités y parviennent repose sur leur réputation et quelques données empiriques, ce qui ne suffit pas lorsque les étudiants ne parviennent pas à trouver un emploi et que les gouvernements cherchent à couper dans les budgets. Ce qui ne suffit pas non plus lorsque les meilleurs établissements du pays doivent livrer concurrence à l’échelle internationale. Ce propos peut sembler alarmiste, mais s’il est vrai que tout va pour le mieux, alors nous devrions pouvoir le prouver. Or, comment prouver ce que l’on ne mesure pas?
Nicholas Dion et Vicky Maldonado sont chercheurs au Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur et auteurs du rapport “Sont-ils à la hauteur? Des tendances inquiétantes en termes d’alphabétisation des étudiants de l’enseignement postsecondaire.”