L’hiver dernier, le premier ministre canadien, Justin Trudeau, déclarait à Davos, en Suisse, qu’il souhaitait que le Canada mette de l’avant l’esprit d’initiative de ses citoyens, ayant à l’esprit la prochaine génération de titulaires de doctorat. Pourtant, la même question revient sans cesse : « Le Canada ne produit-il pas trop de titulaires de doctorat? » Cette question est troublante; en plus de remettre en cause deux atouts de notre pays, son système d’éducation et ses citoyens, elle sous-estime la capacité d’un doctorat à préparer à la complexité croissante de l’économie mondiale.
Si on me demande si le Canada décerne trop de doctorats, je réponds clairement « non ». Ce qui n’enlève en rien la responsabilité des universités d’adapter rapidement leurs programmes de formation au contexte économique actuel.
En réalité, il serait plus judicieux de nous demander si nous avons mis en place les politiques, les pratiques et les démarches nécessaires pour maximiser le potentiel de nos étudiants aux cycles supérieurs, ainsi que pour convaincre les employeurs de tirer profit du capital qu’ils représentent sur les plans intellectuel et de la recherche. Et si nous ne l’avons pas fait, pourquoi? La question ne relève pas uniquement des universités. C’est aussi une question de développement économique, d’innovation sociale, de responsabilité internationale, de vision audacieuse et de volonté politique. L’exercice d’un leadership sur ces plans pourrait contribuer à transformer les matières brutes que sont les cerveaux, la curiosité et l’ambition en l’infrastructure intellectuelle dont le Canada du xxie siècle a absolument besoin.
Les tentatives du Canada de faire preuve d’un tel leadership sont bien timides comparativement à celles de ses voisins et concurrents. Moins de un pour cent de la population canadienne possède un doctorat. C’est peu comparativement aux autres pays développés. De plus, un certain nombre des titulaires de doctorat que compte le Canada ont été formés à l’étranger avant d’immigrer chez nous. Selon le classement de 2011 du Conference Board du Canada, qui portait sur 15 nations, le Canada arrivait à l’avant-dernier rang pour le nombre de doctorats décernés.
La diversité et l’expérience internationale qu’apportent les titulaires de doctorat à la société et au marché du travail canadiens doivent être mises en valeur. À l’heure où la complexité des enjeux internationaux et le caractère concurrentiel de l’économie du savoir s’accentuent, le Canada a grand besoin de personnes compétentes dans tous les secteurs, y compris parmi ses dirigeants politiques et ses chefs d’entreprise. La croissance de notre pays l’exige. Oui mais voilà : pour former de tels talents, une stratégie et des investissements s’imposent.
La recherche, l’innovation et la créativité exigent une infrastructure intellectuelle ainsi qu’une main-d’œuvre dotée de solides connaissances disciplinaires, techniques et culturelles, apte à contribuer à la productivité et à la santé socioéconomique du pays. Mais d’autres atouts sont également nécessaires. La prospérité et la croissance socioéconomiques dépendent également d’une stratégie avisée et d’une volonté politique.
Dans la dernière édition de son rapport intitulé État de la nation, le Conseil des sciences, de la technologie et de l’innovation constate que le rendement du Canada en matière d’innovation n’a cessé de chuter depuis 2006 en raison de la faiblesse des investissements au profit de la recherche, du développement et de l’entrepreneuriat. Le Canada se classe désormais au 26e rang des pays de l’OCDE. Le rapport souligne qu’il est urgent que les entreprises et les organisations assimilent l’innovation à une stratégie de croissance et de compétitivité, et la gèrent en conséquence et insiste sur la nécessité pour le gouvernement de les y aider par du financement. Cela amplifiera la demande de personnel hautement compétent et très instruit et le besoin de recourir aux activités de recherche. Les titulaires de doctorat possèdent les capacités et l’expérience qu’il faut pour diriger des projets, de leur conception à leur exécution, jusqu’à la mise en place de solutions. Ils constituent une source de talents et de chefs de file de premier ordre.
En plus d’être experts de leur domaine, les Canadiens titulaires de doctorat savent communiquer, résoudre les problèmes et réfléchir de façon critique. Poursuivant leur apprentissage tout au long de la vie, ils sont très motivés, ne craignent pas l’incertitude et sont de plus en plus mondialement interconnectés. Ce sont là de très précieux atouts qui permettent aux titulaires de doctorat de mener des carrières rémunératrices et gratifiantes dans de multiples secteurs, et non seulement dans le milieu universitaire, même si le discours dominant a longtemps pu faire croire qu’ils y étaient cantonnés.
Les statistiques sur les titulaires de doctorat et l’emploi varient selon les sources. Malheureusement, elles ne suffisent pas à dresser un portrait fidèle de la situation. Le Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur est d’avis que la moitié des titulaires de doctorat de l’Ontario occupent un poste menant à la permanence quelque part dans le monde. Les statistiques du Conference Board établissent que 20 pour cent des titulaires de doctorat finissent par obtenir un poste de professeur à temps plein. Ce qui manque, c’est un bilan clair des taux de réussite et de satisfaction des diplômés canadiens dans le cadre d’emplois non universitaires, et de leur apport au marché du travail. Une chose est cependant claire : parallèlement au nombre de doctorats décernés au Canada qui a progressé de 72 pour cent de 2002 à 2012, le marché du travail ne cesse d’intégrer ces diplômés dans divers secteurs. Cela n’a rien d’étonnant : les programmes de doctorat forment des individus souples et adaptables, deux atouts importants sur un marché du travail en rapide mutation.
Les programmes visant le développement de compétences professionnelles et générales (sens de la communication, entregent, etc.) sont de plus en plus répandus aux cycles supérieurs. Les possibilités d’apprentissage par l’expérience (mis à part les recherches en vue de la thèse, qui le sont par nature) se multiplient également pour permettre aux doctorants d’acquérir une expérience du « monde réel » en œuvrant avec des partenaires externes. Le programme Accélération de Mitacs est souvent cité en exemple. Nous pouvons nous en inspirer. Le temps est venu d’intégrer ces possibilités d’apprentissage du « monde réel » aux programmes de doctorat, afin d’éviter de prolonger indûment le temps nécessaire à l’obtention du grade.
Qu’il s’agisse de relever des défis mondiaux ou technologiques ou encore d’œuvrer au sein des collectivités, les équipes possédant des compétences et des expertises complémentaires ont plus de chances de réussir. Les entreprises en sont conscientes lorsqu’elles forment des équipes aux expertises complémentaires pertinentes (maîtrise des différences culturelles ou de la conception technique, expertise biomédicale, etc.) pour maximiser la mise en œuvre de leurs projets et obtenir de meilleurs résultats. Les universités et les étudiants eux-mêmes reconnaissent l’importance de posséder les compétences nécessaires au travail d’équipe. C’était d’ailleurs le principal message exprimé par les étudiants lors de la clôture du projet « Imaginer l’avenir du Canada » organisé l’an dernier par l’Association canadienne pour les études supérieures en partenariat avec le Conseil de recherches en sciences humaines. Il était d’ailleurs frappant de constater le désir des étudiants d’interagir pleinement avec leurs collègues, les collectivités et le monde. Pourtant, la plupart des programmes de doctorat ne sont pas conçus pour offrir des possibilités de collaboration multidisciplinaire et d’apprentissage mutualisé. Il nous incombe d’y remédier rapidement.
L’éducation n’est jamais une entreprise individuelle ou uniquement institutionnelle. Plus que jamais, nous devons la considérer comme une entreprise commune fondée sur des partenariats et sur des valeurs partagées comme une entreprise bien planifiée, porteuse de retombées bénéfiques pour les individus et pour la société. En contribuant à la productivité par la recherche, l’innovation et la créativité, les titulaires de doctorat poussent nos collectivités, nos entreprises, nos établissements d’enseignement et nos politiques à se dépasser. Pour amplifier cette dynamique, des investissements multisectoriels, une vision et une réelle volonté de soutenir la croissance et le développement s’imposent. Le Canada doit se montrer à la hauteur comme le sont assurément ses titulaires de doctorat.
Brenda Brouwer est présidente de l’Association canadienne pour les études supérieures ainsi que vice-provost et rectrice aux études supérieures de l’Université Queen’s.
Il serait bien que les universitaires s’appuient sur des données probantes avant de faire l’affirmation que « le Canada a besoin de plus de docteurs ». Or, ces données n’existent pas et je cite l’article:
« Les statistiques sur les titulaires de doctorat et l’emploi varient selon les sources. Malheureusement, elles ne suffisent pas à dresser un portrait fidèle de la situation.Ce qui manque, c’est un bilan clair des taux de réussite et de satisfaction des diplômés canadiens dans le cadre d’emplois non universitaires, et de leur apport au marché du travail. »
On affirme donc mais on ne sait pas:
-Si les diplômés sont satisfaits de leur emploi?
-Si leur apport au marché du travail est proportionnel à leur longue formation?
Qu’en est-il de la surqualification? Combien d’emplois en dehors de la sphère académique nécessitent vraiment un doctorat?
L’auteure ici semble se réjouir que les titulaires d’un doctorat se trouvent un emploi à l’issue de leur études. Peut-être que ces individus « souples » et « adaptables » ont tout simplement besoin de mettre du beurre sur leur pain?
Les statistiques québécoises (2012) démontrent que les différences salariales entre les diplômés de la maîtrise et du doctorat sont négligeables (autour de 4% de plus pour les Ph.D.) alors que les différences entre les bacheliers et les maîtres tournent autour de 30%. Si l’apport des doctorats sur le marché du travail est important, force est d’admettre que cela ne se reflète pas sur leur salaire.
Durant 10 ans, les universitaires et scientifiques ont demandé à leur gouvernement de s’appuyer sur des données scientifiques pour prendre des décisions. Dans ce dossier de la formation doctorale, il seraient peut-être temps que les universités prêchent par l’exemple.