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À mon avis

Le Canada doit lui aussi assurer le libre accès à la recherche financée à même les fonds publics

La décision récente du gouvernement américain poussera-t-elle le milieu universitaire canadien à changer?

par JOHN V. L. NGUYEN & MARYAM TABRIZIAN | 20 JAN 23

En 2022, le gouvernement Biden a annoncé que le public allait désormais avoir accès gratuitement à tous les articles universitaires découlant de recherches financées à même les fonds publics, et ce, dès la fin de 2025. Cette décision marque un tournant pour le milieu de la recherche et dresse la table pour nos propres universitaires et décisionnaires. En effet, il s’agit d’une bonne nouvelle pour les cercles de recherche, mais aussi pour les contribuables. Mais pourquoi les universitaires, les décisionnaires et même les personnes qui ne sont pas directement concernées par le sujet devraient s’intéresser au degré d’accessibilité de la recherche canadienne?

Si monsieur et madame Tout-le-Monde ne discutent peut-être pas du plus récent article autour de la cafetière, la recherche universitaire exerce tout de même une influence subtile sur plusieurs pans de la politique fédérale. Pensons à l’immigration ou aux finances, par exemple. Grâce au financement d’Ottawa et aux universités et instituts de recherche du pays qui tirent leur épingle du jeu en contribuant massivement à l’avancement des connaissances mondiales, le Canada joue un rôle de premier plan dans le milieu universitaire mondial. Malheureusement, nos meilleur.e.s chercheurs et chercheuses (ainsi que les autres personnes qui contribuent à la création de nouveaux savoirs et à la diffusion de la recherche) font face à un dilemme au moment de publier. Dans les faits, ce sont souvent les publications de renom qui demandent un prix exorbitant aux personnes souhaitant accéder à leurs articles. Si les initiatives de libre accès ou de science ouverte gagnent en popularité au sein des cercles universitaires, les publications en libre accès sont souvent reléguées au second plan; on y retrouve rarement les découvertes de pointe qui font la une. Il se trouve que même les gardien.ne.s de la tour d’ivoire sont coupables d’élitisme. Mais est-ce si surprenant?

Les trois principaux organismes de financement de la recherche du Canada (les Instituts de recherche en santé du Canada, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et le Conseil de recherches en sciences humaines) ont beau encourager le libre accès, ils n’ont toujours pris aucune mesure contraignante en la matière. Pour l’instant, presque rien n’est fait pour faire respecter la Politique des trois organismes sur le libre accès aux publications : les universitaires canadien.ne.s continuent de refuser d’utiliser une partie de leur financement durement acquis pour couvrir les frais associés à la publication en libre accès, et certaines revues scientifiques sont réticentes à l’idée de verser les versions définitives de leurs articles dans les répertoires en libre accès.

Bien que nous n’ayons pas toujours les mêmes opinions que nos voisin.e.s au sud de la frontière, nous ne pouvons que reconnaître les avantages d’un corpus scientifique accessible : une réduction des coûts payés par les bibliothèques universitaires aux revues scientifiques pour les droits d’accès à leur contenu, bien sûr, mais aussi une plus grande diffusion des résultats de la recherche, en particulier des résultats récents, au sein du milieu universitaire. Après tout, à quoi bon produire des résultats révolutionnaires s’ils sont confinés dans les pages d’une revue scientifique? Le milieu universitaire moderne a évolué en un grand réseau collaboratif à l’échelle mondiale, et les tentatives de marchandisation de la diffusion des connaissances n’ont fait que ralentir la productivité, réduire les fonds disponibles pour payer le personnel de recherche, les équipements et les retombées concrètes, et remplir les poches des entreprises d’édition savante qui ne jouent aucun rôle dans le processus de recherche préalable à la soumission d’un manuscrit.

La décision rationnelle ne serait-elle pas de faire en sorte que les recherches financées par les fonds publics soient accessibles à toute la population? C’est notre opinion. En fait, l’adoption universelle de l’accessibilité publique de la littérature scientifique serait un atout considérable pour l’apprentissage et la découverte de nouvelles connaissances. Or, pour convaincre les autres, nous devons prêcher par l’exemple. Cet objectif pourrait être poursuivi sur plusieurs fronts, par exemple en demandant aux responsables des politiques canadiennes d’imposer des règles plus strictes en matière de libre accès aux recherches financées par des fonds publics et en demandant aux organismes de financement de fournir des fonds suffisants pour couvrir les frais de traitement des articles (qui sont en constante augmentation), en plus des dépenses habituelles encourues pendant la conduite des activités de recherche. Après tout, les coûts associés à la recherche universitaire ont augmenté au fil du temps, alors que les montants des subventions ont fait du surplace.

D’ailleurs, les chercheurs et chercheuses ont aussi un rôle à jouer en trouvant des tribunes accessibles pour leurs résultats. Bien que le libre accès soit effectivement un pas dans la bonne direction pour l’accessibilité, quelques nouvelles publications vont encore plus loin en ne facturant rien du tout aux auteurs et autrices ni aux lecteurs et lectrices. Ces pionnières ont adopté une approche plus ferme de l’accès libre, et il se pourrait qu’à l’avenir, un plus grand nombre de publications, voire de groupes d’édition, leur emboîtent le pas. Soutenir ces nouvelles initiatives est le meilleur moyen de montrer aux décisionnaires et aux revues scientifiques que le milieu universitaire est prêt à adopter le libre accès.

Si les entreprises d’édition savante sont sensibles à leurs finances, le gouvernement, lui, devrait être à l’écoute des citoyen.ne.s qu’il représente. Une directive claire du gouvernement canadien ne pourrait qu’accélérer le mouvement vers le libre accès dans le milieu universitaire. Alors, nous demandons à Ottawa : devons-nous maintenir le statu quo, ou est-ce que nous traçons la voie à suivre en adoptant une politique nationale pour le libre accès de la recherche financée par les contribuables? Il y a quelques mois, le gouvernement américain a pris une décision audacieuse et a choisi de s’adapter à l’évolution des modèles de recherche et de publication. Étant donné notre rôle de premier plan dans les affaires universitaires mondiales, nous devrions faire de même. Ouvrons grandes les portes de nos esprits, sans restriction.

John V. L. Nguyen est un étudiant au doctorat dans le programme de génie biologique et biomédical de l’Université McGill. Maryam Tabrizian est professeure titulaire au Département de génie biomédical ainsi qu’à la Faculté de médecine dentaire et des sciences de la santé buccodentaire de l’Université McGill.

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