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À mon avis

Le défi du financement éthique des universités

Les politiques d’acceptation des dons doivent refléter les valeurs des établissements.

par TANYA RUMBLE | 11 OCT 23

Les universités canadiennes acceptent des dons de personnes, d’entreprises et de fondations, qui les aident à accomplir leur mission et à bonifier leurs programmes et services aux étudiant.e.s. Or, ces dons suscitent parfois la controverse. Je mène des travaux de recherche sur les politiques et les pratiques d’acceptation des dons, travaux guidés notamment par des constats récents concernant des dons discutables, le potentiel d’ingérence de gouvernements étrangers par le financement de la recherche et la création de partenariats avec des établissements canadiens et des cas documentés où des donateurs ou donatrices s’immiscent dans la gouvernance de certains établissements ou interfèrent avec la liberté académique.

Au fil du temps, les normes et valeurs de la société évoluent, tout comme les points de vue et les principes éthiques. Compte tenu de ces changements constants, il importe d’admettre qu’en matière de philanthropie, plus précisément dans le contexte des politiques et pratiques d’acceptation des dons, la reconnaissance à long terme, la terminologie adoptée et la notion de perpétuité peuvent avoir des répercutions imprévues.

Au moment d’accepter, de refuser ou de solliciter un don, les responsables du financement universitaire doivent tenir compte d’un certain nombre de protocoles et politiques, notamment de toute politique écrite en matière d’acceptation de dons. Idéalement, une telle politique doit refléter clairement les valeurs de l’établissement et indiquer jusqu’où pousser les vérifications quant à l’origine des fonds offerts. Par exemple, si un établissement a décidé de refuser les fonds provenant d’une industrie donnée, devrait-elle également renoncer au rendement d’investissements dans la même industrie ou encore à un don offert par une personne qui a fait fortune dans le secteur? Et les politiques de l’établissement en matière d’investissement et de fonds de dotation sont-elles cohérentes avec cette vision?

Il est donc pertinent de se demander dans quelle mesure les politiques sur l’acceptation des dons tiennent compte des questions éthiques nuancées – notamment en matière d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) et de réconciliation – qui se posent pour bien des universités publiques offrant des programmes de médecine et de doctorat lors de leurs discussions avec des donateurs et donatrices actuel.le.s ou potentiel.le.s. Avec des collègues, j’ai mené l’année dernière des entretiens avec des représentant.e.s de 93 % des universités canadiennes de langue anglaise qui offrent des programmes de médecine et de doctorat. Nous avons notamment discuté avec des membres du personnel des services de développement philanthropique et avec des dirigeant.e.s qui participent directement aux campagnes de financement et travaillent avec les donateurs et donatrices. Nous avons aussi discuté avec bien des dirigeant.e.s de fondations qui sont responsables du respect des politiques d’acceptation des dons et d’autres politiques de levée de fonds. De plus, nous avons communiqué avec plusieurs universitaires autochtones et des directeurs et directrices de programmes d’universités canadiennes. Enfin, nous avons échangé avec un certain nombre de leaders d’opinion qui réfléchissent aux questions de financement afin d’en savoir plus sur les répercussions des politiques d’acceptation des dons au sein des collectivités.

Nos constatations sont préoccupantes : les sujets qui revenaient le plus souvent avaient trait aux principes et pratiques de financement, tandis que l’EDI, la réconciliation et l’éthique étaient les sujets les moins abordés. Cela montre peut-être l’écart entre ce qui est affirmé dans les politiques et les pratiques appliquées. Lors de la quasi-totalité des entretiens, il a été question des difficultés que posent les attentes et intentions des donateurs et donatrices ainsi que le contrôle exercé par ces gens dans les cas de dons de grande envergure. Certain.e.s philanthropes souhaitent notamment jouer un trop grand rôle dans l’utilisation et l’administration des fonds. Bon nombre des personnes interrogées ont indiqué que leurs procédures de diligence raisonnable visent principalement à limiter les risques pour la réputation de leur établissement.

Bien des universités ont pris des engagements stratégiques ou mis en place des plans en matière de réconciliation, mais la plupart des entretiens ont révélé que les directives précises sur la façon dont les stratégies de levée de fonds peuvent soutenir ces engagements sont rares, voire inexistantes. De plus, seules quelques personnes ont mentionné l’existence de mécanismes précis de responsabilisation visant à ce que les plans stratégiques de levées de fonds soient conformes aux engagements et aux plans des universités en matière de réconciliation; pour l’EDI, seules quatre personnes ont mentionné l’existence de tels mécanismes.

Les établissements d’enseignement supérieur sont des organisations vastes et dynamiques constituées de facultés et d’autres groupes où règnent souvent des sous-cultures, y compris au chapitre des levées de fonds. À cette réalité s’ajoutent le problème de l’attrition du personnel et la question des valeurs des dirigeant.e.s, autant de facteurs qui nuisent à la compréhension de la façon dont les levées de fonds devraient favoriser l’EDI et promouvoir la réconciliation – et dans certains cas des raisons derrière cet impératif. Fait stupéfiant, les facteurs les moins souvent cités lors des entretiens étaient les droits des donataires, leur rôle à titre de gardien.ne.s des politiques internes, la place de la décolonisation et de la réconciliation dans les pratiques de dénomination et les mécanismes de responsabilisation en matière d’EDI et de réconciliation. À l’opposé, les intentions des donateurs et donatrices et le contrôle qu’ils et elles exercent, la difficulté que pose la notion de perpétuité, le risque pour la réputation et les attentes en matière de reconnaissance comptaient parmi les sujets qui revenaient le plus souvent.

Sur la base de nos constatations, nous avons dressé une liste de recommandations que les établissements pourraient trouver éclairante au moment de revoir leurs politiques d’acceptation des dons.

Essentiellement, ces politiques doivent refléter les valeurs de l’établissement. De plus, il faut absolument donner des formations pour veiller à ce que les pratiques soient conformes aux politiques. Nos entretiens ont montré que l’EDI, la réconciliation, la décolonisation et l’autochtonisation sont des priorités pour la plupart des établissements, mais ces priorités et valeurs ne trouvent pas leur place dans les politiques. Concrètement, une politique d’acceptation des dons est l’outil sur lequel s’appuyer pour refuser un don. Mais elle peut aussi communiquer les engagements d’un établissement en matière de droits de la personne, d’EDI et de réconciliation et inviter les philanthropes à soutenir ces valeurs.

Tanya Rumble est directrice du développement à la Faculté des arts et de l’Institut Yellowhead de l’Université métropolitaine de Toronto et cofondatrice de la communauté de pratique Recast Philanthropy. Elle est aussi l’autrice principale de Follow The Money: A Study of Gift Acceptance Policies and Practices at Canadian Universities.

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