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À mon avis

Le fardeau des autres tâches connexes

Les universités ont besoin de gens, de politiques et de protocoles qui contribuent à la réussite des étudiants noirs, autochtones et de couleur en misant non pas sur l’égalité, mais sur l’équité.

par ROHENE BOUAJRAM | 24 AOÛT 21

Dans le milieu de l’enseignement supérieur, les rares employés racisés, dont je fais partie, doivent à la fois porter le poids de leur expérience, permettre aux autres de désapprendre et d’apprendre dans leur cheminement vers l’équité, la diversité et l’inclusion, ainsi que trouver des moyens de dénoncer les conséquences involontaires des politiques, déclarations et actions des universités. Le tout en occupant des postes précaires sans grand pouvoir. Il s’agit là de ces fameuses « autres tâches connexes » mentionnées dans les descriptions de poste, ou du travail émotionnel que doivent accomplir bien trop de personnes autochtones, noires ou de couleur (PANDC) qui travaillent dans les universités.

Je me suis ainsi retrouvée face à un étudiant muré dans le silence après m’avoir confié une grave décision dont il venait d’être informé par courriel. Ayant été rendue par un collègue que je connais très bien, elle était le fruit d’une politique que je connais tout autant, mais sur laquelle j’ai des réserves. Après un silence qui m’a paru interminable, l’étudiant m’a demandé, en larmes, s’il allait finir en enfer. Aucune formation n’aurait pu me préparer à répondre à cette question, mais je savais qu’il était important de permettre à l’étudiant d’exprimer sa douleur. Dans le cadre de mes fonctions, je rencontre énormément d’étudiants PANDC qui me confient leur mal-être parce qu’ils savent que « je comprends ». Je m’assois avec eux, comme je l’ai fait avec d’innombrables étudiants PANDC, alors qu’ils éprouvent une gamme d’émotions qui auraient autrement poussé la plupart de mes collègues à appeler la sécurité du campus. Colère. Frustration. Chagrin. Sanglots. Silence. Cette fois, j’ai respiré profondément, puis j’ai demandé : « Pourquoi poses-tu cette question? »

Devant une telle détresse, je dois masquer mes émotions ou du moins, les exprimer de manière à offrir aux étudiants une expérience positive et transformatrice. Je dois aussi parvenir à consacrer le temps nécessaire aux étudiants concernés, pendant mes heures de travail ou même le soir ou la fin de semaine : 30 minutes, deux heures, voire plusieurs jours. Je dois faire un effort surhumain pour ne pas laisser mes émotions perturber les étudiants qui vivent des moments dont ils garderont un souvenir flou, mais douloureux et indélébile. Je dois savoir sur quels collègues je peux compter pour me remplacer afin de pouvoir me consacrer à ces étudiants. Je dois aussi éviter de réagir aux microagressions quotidiennes tout en écoutant les étudiants, en assistant à des réunions et en accomplissant un travail exceptionnel, car le personnel PANDC n’a pas le droit à l’erreur.

Et tout cela ne constitue que la première moitié de ma journée. Après la pause du midi, si j’ai le temps d’en prendre une, je dois me battre pour obtenir de la souplesse et des exemptions, tandis qu’on m’informe qu’une politique n’est pas faite pour « ça » ou pour « ce type d’étudiants ». On me dit aussi parfois combien ces étudiants sont chanceux de pouvoir compter sur moi, car je vais au-delà de mes fonctions officielles. Ce compliment est un couteau à double tranchant : il sous-entend que je subis le martyre du travail émotionnel et que je n’ai pas d’autre choix que d’être à la disposition des étudiants PANDC, qui préfèrent le personnel « qui comprend » aux pratiques, politiques et protocoles que nous appliquons quotidiennement. Je dois aussi participer à des rencontres ponctuées d’innombrables moments de silence en hommage aux victimes de violence raciale, suivis de mauvaises prononciations de mon nom ou de commentaires aux antipodes de la compréhension, de la compassion et de la bienveillance interculturelles exprimées juste avant.

Vous vous demandez peut-être ce que je veux? Je veux que la dynamique de changement, de compréhension et d’engagement amorcée lors de la pandémie se poursuive. Ces fameuses « autres tâches connexes » doivent être précisées dans les descriptions de poste pour assurer le recrutement de bons candidats. J’ai besoin que soient mis en place des protocoles et des politiques qui contribuent à la réussite des étudiants PANDC en misant non pas sur l’égalité, mais sur l’équité. J’ai besoin de ne plus devoir compter sur le capital social accumulé au sein de mon université pour soutenir les étudiants PANDC, puisque mes demandes sont perçues comme une faveur consentie aussi bien envers moi qu’envers l’étudiant concerné. J’ai besoin que la fragilité si souvent ressentie à l’écoute du vécu des membres de la communauté PANDC et que la peur d’être traités de racistes cèdent la place à un engagement visant à faire mieux. J’ai besoin que davantage de hauts dirigeants PANDC apportent des points de vue divers à la table où les décisions les plus importantes sont prises. J’ai besoin que cesse la rotation constante de mes collègues PANDC qui n’en peuvent plus, et que des efforts accrus soient faits pour retenir les personnes douées et talentueuses.

Cet article ne traite pas de mes besoins et souhaits personnels, mais de ce qui doit être fait pour qu’un changement systémique advienne dans l’enseignement supérieur. Changer le message, la symbolique et la justesse d’une simple phrase au bas des descriptions de poste est un moyen parmi tant d’autres d’y parvenir.

Rohene Bouajram est directrice adjointe des initiatives stratégiques pour les personnes noires, autochtones et de couleur à l’Université de la Colombie-Britannique.

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