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À mon avis

Le gouvernement Ford fait fi de sa propre politique sur la liberté d’expression

En demandant à des groupes étudiants de revenir sur des déclarations controversées, la ministre des Collèges et Universités de l’Ontario a prouvé que la politique de son gouvernement n’était que du vent.

par CRESO SÁ | 29 NOV 23

Personne n’est tombé à la renverse quand le gouvernement du premier ministre Doug Ford a prouvé sans équivoque son manque d’engagement sincère envers les principes de la liberté d’expression.

En 2018, le gouvernement avait tenté de faire un coup d’éclat en annonçant une politique sur la liberté d’expression universitaire, se présentant comme un ardent défenseur de la liberté de débattre de façon libre et engagée dans les collèges et les universités. On demandait alors aux établissements de mettre en place une politique sur la liberté d’expression, à publier au plus tard le 1er janvier 2019. Elle devait « s’appliquer au corps professoral, aux étudiant.e.s, au personnel, à la direction et aux invité.e.s », insistait le gouvernement, ainsi que minimalement inclure les principes prévus dans la déclaration de l’Université de Chicago sur la liberté d’expression. Celle-ci indique notamment que « les universités et les collèges doivent être des lieux où toute personne est libre de discuter ouvertement et de poser des questions », que « l’université ou le collège ne doit pas tenter de protéger la communauté étudiante contre des idées ou des opinions controversées ou offensantes » et que « bien que les membres de l’université ou du collège soient libres de critiquer et de contester les opinions exprimées sur le campus, on ne doit pas entraver ou empêcher la liberté d’expression d’autrui ».

La politique officielle prévoyait de plus une disposition particulière concernant les groupes étudiants, qui stipulait que ceux-ci doivent se conformer à la politique « en tant que condition préalable à l’obtention d’un soutien financier continu ou d’une reconnaissance » et qu’il était recommandé que les établissements « encouragent les syndicats étudiants à adopter des politiques qui sont conformes aux principes de la politique en matière de liberté d’expression ».

À l’époque, il était clair que cette politique reposait sur un postulat erroné et qu’il ne s’agissait que d’une simple mise en scène de la part du premier ministre ontarien. Le temps en aura fait la preuve. Au cours des deux dernières années (2021 et 2022), aucune activité prévue sur le campus d’un établissement postsecondaire n’a été annulée en raison de possibles dangers pour la santé et la sécurité, et un total de six plaintes, toutes résolues par processus internes, a été déposé dans l’ensemble de la province.

Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas en octobre 2023, Jill Dunlop, la ministre ontarienne des Collèges et Universités, a non seulement fait fi de la politique sur la liberté d’expression universitaire de son propre gouvernement, mais elle a tenté d’inciter les administrateurs et administratrices universitaires à poser des gestes qui vont carrément à son encontre. En réaction à une déclaration faite par trois associations étudiantes de l’Université York, elle a exigé que les associations syndicales étudiantes « s’excusent et reviennent sur leurs propos », en plus d’enjoindre à l’administration de l’université de « demander des comptes à ces groupes à la suite de leurs gestes ». Elle a publié sa déclaration sur son compte X :

La ministre a ensuite dénoncé publiquement les associations étudiantes de l’Université de York et de l’Université de Toronto Mississauga à l’assemblée législative. En plus d’exiger le retrait des déclarations des groupes étudiants, elle a demandé aux deux universités de « mener une enquête et, au besoin, de faire l’examen de l’inconduite non scolaire des membres de l’exécutif des deux associations pour leurs déclarations ». La ministre s’est ensuite affairée à nommer l’ensemble des étudiant.e.s qui avaient participé à la rédaction des déclarations, en plus de trois professeur.e.s qui avaient émis publiquement des commentaires sur la guerre entre Israël et le Hamas. Ses propos ont eux aussi été publiés sur X, sous forme de vidéo :

Il est rarement nécessaire de faire preuve de vigilance autour des principes de la liberté d’expression – ceux promus par la politique ontarienne – lorsque les opinions concordent. C’est toutefois justement lorsqu’émergent des points de vue conflictuels, qui provoquent des débats opposant des différends fondamentaux, que l’on doit se tenir en alerte. C’est lorsque l’on trouve le point de vue de l’autre questionnable et indigne, même s’il est émis en toute légalité, que l’on met réellement à l’épreuve notre capacité à avoir des discussions ouvertes.

La politique sur la liberté d’expression universitaire du gouvernement Ford n’a toujours été que symbolique – une fausse main tendue pour glaner des votes conservateurs, plutôt qu’un engagement profond envers un milieu où règne la liberté de parole. Elle appuyait la vision selon laquelle les universités seraient un lieu d’idéologie libérale et gauchiste, hostile à la perspective conservatrice – une vision que bien des militant.e.s du milieu conservateur ont pu mousser en leur faveur, suivant le pas de leurs homologues des États-Unis. Le constat est flagrant : le gouvernement n’hésite pas à aller à l’encontre de ses supposées valeurs au gré de ses envies. Concédons-le, ces principes à géométrie variable ne datent pas d’hier. Mais la question est la suivante : la liberté d’expression universitaire interpellera-t-elle assez la classe citoyenne pour qu’elle demande des comptes à son gouvernement?

Creso Sá est directeur du Département de leadership, des études supérieures et de la formation continue de l’Université de Toronto, où il enseigne également les politiques scientifiques, l’enseignement supérieur et l’innovation. Il est aussi rédacteur en chef de la Revue canadienne d’enseignement supérieur.

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