Dans un article intitulé Why does it cost millions to access publicly funded research papers? Blame the paywall publié en mars 2019, la CBC explique comment les éditeurs s’enrichissent grâce au travail non rémunéré de leurs clients. Le document met en lumière les revenus astronomiques des maisons d’édition, dont les marges de profit avoisinent les 40 pour cent.
Mais l’article de la CBC oublie de parler des revues publiées ici au Canada, dont la plupart sont fondées sur des modèles à but non lucratif.
En effet, bien au-delà de 200 revues savantes canadiennes sont publiées selon un modèle à but non lucratif. Leur coût est relativement faible, généralement la moitié de celui exigé pour l’abonnement aux revues des grands éditeurs commerciaux. Les éditeurs comme la division des revues des Presses de l’Université de Toronto, les Éditions Sciences Canada (anciennement les Presses scientifiques du CNRC) et l’Institut canadien d’études en publication – Journal Services publient plus de 80 revues savantes, dont beaucoup sont bilingues. Certaines existent depuis plus d’un siècle et sont tenues en haute estime par le milieu scientifique.
L’Association canadienne des revues savantes (ACRS) est pleinement consciente des tensions qui existent entre les grands éditeurs du secteur des sciences, de la technologie, de l’informatique et des mathématiques et les bibliothèques universitaires, de loin les plus importants clients de l’oligarchie formée par les cinq géants de l’édition savante (comme le décrit Vincent Larivière, de l’Université de Montréal). Nous savons aussi que les bibliothèques universitaires continuent de mettre l’accent sur les revues offertes par ces éditeurs parce qu’elles représentent une large part de leurs budgets d’acquisition.
L’ACRS tient à rappeler aux médias, aux chercheurs, aux organismes de financement de la recherche canadiens, aux bibliothèques universitaires et aux hauts dirigeants universitaires la valeur et le calibre des revues savantes canadiennes à but non lucratif. Nous demandons une plus grande collaboration entre tous les intervenants. Nous croyons qu’accorder une place plus importante aux revues canadiennes permettrait aux bibliothèques universitaires de trouver des solutions concrètes et durables aux sommes astronomiques exigées par les cinq géants de l’édition.
La CBC aurait été en mesure de dresser un portrait beaucoup plus juste de la situation si elle avait communiqué avec les membres de l’ACRS, qui auraient fait valoir la rentabilité du milieu de l’édition savante au Canada. En effet, la situation est bien différente sur le marché canadien. Malgré les difficultés bien connues qui touchent pratiquement toutes les revues dans le monde, comme l’annulation des abonnements annuels et la réduction du financement nécessaire au processus d’édition, les revues canadiennes continuent d’attirer des millions de lecteurs chaque année. Leurs coûts d’accès sont très abordables, et parfois aussi faibles que 0,05 $ par article. Cependant, aucune revue ne pourrait subsister en l’absence de revenus.
Les organismes subventionnaires et les établissements doivent donc élargir l’infrastructure et le savoir-faire actuels en matière d’édition savante. Ils doivent notamment fournir les ressources nécessaires pour aider les bibliothèques à s’abonner aux revues canadiennes et pour permettre à celles-ci d’embaucher des rédacteurs professionnels et d’adopter le numérique. Ainsi, les revues canadiennes seraient en mesure de publier davantage d’articles de recherche canadiens et internationaux à des coûts très abordables.
Dans son reportage la CBC affirme que « les scientifiques soutenus par les fonds publics font de la recherche, rédigent les articles et révisent leurs pairs sans être rémunérés par les éditeurs ». Ces énoncés laissent penser que les éditeurs ne jouent aucun rôle dans la diffusion de la recherche, et donnent l’impression que les chercheurs sont capables de produire spontanément des articles parfaitement conceptualisés, faciles à comprendre, révisés et mis en page, qu’il suffit ensuite de télécharger sur Internet. Sans mentionner la supposition selon laquelle ces articles rejoindront leur public cible sans l’aide des stratégies de marketing offertes par les éditeurs. Ces affirmations supposent également que les revues savantes réputées n’offrent aucune valeur ajoutée en matière d’information ou d’avancement professionnel.
Pourtant, les faits prouvent le contraire. La nature et les coûts de l’édition savante commencent là où le travail des chercheurs s’arrête : révision de texte, vérification des faits et des références, mise en page, illustration, correction d’épreuves, marketing et maintien d’une réputation faisant autorité auprès des autres chercheurs.
Nous invitons le Canada à reconnaître :
(1) les revues savantes comme partie intégrante du processus de recherche,
(2) la valeur de son corpus national de revues, et
(3) l’importance qu’il faut accorder aux publications d’ici dans la recherche de solutions aux problèmes des coûts d’abonnement élevés aux revues.
Nous invitons les chercheurs, les bibliothèques, les organismes de financement, les revues et les spécialistes des publications savantes à collaborer afin de protéger les revues canadiennes des fortes pressions internationales qui pèsent sur ceux qui travaillent dans ce secteur. Pour obtenir de l’information au sujet de l’ACRS, consultez notre site Web ou communiquez avec nous à [email protected].
Ce texte a été rédigé par les membres du conseil d’administration de l’ACRS : Emmanuel Hogg (président et directeur général, Histoire sociale/Social History), Suzanne Kettley (ancienne présidente et directrice générale, Éditions Sciences Canada), Rowland Lorimer (secrétaire-trésorier et directeur [retraité], Masters of publishing, Canadian Centre for Studies in Publishing, Université Simon Fraser), Antonia Pop (directrice principale, division des revues des Presses de l’Université de Toronto), Eugenia Zuroski (rédactrice en chef, Eighteenth-Century Fiction), Lauren Bosc (rédactrice en chef, Jeunesse) et Suzanne Clavette (rédactrice en chef, Relations industrielles/Industrial Relations). Ken Clavette est actuellement directeur général de l’ACRS.
L’ACRS tient à remercier Letitia Henville pour son travail éditorial au moment de rédiger ce texte. Mme Henville rédige la chronique « Ask Dr. Editor » pour le volet anglophone d’Affaires universitaires.