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À mon avis

Le problème de la collégialité

Favoriser le dissentiment, la diversité et la liberté universitaire.

par TIMOTHY J. HANEY | 11 JUIN 12

Quoique que mon argument puisse être controversé, je soutiens que les universités devraient cesser de considérer la collégialité comme étant un atout.

De nombreuses universités s’efforcent actuellement de déterminer qui parmi le personnel universitaire est collégial et qui ne l’est pas. En fait, les documents d’évaluation créés par les départements et les facultés universitaires mentionnent fréquemment la collégialité, soit comme critère d’évaluation ou comme objectif commun. Par exemple, lorsqu’un professeur en début de carrière est évalué en vue de sa permanence ou d’une promotion, le département des sciences sociales de l’Université York considère excellents les candidats qui font preuve « d’équité, d’efficacité, de jugement, de collégialité, de respect et de tout autre attribut se rapportant à l’esprit et au comportement collégial conformément aux examens de collégialité ». Dans un autre exemple, l’Association des professeurs de l’Université Brock exige dans sa convention collective que « les professeurs agissent entre eux avec équité, éthique et respect ».

Quel est donc le problème avec la collégialité?

D’abord, les évaluations de rendement devraient être entièrement fondées sur le rendement. La collégialité a très peu à voir avec le rendement professionnel. Peut-on être cassant, susceptible et opiniâtre et être tout de même un excellent professeur et chercheur? Oui, absolument. Peut-on remplir ses obligations professionnelles adéquatement sans être particulièrement amical? Bien sûr. Par conséquent la collégialité, telle qu’elle est envisagée par plusieurs, ne nous informe en rien de la qualité du rendement professionnel.

Deuxièmement, on ne s’entend pas sur la définition de la collégialité. Selon l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU), « la collégialité n’est pas synonyme de cordialité ni de civilité ». Pourtant, l’ACPPU a du mal à définir ce qu’est la collégialité, elle se contente donc de dire ce qu’elle n’est pas. Préférant lui attribuer une description précisant que les professeurs doivent exécuter « leur part de la charge de travail consacrée aux services », l’énoncé demeure passablement ambigu. Bien que la collégialité puisse faire référence à des gestes concrets comme accepter de remplacer une collègue pendant qu’elle participe à une conférence, on l’entend souvent comme la manière d’interagir d’une personne, ses choix de mots, ou encore sa façon de faire du boniment dans les réceptions vins et fromages; des caractéristiques qui n’ont rien à voir avec le rendement professionnel réel de quelqu’un.

Les gestes concrets se rapportant réellement au rendement (comme remplacer un collègue) peuvent aisément être pris en compte sous d’autres aspects dans le dossier d’enseignement, de recherche ou de service d’un professeur; ils n’ont pas à être considérés en fonction de la collégialité. Le concept de la collégialité est souvent traité et évalué d’une manière bien différente de la définition de l’ACPPU (comme de la cordialité, en fait).

Un des problèmes flagrants de la collégialité c’est qu’elle risque de faire taire le dissentiment et de générer l’uniformité. Il existe une tension intrinsèque entre la collégialité et la liberté universitaire. L’énoncé sur la liberté universitaire de l’ACPPU stipule clairement que les membres du corps professoral ne devraient subir aucune sanction pour leurs paroles. Pourtant, la collégialité s’attarde à ce qui se dit entre professeurs. Comme la liberté universitaire comprend « la liberté d’exprimer ses opinions au sujet de l’établissement, de son administration, et du système au sein duquel une personne travaille », elle va forcément à l’encontre de la notion de collégialité.

La liberté universitaire sert à promouvoir la discussion et le désaccord, des notions qui tendent à améliorer l’université et la société. Quoi qu’il en soit, lorsque les universités évaluent la collégialité, elles courent le risque d’évaluer un individu exprimant son dissentiment – qui exerce son droit de liberté universitaire – comme étant « non collégial ». Ainsi, un environnement peut être considéré collégial lorsque les collègues y interagissent positivement les uns avec les autres dans le soutien mutuel ou, communément, lorsque de nombreux professeurs sont intimidés et réduits au silence.

Finalement, la collégialité peut avoir comme conséquence (intentionnelle ou non) de supprimer la diversité si chère aux universités canadiennes; qu’il s’agisse de diversité ethnique, sexospécifique, socioéconomique ou intellectuelle. La recherche (y compris la mienne) a montré que les professeurs issus des classes ouvrières ou défavorisées utilisent un langage direct et moins nuancé, et qu’ils ne craignent pas de confronter ou de remettre l’autorité en question. Si la collégialité est perçue comme étant une notion bourgeoise de cordialité, un ensemble de commentaires émis dans les couloirs, des opinions sur des questions discutées en réunions, et toute autre interaction interpersonnelle, alors les personnes qui sont évaluées comme étant non collégiales pourraient de manière disproportionnée provenir de milieux socioéconomiques modestes, et en tenant compte de la collégialité comme facteur d’évaluation, l’université risque d’éliminer une forme de diversité.

En raison de la confusion qui entoure la notion de collégialité, les universités canadiennes devaient bannir ce mot de l’usage. Malgré le fait qu’elle n’est pas utilisée dans l’embauche ou l’évaluation de candidats pour la promotion, il demeure sous-entendu que les départements, les facultés et les universités sont des endroits à qui on demande de s’efforcer de promouvoir la collégialité, et cette conception ne tient pas compte des aspects problématiques liés à la collégialité. Les universités devraient plutôt s’efforcer de promouvoir la critique, le dissentiment et le désaccord – des traits souvent perçus comme étant non collégiaux.

Timothy J. Haney est professeur adjoint de sociologie à la Mount Royal University.

COMMENTAIRES
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  1. François / 10 juin 2013 à 13:56

    La collégialité, telle que décrite dans votre article, risque effectivement de faire taire le dissentiment et de générer l’uniformité. Toutefois, devrait-on bannir le mot ou plutôt insister pour une définition sans équivoque?

    Pour ma part, la collégialité évoque plutôt une prise de pouvoir et une mobilisation du corps professoral autour d’une prise de décision partagée. Ce qui, il me semble, encourage justement la critique, le dissentiment et le désaccord.

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